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Intervention de Jean-Paul Gauzès

Réunion du 3 novembre 2010 à 18h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Jean-Paul Gauzès :

C'est un grand honneur d'être invité à témoigner devant votre commission. Le sujet est vaste et vos questions, monsieur le rapporteur, sont difficiles.

Je suis député européen depuis 2004. Lorsque, en 2004-2005, le Parlement avait demandé au commissaire chargé du marché intérieur et des services, M. Charlie McCreevy, de préparer des éléments de régulation, celui-ci avait fait la sourde oreille. En libéral convaincu, il pensait qu'il ne pouvait pas se produire de catastrophe dès lors que les marchés s'autorégulaient.

Nul ne pouvait prédire, même deux mois avant, la faillite de Lehman Brothers. Celui qui l'aurait fait aurait été qualifié de fou, bien qu'il y eût des signes. Toujours est-il qu'après cette faillite, M. McCreevy s'est converti et, comme tout nouveau converti, il est devenu empressé.

Il a demandé à ses services de préparer deux textes, l'un sur les agences de notation, l'autre sur la régulation des fonds alternatifs – à tort appelé « directive hedge funds » dans la mesure où les hedge funds ne représentent qu'environ 25 % de la masse.

Le premier, adopté en septembre 2009, est un règlement : comme il n'existait pas de législation dans les États membres, il était plus facile et plus efficace d'utiliser cette voie. J'en ai été le rapporteur – et je suis à nouveau rapporteur pour la mise en oeuvre de cette supervision européenne. Nous étions les premiers à appliquer la feuille de route du G20 ; la réglementation mise en place est pragmatique et, je crois, efficace, mais elle va être améliorée.

Conformément à mon souhait – mes collègues avaient bien voulu me suivre sur ce point –, le texte initial prévoyait que l'autorité européenne des marchés financiers, l'ESMA – european securities and markets authority – serait chargée de la supervision des agences. Nous travaillons maintenant à un règlement modifiant celui de 2009 afin de mettre en place la supervision européenne, puisque l'ESMA fonctionnera à partir du 1er janvier 2011. Dans l'intervalle, il y a eu des dispositions transitoires.

Par ailleurs, le Parlement européen – qui, je le rappelle, n'a pas de pouvoir d'initiative – est en train d'élaborer un rapport d'initiative. J'avais souhaité cette procédure pour éviter que d'autres questions surgies plus récemment, en particulier la notation des dettes souveraines, interfèrent avec la mise à jour du règlement. Quant à la Commission, elle devrait faire une proposition législative au premier semestre 2011. Cela dit, nous avions déjà réfléchi en 2009 à ces problèmes très difficiles et nous n'avions pas trouvé de solution.

Le deuxième texte est la directive sur les fonds alternatifs. À l'origine, il s'agissait de réguler les hedge funds, jusqu'à ce que la Commission s'aperçoive que ceux-ci ne pouvaient être définis. On ne peut en effet qu'en indiquer les caractéristiques – jeu contracyclique, utilisation de méthodes telles que le short selling pour obtenir la meilleure rentabilité en prenant le moins de risques possible. Au demeurant, la traduction littérale de hedge funds est « fonds de couverture ». Faute de définition des hedge funds, donc, la Commission a décidé que la directive viserait tout ce qui n'était pas OPCVM – organisme de placement collectif en valeurs mobilières, ou, en anglais, UCITS, undertaking for collective investment in transferable securities –, et par voie de conséquence les fonds immobiliers et le capital investissement, ou private equity.

De l'aveu même de ses rédacteurs, la directive, rédigée à la hâte, n'était guère satisfaisante et nécessitait d'être revue. C'est ce qu'a fait le Parlement, où j'ai été désigné rapporteur. Nous avons accordé la priorité aux problèmes qui touchent directement nos concitoyens, en recherchant la transparence au lieu de l'opacité et en essayant de faire en sorte que ces fonds servent à l'économie réelle, plutôt que de faire planer sur elle des risques considérables. Nous avons différencié les formes de fonds et introduit des dispositions qui, dans le cadre du « trilogue » – concertation, dans le cadre de la codécision, avec la présidence de l'Union et la Commission –, ont été retravaillées pour arriver à un compromis sur lequel le Parlement votera le 11 novembre.

Entre-temps a été adopté un autre texte, que l'on peut qualifier d'historique, organisant la supervision européenne de l'ensemble des acteurs financiers. La règle voulue par Mme Angela Merkel et par d'autres est devenue le leitmotiv du commissaire actuel, M. Michel Barnier : aucun acteur, aucun territoire ne doit échapper à la régulation et à la supervision dès lors qu'il s'agit d'activités financières. On n'en est plus à dire que l'on ne doit réguler que le risque systémique : il faut réguler le risque financier. Pour autant, la régulation doit être proportionnée – forte quant le risque est important, relativement légère quand il est faible.

Ce système de supervision a donné lieu à une bataille entre les États membres et le Parlement européen. En décembre 2009, après avoir négocié entre eux, les ministres de l'économie et des finances ont publié un communiqué aux termes duquel la supervision « européenne » serait nationale et, pour faire plaisir à la Grande-Bretagne, sans incidence sur le budget de l'Union. Dans les deux heures qui ont suivi, les coordinateurs des principaux groupes politiques de la commission des affaires économiques et monétaires – libéraux, socialistes, verts et Parti populaire européen, auquel l'UMP est rattachée et dont je fais partie – ont publié un communiqué rappelant que cette initiative était contraire au principe de codécision et que le Parlement souhaitait qu'il y ait de l'Europe dans la supervision. La négociation qui s'en est suivie, sous les présidences espagnole puis belge, a été difficile, mais finalement le texte de compromis a fait une part réelle à la supervision européenne. Si l'on n'est pas allé jusqu'à une supervision européenne des groupes transfrontaliers comme BNP-Paribas ou la Société générale, les trois agences européennes ont un réel pouvoir de décision, de coordination et d'injonction sur les régulateurs nationaux qui, dans chacun des trois secteurs, conservent une autonomie fonctionnelle.

Nous espérons, comme tout législateur, que les dispositions adoptées auront des effets bénéfiques. Les avancées me semblent significatives en matière de transparence et de clarté. Pour le capital investissement, il est prévu une information des salariés de l'entreprise cible, ainsi que des actions contre le dépeçage : un fonds ne doit pas « vampiriser » l'entreprise en mettant les salariés dehors quelques jours ou quelques mois après l'avoir achetée et en transférant les outils de production dans d'autres pays – le Parlement européen est peut-être plus attentif que les États membres aux images qui, même si seule une minorité de fonds fonctionne ainsi, ont frappé nos concitoyens. Quant à l'information des salariés de l'entreprise cible, elle ne découvrira rien de la vie de l'entreprise. Le lobbying contre la directive a été intense, on a fait courir l'idée que l'on allait tuer les PME, tarir les financements... Tout cela était évidemment faux.

Ces dispositions peuvent-elles nuire à la compétitivité ? Les tenants d'un libéralisme total vous réaffirmeront qu'il faut laisser faire le marché. On a vu ce qui pouvait en résulter ! Après treize mois passés sur ce dossier, j'estime que les règles nouvelles ne seront pas gênantes pour ceux qui travaillent correctement. Les autres seront obligés de réduire la voilure et ce n'est pas une mauvaise chose. L'économie réelle ne pourrait pas supporter une succession de crises : nous avons réussi à faire face une fois, nous ne le pourrons pas deux ou trois fois.

L'argument majeur que l'on nous oppose est que les fonds n'ont pas contribué à la crise et que, bien au contraire, ils permettent d'alimenter l'économie. Certes, les hedge funds ne sont pas à l'origine de la crise, mais la masse de finances transitant par ces fonds est telle qu'on ne peut nier le risque d'amplification. C'est d'autant plus vrai qu'aujourd'hui, le « trading automatique » permet de nouer et de dénouer des opérations financières en moins d'une seconde, à tel point que le Parlement européen se demande s'il ne faut pas fixer un minimum, par exemple en interdisant les opérations à la nanoseconde. On est, là, très loin des besoins de l'économie réelle : c'est du jeu de casino.

Notre objectif n'est nullement de détruire l'industrie financière européenne ou de réduire sa compétitivité, mais de donner des signaux. Ces mesures de régulation de la finance doivent être prises au moins au niveau européen, l'idéal étant bien sûr qu'elles le soient au niveau international ; encore faudrait-il qu'il existe une volonté politique pour cela, plutôt que – business as usual – l'envie de faire comme si rien ne s'était passé.

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