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Intervention de Jean-Claude Gruffat

Réunion du 10 novembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Jean-Claude Gruffat, directeur général de Citigroup France :

C'est ce qu'ont fait les Américains.

Les pertes sur AIG, seules pertes constatées, seront peut-être partiellement récupérées. Cette compagnie s'était lancée dans l'assurance-crédit et avait assuré massivement des portefeuilles bancaires d'institutions qui achetaient du papier de mauvaise qualité – dont, c'est bien connu, de grandes banques françaises et de grandes banques américaines, parmi lesquels Goldman Sachs, mais pas Citigroup. Quand les credit default swaps (CDS) ont été actionnés, on n'a pu que constater les pertes. Le gouvernement américain a pris le contrôle parce que plusieurs gouvernements européens ont demandé à ce que ces CDS soient honorés, mais aussi parce qu'il y avait 20 000 emplois à la clef à New York et que le gouverneur de l'État de New York était intervenu.

Le défaut d'AIG, celui de Fannie Mae et de Freddy Mac – les agences de refinancement de la dette hypothécaire américaine – et celui de GMAC – filiale de crédit de General Motors – ont abouti à 100 à 150 milliards de dollars de pertes. Cela étant, sur les 750 milliards prêtés au système bancaire américain, tout le reste a été remboursé avec des intérêts substantiels. Citigroup, par exemple, a remboursé toute la partie qui n'avait pas été convertie et le Trésor a déjà vendu quelque 15 des 27 % qu'il détenait sur le capital de l'établissement, et il continue à vendre au fil de l'eau en dégageant du profit.

Pour contestables ou regrettables que l'on puisse les juger, ces interventions qui ont mis en jeu le crédit de l'État ont donc été remboursées.

En même temps, puisque les banques ne se prêtaient plus entre elles, les États ont eu à assurer le financement du système bancaire et financier, en apportant leur garantie. Ainsi en Europe : les gouvernements belge, français et luxembourgeois ont garanti Dexia, la BNP a repris Fortis, etc. Cela a conduit à ce paradoxe que, si les banques n'ont pas été nationalisées, la dette du secteur financier l'a été, elle, assez largement, si bien qu'elle s'est transformée indirectement – ou directement, par le mécanisme des cautions – en dette des États.

Comme les remboursements ne sont pas toujours intervenus, ces sommes sont venues aggraver l'endettement des pays. Selon des chiffres récents, le rapport global de la dette au PIB dans l'Union européenne est de 85 %, en complet décalage avec la règle vertueuse des 60 % – et je passe sur celle des 3 % de déficit budgétaire par rapport au PIB ! À ces chiffres s'ajoutent ceux de l'endettement privé. Aux États-Unis, l'ensemble de la dette des ménages et des entreprises du secteur concurrentiel et du secteur public représente 300 % du PIB.

Ces dettes sont-elles remboursables ? Cette question nous renvoie à celle de la spéculation. S'il existe une spéculation sur les dettes des États, c'est parce que l'on perçoit une vulnérabilité croissante de ceux-ci, qui, à quelques exceptions près, ont vu leur endettement aggravé par leurs déficits structurels puis par la crise.

La situation ne peut être réglée par les méthodes traditionnelles, à savoir l'inflation, la dévaluation ou la croissance. L'inflation est faible, la dévaluation est exclue. Pour ce qui est de la croissance, alors que les taux de reprise de l'économie américaine après les crises précédentes – certes moins longues et moins sévères – étaient de 6 à 8 %, les taux actuels sont compris entre 1,5 et 2 % seulement. Et même si l'Europe connaît des taux de 2 %, c'est-à-dire la moyenne annuelle de la croissance des économies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cela ne permettra pas de rembourser la dette. Des études menées en particulier par les économistes de Citigroup indiquent que, pour revenir à la règle de 3 % de déficit public, les États devraient générer d'ici à 2030 un surplus budgétaire annuel de l'ordre de 4 % avant paiement des intérêts de la dette !

Faute donc de pouvoir compter sur les méthodes traditionnelles, on n'échappera pas à des phénomènes de « restructuration », étant entendu que le terme « défaut » est banni du vocabulaire – la distinction entre les deux reposant sur le fait que le défaut se définit par son caractère unilatéral alors que la restructuration implique une décision bilatérale.

Un exemple de défaut : celui de l'Argentine en 2001 – il en a coûté 2 milliards à Citigroup à l'époque. Du jour au lendemain, le gouvernement a annoncé que la monnaie était dévaluée et que les contrats de change à terme ne seraient pas honorés. La décision n'a fait l'objet d'aucune concertation, pas même avec le Fonds monétaire international.

Lors d'une restructuration, au contraire, le débiteur indique à ses prêteurs qu'il n'est pas en mesure de rembourser et demande des facilités de paiement : allongement de la durée du crédit, réduction du taux d'intérêt, etc.

Lorsque l'on observe les conditions auxquelles les pays qui posent problème actuellement dans la zone euro – Grèce, Portugal, Espagne, Irlande – empruntent sur les marchés et la façon dont leur dette se traite sur le marché secondaire, on constate des écarts très importants avec l'Allemagne, la France ou la Grande-Bretagne. Cette différence n'est rien d'autre que l'anticipation de restructurations se traduisant par un abandon de créances de 25 % à 30 %. C'est ce qui explique les phénomènes de spéculation : le marché s'attendant à une restructuration, il va shorter (vendre à découvert) le papier. Il ne croit pas les gouvernements ni le gouverneur de la Banque centrale européenne quand ceux-ci affirment que les dettes des pays souverains seront honorées.

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