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Intervention de Patrick Artus

Réunion du 17 novembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis, professeur de sciences économiques à Paris-I et à l'école polytechnique :

On en parle dans les cercles économiques. Il me semble que le mécanisme de base est le suivant : les pays occidentaux, qui souffrent de la concurrence des pays émergents depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, ont compensé par une politique de création monétaire chronique. J'adhère à l'idée que la politique monétaire expansionniste a pallié la faiblesse des salaires. C'est vrai aux Etats-Unis et au Japon. La création monétaire a soutenu la demande, de logement surtout, mais aussi d'actifs de toute espèce. Mais la consommation est restée atone.

Juste un fait pour illustrer mon propos. À la fin du programme Quantitative Easing 2, la Réserve fédérale aura créé, de 2008 à juin 2011, trois fois plus de monnaie qu'entre sa fondation et 2008. Cela donne une idée de l'ordre de grandeur du phénomène et il est évident qu'il faut y voir une des causes profondes de la crise. On peut incriminer les spéculateurs, le trading pour compte propre dans les banques, l'effet de levier des hedge funds, le comportement mimétique des investisseurs, mais c'est la liquidité déversée à profusion par les banques centrales qui leur a permis à tous de s'endetter. Pourtant, les banques centrales n'ont jamais mis en cause leur action. La BCE ne s'est même pas posé la question, focalisée qu'elle est sur les objectifs d'inflation – et dès lors que ceux-ci sont respectés, les prix de l'immobilier peuvent bien augmenter de 15 % par an ! Outre-Atlantique, c'est une décision délibérée pour soutenir l'économie américaine en jouant sur l'effet de richesse que procurait l'augmentation des prix des actifs. Dans un moment de sincérité, Alan Greenspan a déclaré en 2003 qu'il avait bien été obligé de favoriser la bulle immobilière parce que la bulle des actions avait explosé.

Sur le plan monétaire, rien ne change donc. Et les mêmes causes produiront les mêmes effets. Une autre bulle va se former, ailleurs, sur une autre classe d'actifs, avec d'autres investisseurs… qui pourront emprunter une montagne de monnaie à 0,25 %. Et les premiers signes sont en train d'apparaître sur les bourses asiatiques : les gouverneurs des banques centrales de ces pays se plaignent d'être inondés par les capitaux, en provenance essentiellement des États-Unis, qui s'investissent en actions et un peu dans l'immobilier. Les bulles existent déjà sur certaines dettes publiques, en Allemagne, au Japon, aux États-Unis. Et il y aura vraisemblablement une bulle dans les pays émergents dont la croissance séduit les financiers qui jugent raisonnable d'y investir, au moins au début. Les banquiers américains ou européens, empêchés par la nouvelle réglementation, et les assureurs européens, contraints par Solvabilité II, laisseront la place aux « non-banques » ou aux banques qui ne sont pas régulées, aux acteurs offshore et aux fonds divers et variés. L'industrie des hedge funds est d'ailleurs en train de se transférer en Asie. Mais le résultat sera le même.

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