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Intervention de Patrick Artus

Réunion du 17 novembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis, professeur de sciences économiques à Paris-I et à l'école polytechnique :

Pas tellement, parce que les entreprises sont très rentables. La vitesse à laquelle elles ont retrouvé le chemin de la rentabilité après la crise est d'ailleurs surprenante. Partout dans le monde, nos entreprises clientes nous disent que, comme elles doivent dorénavant financer leurs investissements par elles-mêmes, elles ne distribuent pas les gains de productivité aux salariés, ce qui augmente les profits et permet de se passer de financements externes. Dès lors, le risque est grand de voir se généraliser ce qui se passe au Japon ou en Allemagne depuis quinze ans : une très forte déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salariés, parce que les entreprises ne veulent plus recourir au crédit ou aux marchés financiers. Ce modèle, on le sait, est extrêmement néfaste pour la demande des ménages puisque les salaires sont structurellement comprimés. Dans votre revue des problèmes, il faut aussi examiner la régulation. La situation est confortable pour le régulateur qui sait que la part des papiers privés dans les portefeuilles va chuter fortement, et avec elle celle des papiers dangereux qui ont aggravé la crise. Si les règles de fonds propres avaient été les mêmes avant la crise, celle-ci en aurait été très atténuée. Mais les adopter aujourd'hui, c'est s'exposer à prévenir la crise passée !

Dans le cadre de Solvabilité II, on procède à des stress tests qui consistent à mesurer l'impact d'une chute des cours des actions de x %, et à évaluer les fonds propres nécessaires pour supporter les pertes correspondantes. On part de l'hypothèse que les assureurs risquent chaque année de devoir vendre la totalité de leurs actions à un prix très bas. Pourtant, un contrat d'assurance-vie dure plus de huit ans, en réalité onze à treize ans. Or, la régulation ne considère qu'un horizon d'un an.

Quant aux banques, on a reproché aux tests auxquels elles ont été soumises de ne pas être assez sévères. Dans leurs comptes, on distingue le livre de trading et le livre bancaire. Dans ce dernier, les obligations ne sont pas évaluées à leur valeur de marché parce qu'elles sont censées être conservées jusqu'à l'échéance. Les stress tests des banques ont porté uniquement sur les portefeuilles de trading, qui sont évalués à leur valeur de marché, en laissant de côté les portefeuilles d'investissement. D'où les critiques anglo-saxonnes, et notamment un article extrêmement sévère du Wall Street Journal, qui souligne que, en cas de défaillance de la Grèce, les banques perdraient y compris sur leurs obligations grecques comptabilisées dans leur livre bancaire. Le stress test reposait sur l'hypothèse qu'il n'y aurait pas de défaut, ni de restructuration de la dette publique des pays européens.

En revanche, les règles prévues dans Solvabilité II pour évaluer les besoins en fonds propres sont extrêmement pénalisantes pour les actions, les obligations privées et les fonds de private equities dans lesquels les assureurs ne pourront plus investir. L'immobilier est un peu mieux traité. Le renforcement de la régulation va dans le bon sens, mais elle comporte, à mon sens, un biais : une incitation exagérée à détenir de la dette publique.

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