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Intervention de Jean-Claude Gruffat

Réunion du 10 novembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Jean-Claude Gruffat, directeur général de Citigroup France :

Je commencerai par quelques remarques sur les mécanismes de spéculation qui affectent le fonctionnement des économies, notamment sur ceux qui déstabilisent la monnaie et les titres souverains européens.

Première remarque : le monde croule sous la dette. L'excès de liquidité créé au cours des dernières décennies par les surplus des pays exportateurs a provoqué l'apparition de bulles spéculatives dans les pays dits développés. Les institutions financières, en dépit de quelques exceptions vertueuses, y ont contribué en prêtant de manière excessive sur des valeurs futures potentielles, et non conservatrices.

La crise trouve pour partie son origine dans un modèle qui s'est largement développé aux États-Unis et qui a provoqué une détérioration du sens du risque. Ce modèle consistait à « originer, structurer et distribuer ». En d'autres termes, les institutions financières prenaient des actifs financiers mais ne les gardaient pas : elles les distribuaient à un marché plus large que le marché bancaire, donc à un public d'investisseurs, si bien qu'on les retrouvait parfois dans les portefeuilles de particuliers sous la dénomination de « SICAV dynamiques », par exemple. De tels produits offraient un rendement supérieur aux taux du marché, moyennant, bien entendu, un profil de risque différent.

Le sens du risque s'est trouvé émoussé dans la mesure où les institutions financières ne portaient plus le crédit jusqu'à son terme. Sans doute se montrent-elles bien plus responsables lorsqu'elles savent qu'elles seront affectées par leurs décisions mais, lorsqu'elles se contentent de structurer un crédit et de le distribuer à des investisseurs qui, eux, n'ont pas forcément effectué toutes les analyses nécessaires pour apprécier la pertinence et la sûreté de tels actifs, il en va autrement.

Le recours à ce modèle s'est trouvé exacerbé aux États-Unis avec la crise des subprimes : des acquéreurs potentiels de biens immobiliers qui n'avaient pas les revenus suffisants pour souscrire un crédit hypothécaire classique ont eu accès à un crédit dit subprime, c'est-à-dire assorti d'un taux d'intérêt plus élevé mais aussi de facilités de remboursement, d'exonérations et d'exemptions pendant une période – par exemple de la possibilité de ne pas commencer à rembourser le principal tout de suite. Tous ces crédits étaient « originés » par des courtiers dont l'activité ne faisait l'objet d'aucune réglementation. Ils étaient ensuite achetés par des banques d'affaires qui les « structuraient » pour en faire des produits financiers découpés en tranches à risque dégressif. Après intervention des agences de notation, les mêmes banques d'affaires distribuaient ces crédits, qui se retrouvaient alors dans les portefeuilles d'investissement des institutionnels et des particuliers.

Pour assurer la liquidité de ces investissements, des lignes de support, ou back stop, étaient procurées puisqu'une partie des portefeuilles était financée par du papier commercial émis sur les marchés – ces lignes sont en effet destinées à refinancer un tel papier lorsqu'il ne trouve pas à se placer. Les banques ne supportaient donc ni le risque de liquidité ni le risque de crédit. Cela étant, lorsque la crise a éclaté à la fin de 2006 et au début de 2007, on a activé les lignes de back stop car les papiers commerciaux n'assuraient plus le refinancement. Il y a eu dès lors un effet boomerang sur le bilan des institutions financières, qui se sont trouvées confrontées à la fois au risque de liquidité et au risque de crédit qu'elles avaient cherché à écarter.

Cette crise a provoqué l'intervention des États et des banques centrales. Si les institutions financières américaines ont été plus fortement affectées que les autres, la plupart des États ont soutenu les établissements nationaux en procurant des garanties, tandis que les banques centrales injectaient de la liquidité et achetaient du papier. Du reste, avec son nouveau programme d'émission de 600 milliards de dollars, la Federal Reserve montre qu'elle poursuit cette politique de quantitative easing.

Dans certains cas, dont celui de Citigroup, l'intervention a dû aller plus loin. Certains établissements ont été purement et simplement nationalisés. Pour d'autres, les États ont garanti une partie du portefeuille et pris des actions de préférence qui, parfois, ont été converties en actions de droit commun.

Juste avant la crise, Citigroup était la première banque du monde en termes d'actifs, avec un total de bilan de l'ordre de 2 400 milliards de dollars, des fonds propres très importants et une capitalisation boursière d'environ 250 milliards de dollars. À la fin de 2006, la valeur du titre en bourse était de 56 dollars. Au pire moment de la crise, elle est tombée à 1 dollar – soit une baisse bien supérieure aux 70 % dont vous faisiez état, monsieur le président.

Les recapitalisations, massives, se sont faites de façon différente aux États-Unis et en Europe. La Société générale ou le Crédit agricole, par exemple, ont levé des fonds auprès de leurs actionnaires, qui ont répondu favorablement. Les établissements américains, parmi lesquels Citigroup, ont d'abord sollicité les fonds souverains – Abu Dhabi, Singapour, la Norvège, le Qatar, le Koweït, etc. –, puis, comme cela n'a pas suffi, se sont tournés vers leurs gouvernements. Ceux-ci ont pris des actions de préférence, avec des warrants attachés qui leur assuraient un bonus en cas de retour à meilleure fortune.

S'agissant de Citigroup, le Trésor américain a fourni un soutien de 45 milliards de dollars, en deux tranches de 20 et de 25 milliards, et la Federal Deposit Insurance Corporation – la FDIC, l'organisme fédéral qui assure les dépôts des particuliers – a garanti un portefeuille d'actifs dits toxiques de plus de 300 milliards. Sur sept trimestres consécutifs, les pertes du groupe ont atteint 110 milliards de dollars. Mais la recapitalisation, par dilution massive des actionnaires, est telle aujourd'hui que nous sommes mieux capitalisés qu'avant la crise. Les actionnaires antérieurs ont été « lessivés », les dirigeants ont été changés : on a donc une équipe nouvelle et des actionnaires nouveaux, situation que l'on a peu vue en Europe. La sanction du marché a été effective.

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