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Intervention de Rachel Silvera

Réunion du 3 novembre 2010 à 14h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Rachel Silvera :

La révision du rapport de situation comparée en 2007 aurait pourtant dû inciter les entreprises à l'effectuer. Il y a eu une volonté d'instituer une plus grande précision en introduisant en plus des écarts moyens, les écarts médians.

Il conviendrait également de prendre en compte d'autres indicateurs en matière d'égalité salariale. Mais ce travail nécessite une expertise importante. Si l'on regarde les indicateurs définis par le décret d'application ou les leviers proposés par le rapport de Brigitte Grésy, on ne voit pas seulement la photo de l'entreprise, mais son film ; on pourrait même obtenir une image en trois dimensions en comparant les rémunérations et les valorisations d'emplois de nature différente au sein d'un même établissement.

Aujourd'hui, une entreprise sur deux ne fait pas le RSC et quand elle le fait, elle ne prend pas toujours en compte l'ensemble des indicateurs pertinents. Donc, malgré les prescriptions légales, peu d'entreprise ont effectué un tel travail sauf les plus grandes qui font appel à des organismes extérieurs. Cela a notamment été le cas de la société Air France. Il faudrait qu'il y ait un organisme public compétent pour réaliser ces études. Cela pourrait être le rôle de l'ANACT, par la création d'un secteur spécifique dédié à la question de l'égalité salariale car les partenaires sociaux ne sont pas, en l'état, en mesure d'y procéder.

Autre élément d'actualité, la jurisprudence issue du cas Bastien. La Cour de Cassation a validé le fait que le poste de directeur des ressources humaines bénéficie de la même reconnaissance que le poste de directeur financier, notamment en termes de rémunération et d'avantages. Cette décision est très importante.

Je souhaiterais maintenant vous faire part des quelques expérimentations qui ont eu lieu à l'étranger. Au Québec d'abord, une loi proactive sur l'égalité salariale a permis de mettre en place des méthodes d'évaluation non discriminantes et un rattrapage salarial. En Belgique, la mise en place de cycles de formation dans le cadre de la méthode « EVA » pour évaluer et la conduite de débats publics ont fait avancer la question. En Suisse enfin, une méthode a vu le jour, permettant d'effectuer des analyses de cas poussées de comparaison entre différents métiers.

Dans ces pays, une volonté d'évaluer les emplois selon une optique non discriminante en matière de genre a émerge. Cette approche est rendue possible par l'existence d'une volonté politique, par l'implication très forte des syndicats et par le développement d'un champ de recherche développé en matière de gender studies. Dans notre pays, ces acteurs ne se rencontrent pas assez. Au Québec, des chercheuses dits « féministes » ont impulsé, en tant qu'ergonomes, des études auprès des entreprises dans un objectif de lutte contre les discriminations. Elles ont pu démontrer par exemple que la charge portée par les caissières de supermarché était équivalente à celle des manutentionnaires. Cela participe au repositionnement de certains emplois à prédominance féminine.

Dans mon dernier ouvrage, j'ai procédé à une étude de cas portant sur cinq comparaisons entre des emplois à prédominance féminine et masculine : assistantes de gestion et responsables de secteur, gestionnaires et agents techniques, infirmières et agents chefs, agentes d'entretien et ouvriers professionnels, attachées territoriales et ingénieurs territoriaux.

Cette étude de cas a montré ses limites. Nous ne sommes pas encore parvenus à mettre en place une nouvelle méthode de classification non discriminante des emplois car en France, le système de classification des emplois est très complexe : chaque branche à sa propre classification, des entreprises appliquent des méthodes d'évaluation qui leur sont spécifiques. D'ailleurs, dans les entreprises du secteur privé il est encore très difficile de savoir comment sont évalués les emplois. Par conséquence, nous avons travaillé avec des collectivités territoriales et une entreprise du secteur de l'eau car dans les fonctions publiques les postes sont en général définis de façon transparente.

Nous avons effectué des comparaisons entre des emplois repères : emplois administratifs de gestion avec des emplois de responsables de secteur ; des d'infirmières avec des agents chefs en charge de la maintenance des locaux ; des attachés avec des ingénieurs territoriaux.

Les résultats obtenus sont en adéquation avec ceux des expérimentations étrangères. Une première synthèse nous a permis de tirer les conclusions suivantes :

- du côté des emplois à prédominance masculine, un « vrai métier » qui s'appuie sur des techniques précises bien délimitées. Il existe une « culture métier » forte avec des revendications collectives clairement exprimées, y compris à l'hôpital où les agents chefs ont obtenus des éléments de reconnaissance qui font en partie défaut aux infirmières ;

- du côté des emplois à prédominance féminine, les compétences sont souvent « invisibles », non reconnues. Il s'agit souvent d'emplois « fourre-tout » comme ceux d'assistante de gestion, fonctions très personnalisées avec une prise d'initiative individuelle qui dépasse ce qui est prescrit et qui n'est donc pas rémunérée en conséquence. Les revendications sont moins collectives ;

Selon que le métier soit dit « d'hommes » ou « de femmes », les notions de qualification, de pénibilité, de technicité, d'encadrement, de rôle du diplôme, ou encore la polyvalence sont plus ou moins bien valorisés.

Jean-Luc Pérat. Ceci provient en grande partie du fait que les évaluations au départ ont été faites par des hommes. Cela pose la question du comité d'évaluation qui a participé à votre étude. S'agissait-il d'un comité mixte ? Autre chose : quand on voit une femme qui fait un métier d'homme, on a tendance à « compatir ». Ne faudrait-il pas que nos représentations changent en tout premier lieu ?

Rachel Silvera. L'évaluation a été faite sur la base des fiches de postes fournis par les employeurs. A l'origine de ces évaluations, il est vrai qu'il n'y a pas de procédure transparente associant les salariés eux-mêmes. En tous les cas, le comité qui met en oeuvre la méthode d'évaluation devrait être mixte, le plus près possible des salariés concernés et avec une formation suffisante. La représentation, c'est-à-dire la présence de femmes, n'est pas une garantie en elle-même.

En ce qui concerne la pratique par des femmes de métiers dits « d'hommes », elle s'accompagne souvent d'une amélioration des conditions de travail, ce qui s'avère positif pour tout le monde. On a aussi le cas de métiers dits « de femmes » qui sont pénibles, mais dont la pénibilité est déniée par celles qui le pratiquent. C'est le cas des infirmières par exemple mais cela est particulièrement vrai pour les emplois de services en raison du stress et des difficultés que la relation implique.

Pour les qualifications, on a constaté qu'entre emplois à prédominance féminine et masculine, le diplôme n'est pas reconnu de la même façon : c'est le cas pour les infirmières alors que les agents chefs qui n'ont en général qu'un CAP. L'expérience et ce qui est informel n'est pas non plus valorisé à l'identique

On a, en outre une difficulté à associer la technicité avec des emplois de service ou des emplois relationnels. Les infirmières du secteur psychiatrique procèdent à des entretiens individuels avec les malades, ce qui de fait requiert une importante technicité. Or, la technique est d'abord ce qui est visible, ce qui est construit.

De même, les responsabilités d'encadrement sont survalorisés chez les hommes. Pour l'agent chef qui encadre une équipe, cette fonction est reconnue. L'infirmière a la responsabilité de malades, mais cela n'a pas la même valeur. Encadrer reste une caractéristique des emplois masculins.

Enfin, en termes de pénibilité et de conditions de travail, on ne considère que ce qui est visible donc la charge physique, la charge émotionnelle et mentale est sous évaluée.

Depuis février 2010, un groupe de travail a été constitué à la Halde composé de chercheurs, responsables des ressources humaines de partenaires sociaux (sauf le Medef qui n'a pas répondu), de consultants et des institutions concernées. Ce groupe étudie les classifications existantes comme celles du commerce ou des assurances pour analyser les critères étudiés. Souvent ceux-ci sont redondants ce qui aboutit à coter doublement des emplois dits masculins. Nous avons pour objectif d'élaborer, pour la fin 2011, un guide repère pour que el s personnes concernées puissent s'y référer quand on révise les classifications ou pour apprécier leur propre position.

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