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Intervention de Catherine Lubochinsky

Réunion du 10 novembre 2010 à 18h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Catherine Lubochinsky :

La spéculation est inséparable de l'effet de levier, que tout le monde utilise – à commencer par les ménages qui empruntent pour acquérir leur logement. Or, ce qui est déstabilisateur pour l'économie, ce n'est pas la spéculation, mais l'effet de levier. Les régulateurs devraient donc s'en préoccuper davantage.

La spéculation, quant à elle, est indispensable au marché. Sans elle, la liquidité des marchés serait insuffisante ; on ne pourrait pas réaliser d'opérations de couverture – qui sont la justification économique de l'existence des produits « dérivés ».

Par ailleurs, les spéculateurs achètent lorsque les prix sont sous évalués et vendent lorsqu'ils sont surévalués. On peut donc considérer qu'ils contribuent au bon fonctionnement du mécanisme de formation des prix – à la formation de prix « justes ». Cependant, les financiers et les économistes se plaisent à rappeler que, si les marchés sont efficients, il est, en moyenne, impossible d'y réaliser des profits. Peut-on estimer ces derniers ? M. Pérol a assuré que la Fédération bancaire française ignorait comment se répartissaient les profits bancaires entre ceux qui proviennent des activités classiques de distribution de crédit et ceux qui sont liés aux opérations de marché, et que, parmi ces dernières, aucune distinction ne pourrait être faite entre celles qui sont réalisées pour le compte de tiers et celles qui sont faites pour compte propre. De deux choses l'une : soit les banques ne collectent pas ces données, et c'est grave ; soit elles le font, mais elles ne les transmettent pas aux autorités compétentes – au premier rang desquelles l'Autorité de contrôle prudentiel. Et c'est un manque de transparence.

À titre personnel, j'aimerais bien connaître le montant des profits réalisés pour compte propre à moyen terme. On peut en effet se demander si les profits des activités de banque de financement et d'investissement – corporate investment bank ou CIB – ne résultent pas essentiellement des commissions prises sur les énormes volumes de transaction et des marges prélevées sur les produits dérivés complexes non standardisés, produits qui se caractérisent par leur opacité et sur lesquels les banques font des marges conséquentes. Cela expliquerait pourquoi les banques refusent d'échanger certains produits dérivés sur les marchés organisés ; le LIFFE (London International Financial Futures and options Exchange), le marché à terme britannique, a ainsi échoué à plusieurs reprises à introduire des swaps.

Ce ne sont ni les produits, ni les techniques qui posent problème, mais – je le répète – l'effet de levier, qui peut être utilisé avec des produits très simples. En 1929, les marchés de produits dérivés n'existaient pas ! On peut donc avoir des crises violentes sans cela, mais il est tellement plus simple de trouver un bouc émissaire…

Souvenez-vous de la faillite du fonds de pension des fonctionnaires du comté d'Orange, en 1994. À l'époque, son trésorier, Robert Citron, était persuadé que les taux d'intérêt allaient baisser. Il a donc mis ses obligations en pension auprès des banques afin de réaliser des plus-values sur les prix. Il prêtait les obligations contre des espèces, avec lesquelles il achetait de nouvelles obligations, qu'il mettait à leur tour en pension, et ainsi de suite. Une augmentation des taux, qui se traduit par une variation sept à huit fois supérieure des prix « grâce » à l'effet de levier, a mis le fonds en faillite. Il n'y a pas eu besoin de produits dérivés : tout s'est fait par des opérations de prise et de mise en pension, ce que font régulièrement toutes les banques centrales du monde.

Ne jetons donc pas la pierre aux produits dérivés. Je rappelle qu'il en existe de deux sortes : ceux qui sont échangés sur les marchés organisés et réglementés, dont les volumes et les prix sont connus, et ceux qui sont échangés sur les marchés de gré à gré, dont beaucoup sont standardisés – comme les swaps de taux d'intérêt –, mais pas tous. Il est difficile de connaître les volumes en jeu, mais les statistiques publiées par la Banque des règlements internationaux, la BRI, montrent qu'ils sont très importants.

Le problème de ces marchés réside dans leur opacité, en particulier pour les produits dits « exotiques ». Pour vous donner un exemple, une grande banque d'investissement propose un produit permettant de se couvrir contre le « biais de convexité » dû à l'inflation – en clair, la toute petite partie non linéaire, la dérivée seconde, dans l'évolution de la relation prix-rendement. C'est dire si l'imagination des financiers ne connaît pas de limite !

Pour remédier à cette opacité sur les dérivés de gré à gré, les régulateurs ont souhaité imposer le passage par une chambre de compensation centrale, afin de savoir qui a vendu et qui a acheté. Certains estiment que ce système est trop compliqué pour pouvoir s'appliquer aux produits dérivés non standardisés. Selon moi, la solution est simple : si les banques veulent vraiment continuer à vendre des produits exotiques, je préconise qu'on leur impose une couverture intégrale en fonds propres, afin de neutraliser le risque.

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