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Intervention de Dominique Cerruti

Réunion du 24 novembre 2010 à 18h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Dominique Cerruti, directeur général de NYSE-Euronext :

Nous avons fait beaucoup d'efforts et nous nous portons bien dans un univers devenu concurrentiel de façon excessivement brutale. Certes, le souci de mettre fin aux monopoles, aux États-Unis avec la loi « Reg NMS » – pour Regulation National Market System – puis en Europe avec la directive MiFID, procédait d'intentions louables, mais la mise en oeuvre a été d'une rapidité et d'une brutalité telles que nous avons dû nous adapter à un train d'enfer. Reste que nous en retirons les fruits aujourd'hui.

Les crises, depuis que le monde est monde, résultent certes toujours d'une suite de dérives macroéconomiques, de la prise de risques insensés, mais avant tout de la cupidité humaine. La première crise de l'histoire moderne remonte à 1637. Elle est connue sous le nom de crise des tulipes parce que des milliers de familles hollandaises avaient investi leur fortune dans ces bulbes. Le cours a atteint vingt ou trente fois le salaire d'un artisan spécialisé avant de s'effondrer, entraînant la ruine de générations d'épargnants et d'investisseurs.

Accumulation excessive de dérives macroéconomiques, investissements excessivement risqués consentis dans l'espoir d'un rendement toujours plus élevé et financés en jouant sur l'effet de levier : le retour de ce qui fut à l'origine du krach de 1929 comme des bulles immobilières ne peut être exclu et il serait très présomptueux d'affirmer qu'aucune crise ne surviendra plus. Il faudrait plutôt se préparer à la suivante en cherchant comment détecter les prises de risque excessives et le moment où l'innovation se déconnecte de l'économie, et en essayant de localiser les risques. L'innovation est le produit de l'imagination d'une centaine de forts en thème et il est très difficile aux régulateurs nationaux de comprendre, d'anticiper le risque qui en découle. Cela exigerait de leur part une coordination internationale sans précédent et des moyens bien plus importants que ceux dont ils disposent aujourd'hui – des moyens au moins équivalents à ceux des grandes banques qu'ils doivent surveiller. La première priorité consiste donc à les en doter.

La deuxième est de prendre des dispositions pour que les effets de la crise soient aussi minimes que possible. En ce qui nous concerne, nous devons faire en sorte que les marchés financiers, qui sont un des poumons de l'économie, soient de plus en plus transparents pour les régulateurs, et résilients, alors qu'ils sont, en réalité, de plus en plus opaques et fragmentés, autrement dit de moins en moins capables d'amortir une secousse. J'insiste sur le fait que NYSE-Euronext est un marché transparent et régulé, qu'elle travaille main dans la main avec les régulateurs. Je suis accompagné de Fabrice Peresse, qui dirige les opérations de surveillance sur nos marchés. Il est français et basé à Paris où est installée notre équipe de surveillance de tous les marchés au comptant. C'est lui qui s'assure que les marchés sont efficaces, et surtout intègres, et qui détecte les anomalies de toute nature – erreur d'un opérateur ou abus de marché. Il les signale au régulateur concerné, avant d'enquêter pour savoir ce qui s'est passé et ce qu'il y a lieu de faire.

Les promoteurs de MiFID entendaient, dans un contexte de croissance, casser les monopoles afin d'abaisser le coût du capital pour les entreprises tout en protégeant les investisseurs. Paradoxalement, en deux ans et demi, au lieu de diminuer, l'opacité a quasi doublé. Toutes les études convergent. Sur le marché des actions, elle dépasse 40 % ; sur celui des dérivés, elle atteint 85 % ; sur celui des obligations 95 % ; et, sur le marché des changes, elle est proche de 100 %. Or il n'y a aucune raison pour que l'opacité prévale sur le marché des actions, ou des obligations. Christine Lagarde a d'ailleurs pris l'initiative de créer une plate-forme obligataire transparente pour pousser les émetteurs français à émettre en France et éviter, comme cela s'est passé au moment de la crise, que, faute de liquidité, les titres ne puissent même plus être valorisés. On ne savait même pas qui devait animer le marché.

L'opacité a gagné trois activités distinctes. La première est l'activité de gré à gré, qui a toujours existé, mais qui, dans l'esprit des autorités européennes, devait rester irrégulière ad hoc, c'est-à-dire réservée à la négociation de produits très spécifiques. Elle a pourtant augmenté passant de 26 % à 40 %. La deuxième activité, qui était à l'origine la raison d'être des dark pools – dénomination très malheureuse – est la négociation de blocs de titres, ou block trading, qui est destinée à protéger l'investissement. En effet, la vente ou l'annonce de la vente d'un très grand nombre d'actions risquant de peser sur les prix, il est sain de préserver une relative discrétion. Mais à coup d'exemptions, appelées waivers dans le jargon bruxellois, les dark pools ont dévoyé une règle pourtant utile et se sont mises progressivement à traiter de petits ordres, comparables à ceux d'un investisseur individuel. Or l'investisseur modeste n'a pas intérêt à voir ses ordres traités par un opérateur opaque, et appariés avec ceux d'un professionnel, ou même d'un teneur de marché, car il ne fait pas le poids. Pour protéger ces petits investisseurs, la transparence est la seule solution car elle assure la confrontation de l'offre et de la demande au sein d'un carnet d'ordres unique, qui garantit le bon prix.

La troisième activité touchée par l'opacité concerne les concurrents des opérateurs historiques, à qui MiFID offrait le choix entre trois statuts : celui de marché régulé ; celui de plate-forme alternative, autrement appelée Multilateral Trading Facility, ou MTF, également transparente ; et enfin celui de systematic internaliser, autorisé à rapatrier en interne la négociation des ordres et à les traiter hors marché en contrepartie d'une obligation de reporting et de transparence auprès du régulateur. La plupart des institutions financières ont commencé par opter pour ce dernier statut, mais ont fini presque toutes par l'abandonner pour adopter une formule que MiFID n'avait ni prévue ni autorisée, celle des crossing networks – de simples réseaux d'appariement des ordres, qui sont dispensés des contraintes de transparence. Or ces plateformes tendent à se multiplier.

L'opacité, limitée au départ à 26 % des transactions, dépasse donc désormais 40 % du volume des actions échangées en Europe, soit environ 32 milliards d'euros en moyenne chaque jour. Ce pourcentage augmente et échappe au regard des régulateurs. Ces 40 % se ventilent entre une part prépondérante pour le gré à gré, les dark pools qui captent maintenant des petits ordres et comptent pour 7 % à 8 %, et les crossing networks qui traitent 10 % des volumes hors marché, soit 4 % du total des transactions.

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