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Intervention de Catherine Lubochinsky

Réunion du 10 novembre 2010 à 18h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Catherine Lubochinsky :

De fait, le progrès technique a favorisé l'émergence des plateformes électroniques de transaction, dont le fonctionnement est totalement opaque et qui font une concurrence déloyale aux marchés organisés, dans la mesure où elles ne traitent que les valeurs fréquemment échangées. Il ne reste aux marchés organisés que de petites valeurs, avec lesquelles ils ne peuvent guère faire de profits. Je suis d'accord avec M. Jouyet quand il critique la directive MiFID (Markets in Financial Instruments Directive).

L'autre changement, ce sont les « bulles médiatiques » : les médias financiers, d'une part, manipulent sciemment et, d'autre part, se font manipuler. Prenons l'exemple de la Grèce : il est vrai qu'elle rencontrait des problèmes structurels, mais le montant de sa dette n'était qu'une goutte d'eau par rapport aux ressources des fonds de pension. Il était aberrant de prétendre qu'elle ne pourrait pas se refinancer ! À aucun moment, les médias n'ont souligné que, 30 à 40 % de l'activité économique du pays n'étant pas comptabilisée, les chiffres relatifs au déficit budgétaire ou au niveau de la dette par rapport au PIB n'avaient aucun sens ! Or, les traders étant pour la plupart assez jeunes, ils ne possèdent aucune culture économique et cèdent à la panique dès que quelque chose les inquiète.

Autre exemple de manipulation, l'affaire LVMH. Si ce groupe avait utilisé des equity swaps pour attaquer Gucci, les médias français s'en seraient félicités ; à l'inverse, si un fonds chinois avait acheté Hermès, cela aurait tourné à la crise d'État ! Il faut pourtant savoir ce que l'on veut !

Se pose ici la question des conflits d'intérêts, qui existent à tous les étages et en permanence. Ainsi, tout le monde s'accorde à dire qu'il faut une coopération internationale efficace et une réglementation forte au niveau mondial, mais chacun s'évertue à ce que sa place financière soit la plus performante possible. La concurrence entre les places financières s'est traduite, durant les vingt dernières années, par une déréglementation compétitive ! De même, tout le monde appelle de ses voeux une chambre de compensation mondiale, mais chacun la veut chez lui !

Par ailleurs, il existe d'évidents conflits d'intérêts entre régulateurs et régulés : je vous renvoie sur ce sujet au film Inside Job.

Les régulateurs ont commis une erreur fondamentale, en croyant que le concept de discipline de marché avait un sens. On est revenu de l'autorégulation, dans un environnement où la maximisation du profit à court terme est la seule stratégie qui compte, aussi bien pour les entreprises que pour les banques. Les présidents de sociétés ont l'oeil rivé sur le cours de leur action en bourse, et leur stratégie dépend de celui-ci. Quelle déperdition d'énergie !

En outre, la crise a mis en évidence l'insuffisante coopération entre régulateurs et leur manque de réactivité – il faut dire que, globalement, ils manquent de moyens, tant techniques qu'humains.

Il faudrait que les régulateurs évitent de commettre une autre erreur, qui serait de vouloir contrôler individuellement les produits et les techniques. Plus la régulation est complexe et précise, plus elle est aisée à contourner. Ainsi, la limitation des bonus liés aux performances a donné lieu à la création des primes de management. Les traders pour compte propre sont incités à fonder leur entreprise individuelle. De même, en réponse à Solvency II, qui augmente le coût de détention des actions, les banques vont proposer aux compagnies d'assurance des notes, c'est-à-dire des produits obligataires dont la performance sera indexée sur la performance boursière ! Quant à la réforme Dodd-Frank, elle n'empêchera pas le trading pour compte propre – qui a toujours existé –, car il sera toujours possible pour une banque de trouver un client, et nul ne pourra déceler quand un market maker quittera sa position neutre pour faire du trading pour compte propre. Cette réglementation donne l'impression d'un grand pas en avant, mais elle n'est, je le crains, qu'un écran de fumée.

Alors, existe-t-il des solutions ? Tout d'abord, il me semble indispensable de limiter l'effet de levier, tout en laissant les intervenants faire ce qu'ils veulent en dessous de ce plafond. Ensuite, pour limiter les distorsions de rémunération et les profits exorbitants, il serait bon de les taxer, plutôt que de tenter, en vain, de les interdire, en mettant en place une fiscalité très progressive au-delà d'un certain taux de rendement. En effet, l'interdiction des bonus pourra toujours être contournée par l'attribution de primes.

Une bonne mesure, c'est par exemple la décision que vient de prendre le comité de Bâle III de relever le core tier-one des banques et de n'autoriser que 15 % de titres « à gadget », sans chercher à les réglementer un à un. C'est seulement ainsi que l'on arrivera à réguler la finance.

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