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Intervention de Rachel Silvera

Réunion du 3 novembre 2010 à 14h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Rachel Silvera :

Je voudrais souligner, en préalable, que le travail que j'effectue autour de la question de l'égalité salariale retient une approche plurielle de cette question. J'avais exposé ce point dans une étude intitulée « Le salaire des femmes, toutes choses inégales par ailleurs », publiée en 1993, qui montrait qu'une approche traditionnelle qui se cantonne à une lecture purement économique de la question des inégalités de salaire entre les hommes et les femmes était insuffisante à expliquer les écarts de salaire.

En effet, d'autres variables doivent être prises en considération, et parmi elles, la question du mode de négociation salariale. Or, on constatait que l'égalité entre les hommes et les femmes était rarement intégrée dans les négociations annuelles obligatoires. On négociait peu, et cette question quand elle était traitée, faisait, le plus souvent, l'objet de négociations distinctes, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays européens tels que la Suède et les autres pays nordiques. Il est pourtant essentiel de ne pas opérer de dissociation, sur les salaires au moins, entre les différentes formes de négociations car cela aboutit à l'absence de tout « gender mainstreaming ». Malheureusement c'est toujours le cas, et les accords égalité restent de toute façon trop peu nombreux et leur contenu est très insuffisant.

Les seules variables économiques étant insuffisantes à expliquer les écarts salariaux, cela doit conduire à prendre en compte d'autres variables comme les stéréotypes ou la prise en compte de la valeur du travail en tant que telle. Cela revient à raisonner en terme d'emploi à valeur comparable et donc à travailler sur l'évaluation des emplois. Ce principe existe en droit français depuis la loi de 1972 qui disait bien que le « salaire égal » devait s'entendre pour un travail de « valeur égale ». Pourtant c'est une approche qui est restée un angle mort.

Un premier groupe pilote sur ce sujet a été initié à la HALDE. Ces travaux ont fait l'objet d'une publication intitulée : « Comparer les emplois entre les hommes et les femmes. De nouvelles pistes vers l'égalité salariale ». A la suite de cette étude, un groupe de travail a été crée, dont les conclusions seront délivrées courant 2011.

En effet, les inégalités de salaires sont généralement étudiées à poste égal, ce qui permet de mettre en évidence une partie de la discrimination salariale. Mais sur cette base, la plupart des accords d'entreprise considèrent qu'il n'y a pas d'écart significatif - en dehors de l'ancienneté et de l'âge - ou que ces derniers sont négligeables.

Ce raisonnement est loin d'être suffisant car les hommes et les femmes n'occupent pas en général les mêmes emplois. La ségrégation professionnelle limite donc une telle approche qui aboutit finalement à n'étudier que 10 à 20 % du problème des discriminations salariales. Cela n'empêche pas les actions sur des postes équivalents (carrière, primes…) ni de lutter pour une plus grande mixité - dans les deux sens- qui reste un passage obligé pour lutter contre les inégalités de rémunération. Mais, seule une approche qui repose sur la valeur égale des emplois donc sur l'évaluation des emplois à prédominance féminine par rapport aux emplois à prédominance masculine (c'est-à-dire des emplois où il y a plus de 70 % d'homme ou de femme) permet de vérifier si des discriminations indirectes existent.

Des comparaisons de ce type ont été faites en Suisse, par exemple, ou l'on a cherché à analyser si une infirmière était payée à sa juste valeur en la comparant à un gendarme. Ces différences renvoient à la construction sexuée des métiers, les métiers de service étant associés aux femmes, alors que les métiers de l'industrie sont communément des métiers d'hommes. Cette construction résulte en réalité de présupposés de compétences sexuées et d'une construction basée sur un modèle masculin qui aboutit à ce que ce soit les emplois à prédominance féminine qui dans notre société soient les moins valorisés. L'ensemble de ces constats démontre l'intérêt de compléter la mesure de la discrimination salariale en utilisant le principe de valeur comparable des emplois.

Autre remarque, dans certains pays nordiques où l'on combat l'existence d'une ségrégation verticale qui limite l'accès des femmes aux emplois très qualifiés ou à forte responsabilité, on admet finalement une ségrégation horizontale entre les emplois. Les politiques qui cherchent à l'introduction de la mixité, en incitant des jeunes femmes à accéder à des emplois dits masculins, s'y sont heurtés à des limites sous l'effet des choix personnels. Dès lors, valoriser certains emplois discriminés en raison de leur prédominance féminine constituerait, en attendant plus de mixité, une réponse pour lutter contre les inégalités salariales. En attendant, est-on bien sûr que l'on rémunère à son juste prix l'infirmière, la professeure d'école, l'assistante maternelle, l'assistante de gestion…

On cherche à opérer ce type de comparaisons au sein d'une même entreprise ou d'une collectivité territoriale, entre la professeure des écoles et l'agent technique mais ces comparaisons pourraient également être réalisées à l'échelle de la société. C'est qui se fait au Canada.

C'est enjeu d'actualité d'abord parce que l'accord national interprofessionnel du 1er mars 2004 sur l'égalité qui prévoyait dans son article 13 un « réexamen quinquennal des classifications, des critères d'évaluations retenus dans la définition des différents postes de travail afin de repérer, de corriger ceux d'entre eux susceptibles d'induire des discriminations entre les hommes et les femmes et de prendre en compte l'ensemble des compétences mise en oeuvre ». A ce jour, il n'y a eu aucune application de cette disposition, ni aucune évaluation.

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