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Intervention de Jean-Paul Delevoye

Réunion du 24 novembre 2010 à 9h00
Commission des affaires sociales

Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République :

J'étudierai vos questions de façon plus approfondie ; pour l'heure, j'y répondrai globalement.

Je cite souvent cette phrase d'Élie Wiesel : « Quand je rentrais de l'école, ma mère ne me demandait pas si j'avais bien répondu mais si j'avais posé la bonne question. » Je ne suis pas un décideur politique ; mais, en suivant vos débats, je me demande parfois si vos questions ne dépendent pas de la rentabilité électorale supposée des réponses, ou si vous ne préférez pas le confort des réponses à l'inconfort des vraies questions. Ainsi, la gauche refuse de s'interroger sur la TVA sociale au motif qu'elle serait l'impôt du pauvre, et la droite sur les prélèvements libératoires. Par esprit de système, vous vous êtes interdit de poser les bonnes questions. Or, poser la bonne question, c'est déjà régler la moitié du problème.

En tant que Médiateur, j'essaie de vous inciter, en imposant certaines de ces questions, à restaurer le politique. Chez nos concitoyens, en effet, la perception des enjeux politiques est à la mesure du rejet des comportements politiciens. Or nous sommes, les uns et les autres, enfermés dans une hypocrisie où l'ambition affichée de faire gagner la France dissimule des stratégies de conquête du pouvoir. S'agissant par exemple de la simplification, ne devrait-on pas, pour redonner du sens à l'impôt, le faire peser sur chacun en le prélevant à la source ? De même, les allocations sociales sont-elles conçues pour rétablir les personnes dans leur dignité ou pour ménager les administrations prestataires ? Souvent, les défenses corporatistes, syndicales ou politiciennes priment les intérêts réels des bénéficiaires.

Comment réintroduire du moyen et du long terme, sachant que, dans la sphère économique, les actionnaires ne voient guère au-delà de trois mois, et, dans la sphère politique, les échéances électorales sont à deux ans ? Cette question dépasse nos orientations politiques. Vous avez évoqué la réforme des retraites. En tant que ministre de la fonction publique, j'avais échoué sur ce sujet à faire intervenir de concert M. Jospin et M. Juppé, alors que leur constat, lorsqu'ils étaient à Matignon, était identique à deux lignes près. La pédagogie est essentielle si nous voulons que nos concitoyens s'approprient la décision politique, mais nous ressemblons à des laboureurs qui sèment leurs convictions sur des terres en friche. Le temps nécessaire à l'appropriation de la décision est plus long que celui de la décision elle-même, et nous sommes incapables de développer une pédagogie au terme de laquelle les oppositions politiques, sur la base d'un constat partagé, pourraient s'énoncer clairement. Une telle démarche responsabiliserait les électeurs, dont les choix, aujourd'hui, dépendent plus souvent de leurs intérêts immédiats que des grands enjeux de société. Les démocraties, fragilisées par ce clientélisme électoral, sont à la croisée des chemins : soit elles s'abandonneront aux bas instincts des peuples, soit elles permettront à ces derniers de se réapproprier les grands enjeux. C'est encore plus vrai dans notre pays : les Français sont grands lorsqu'ils croient en la grandeur de la France, et petits lorsqu'ils se sentent abandonnés.

Lors du débat sur les retraites, j'ai essayé, en vain, de faire valoir la question suivante : les travailleurs peuvent-ils financer à la fois les retraites et les dépenses de santé ? La réponse est non. Les impôts ne financent que 10 % de notre système de régulation publique de santé et de retraite, soit beaucoup moins que la moyenne européenne. Pourquoi, dans ces conditions, ne peut-on avoir un débat de fond sur la fiscalité, en oubliant les échéances électorales ? Ce que l'on craint, ce ne sont pas les enjeux eux-mêmes, mais les défaites électorales.

Vous avez dit, monsieur Gremetz, que les sociétés ne devraient pas avoir besoin de médiation. Permettez-moi de rendre hommage à mes ancêtres médiateurs, dans les sociétés africaines, où le rôle du chef, en tant qu'intermédiaire, était d'écouter sans prendre parti.

S'agissant du Défenseur des droits, j'ai plaidé pour que le Médiateur de la République soit élevé au niveau constitutionnel. Mais, il n'aurait pas été possible de ne pas le faire pour les autres institutions de défense des droits, entraînant, de ce point de vue, une hiérarchisation entre elles, que je ne pouvais imaginer. Défendre les droits est une seule et même exigence, quels que soient les droits concernés.

Dans l'affaire d'Outreau, l'attention s'est focalisée sur les personnes injustement emprisonnées, mais personne ne se souvient que douze enfants ont été reconnus victimes par une commission d'État, et indemnisés comme tels. Mme Claire Brisset, qui était allée plaider leur cause, s'était fait « massacrer », passez-moi l'expression, par le président de la cour d'assises et les avocats des parties civiles. Si le Défenseur des enfants était de niveau constitutionnel, l'écoute serait plus attentive et les droits des enfants mieux respectés, et ce dans une plus grande indépendance.

Les citoyens ne s'engagent plus seulement dans les partis politiques ou les syndicats mais, de plus en plus souvent, au sein de structures associatives, jugées, précisément, plus indépendantes. Ce phénomène doit nous interpeller, car il dépasse de loin nos stratégies de conquête du pouvoir. Interrogeons-nous sur le sens et la portée de nos décisions. Contribuer fiscalement dès que l'on gagne un peu d'argent est, par exemple, la logique de l'impôt à la source.

Si le travail finance la protection sociale et la défense de la dignité, l'économie marchande est-elle capable d'offrir un emploi à tous les demandeurs d'emploi ? Je n'en suis pas sûr. Nous devons donc réfléchir à d'autres formes d'emploi. Mes amis de la CGT, qui ont déféré l'association Emmaüs aux tribunaux au motif qu'il n'y avait pas de délégué syndical dans un établissement, ont peut-être raison au regard du code du travail, mais sans doute tort au plan sociologique.

On m'a interrogé sur les logements d'urgence. Si vous les construisez selon les règles, ai-je répondu, il faudra cinq ans ; si vous installez des chalets sans respecter toute la réglementation, il ne faudra que trois mois. La question est donc de savoir s'il vaut mieux respecter scrupuleusement la norme ou répondre à des problèmes de société.

Quant à Pôle Emploi, guichet unique pour la demande d'emploi et les indemnités, c'était en soi un formidable progrès. Toutefois, allier des cultures différentes s'est avéré plus compliqué que faire fusionner des structures : c'est un problème de management, qui suppose que l'on rappelle le sens et l'objet même du projet.

S'agissant du principe de précaution, son usage excessif peut tuer l'initiative. La question, qui n'est ni de droite ni de gauche, est de définir la régulation publique en matière financière. Une administration efficace est une administration réactive et rapide dans l'accompagnement des usagers. Certaines lenteurs actuelles tiennent à l'application du principe de précaution, que l'on invoque, par crainte des procès, pour protéger les responsables. Une telle crainte n'est assurément pas le commencement de la sagesse. S'il faut rétablir le droit à l'erreur pour les fonctionnaires, nos amis syndicats doivent aussi accepter que l'on condamne les fautes. Lorsque je me suis battu, dans l'Est, pour obtenir la suppression du poste d'un chirurgien dont les patients présentaient un taux de mortalité élevé, les syndicats m'avaient objecté qu'il s'agissait d'un ponte. Cessons de défendre l'indéfendable. L'un des effets de la crise a été de stimuler les capacités de réaction de notre société ; l'essentiel doit l'emporter sur l'urgent.

Le rôle du Médiateur est d'aider le politique, qui estime que l'essentiel est de traiter l'urgence, alors que c'est l'essentiel qui devient urgent. J'ajoute que les offres sont très différentes selon les territoires. Ainsi, dans certaines maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), le délai de traitement des dossiers a été réduit de deux ans à trois mois ; dans d'autres, il est d'un an à un an et demi. La mobilisation est donc très différente selon les territoires ; c'est d'ailleurs ce qui fait leur diversité.

Pour revenir à Pôle Emploi, la différence, par rapport aux usagers, est que nos délégués possèdent les numéros de téléphone portable des médiateurs des agences : nous réussissons ainsi à régler les problèmes. On ne peut toutefois pas s'empêcher de poser la question : pourquoi ces numéros de téléphone ne sont-ils pas communiqués directement aux usagers ?

Pour ce qui concerne les caisses d'allocations familiales, à l'époque où leurs fichiers n'étaient pas interconnectés, une personne avait déclaré quatre-vingt-six femmes et cent onze enfants ! Nous nous sommes battus pour rendre cette interconnexion effective ; c'est aujourd'hui chose faite. Il faut aussi évaluer les systèmes informatiques, car ils ont été conçus, non pour aider l'usager, mais pour défendre certains prés carrés. De même, dans le cadre des commissions de surendettement, j'avais obtenu de la Banque de France qu'elle finance les systèmes informatiques de la Chancellerie ; cela fait quatre ans que je me bats pour que les magistrats, en l'absence d'interconnexion informatique des fichiers, n'aient pas à réécrire les dossiers à la main. Il arrive malheureusement que la mauvaise volonté crée des blocages.

Pour ce qui est des retraites, ma proposition relative à l'établissement du salaire annuel moyen n'a pas abouti. Cependant, je ne désespère pas que notre persévérance finisse par payer.

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