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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 24 novembre 2010 à 15h00
Déclaration de politique générale du gouvernement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, il n'a échappé à personne que la décision prise, la semaine dernière, par le chef de l'État de remanier le Gouvernement afin de souder les divers courants de l'UMP n'ouvre pas une nouvelle phase politique, mais s'apparente en réalité à une manoeuvre politicienne, visant à la fois à conjurer le discrédit qui frappe l'exécutif et à préparer les futures échéances électorales.

Ce gouvernement s'inscrit dans la continuité des précédents : même dans le mur, on continue… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous êtes plus que jamais dans les postures idéologiques et les réflexes claniques. Votre discours guerrier n'y change rien.

Les urgences sociales et les difficultés que rencontrent nos concitoyens sont à nouveau ignorées. Votre priorité n'est pas de retrouver le chemin de la croissance, de redonner du souffle à notre économie dans l'intérêt de tous, mais de rassurer des marchés financiers qui spéculent sur les dettes des pays européens et ont décidé de mordre aujourd'hui la main de ceux qui les ont, hier, sauvés du naufrage par une injection colossale de dépenses publiques.

Comme le rappelaient fort à propos les « économistes atterrés » du manifeste publié en septembre dernier, plutôt que de remettre en cause le fonctionnement des institutions européennes, et en particulier celui de la BCE, qui a conduit à confier aux marchés la clé du financement des États, les gouvernements européens se sont engagés, avec la bénédiction du FMI, dans une fuite en avant qui plonge l'Europe entière dans une crise toujours plus profonde.

La situation de la Grèce, de l'Espagne, du Portugal, et maintenant de l'Irlande, hier encore saluée comme un exemple et un miracle économique, devrait ou aurait dû vous alarmer.

Le règne de la concurrence libre et non faussée a fait la preuve de son inefficacité et de sa capacité à détruire jusqu'aux fondements mêmes de la démocratie, c'est-à-dire le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Les peuples paient cash les traités, de Maastricht à Lisbonne ; la démocratie recule devant la dictature des marchés. Le modèle social français lui-même est démonté pierre par pierre. Vous n'avez eu de cesse, depuis 2002, de le mettre à mal à travers la privatisation des services publics, la casse du droit du travail, l'appauvrissement planifié de l'État, la mise sous tutelle comptable de la santé qui menace à présent l'existence même de certains hôpitaux, au bénéfice du privé.

Dernière grande réforme en date, celle des retraites, conduite au pas de charge, sans négociation, contre une majorité de Français qui, une fois de plus, n'a pas eu voix au chapitre. Aucun argument économique ou démographique ne la justifiait, aucune urgence ne la commandait, contrairement à ce que vous avez tenté de faire croire, sinon la volonté de donner aux marchés des gages d'orthodoxie et de calmer très provisoirement la spéculation.

Nos concitoyens subissent le joug que leur impose le dogme de la libre circulation des capitaux et de l'argent-roi.

Il n'y a pourtant pas de fatalité au chômage et à la précarité, pas plus qu'il n'y en a à reculer l'âge de la retraite. Il n'y a pas de fatalité à l'austérité, à la régression sociale, à la dégradation des services publics et au recul de la protection sociale. Il n'y a pas de fatalité ; il y a des choix politiques, il y a des responsabilités : aujourd'hui comme hier, ce sont les vôtres ! La crise, c'est vous !

Comme le rappelait la Cour des comptes en juin dernier, les déficits ne résultent que pour un tiers de la crise économique. Elle est pour les deux tiers le fruit de votre politique et d'elle seule. Vous aurez réussi l'exploit, à l'issue du quinquennat, selon vos propres hypothèses, d'avoir aggravé la dette de 900 milliards d'euros. La dette aura doublé en dix ans de gouvernements de droite !

En cause, la multiplication irresponsable des cadeaux fiscaux en direction des grandes entreprises et des contribuables les plus aisés, à l'exemple du scandaleux bouclier fiscal qui bénéficie, pour les deux tiers des 700 millions d'euros qu'il coûte, aux contribuables qui disposent de plus de 16 millions d'euros de patrimoine.

Un bouclier que vous traînez comme un boulet et que vous voulez faire disparaître en même temps que l'ISF qui, lui, rapporte 4 milliards d'euros. Les plus riches seront une nouvelle fois les principaux bénéficiaires de la réforme fiscale que vous annoncez !

Depuis 2002, vous avez multiplié les niches fiscales et sociales. Leur coût atteint aujourd'hui le chiffre incroyable de 172 milliards d'euros par an, sans compter le coût de l'évasion fiscale, estimé au minimum à 40 milliards d'euros. Au regard des enjeux de la lutte contre les paradis fiscaux, les moyens déployés sont bien timorés. Mais il est vrai que les exilés et fraudeurs en tous genres sont ces riches que vous cajolez en permanence !

Selon une récente enquête de Libération, les entreprises du CAC 40 ont engrangé 41 milliards d'euros de bénéfices au premier semestre et disposent de 146 milliards d'euros de cash. Elles ont néanmoins supprimé 40 000 emplois en cinq ans ! Ce n'est qu'un nouvel exemple des dérives du capitalisme financier que votre politique encourage.

Votre stratégie restera dictée par la concurrence fiscale acharnée à laquelle se livrent les États membres de l'Union européenne. Un dumping fiscal qui se conjugue au dumping social pour conduire aux désastres économiques et sociaux que l'on sait, pour la seule satisfaction du MEDEF et d'une infime minorité de privilégiés. Un dumping qui se traduit par une dégradation des services publics, par une surenchère dans la baisse du coût du travail et par des transferts de charges sur les salariés, les chômeurs et les retraités.

La convergence fiscale avec l'Allemagne, que vous appelez de vos voeux, n'est que prétexte à imposer de nouvelles baisses de l'imposition des grandes entreprises. Les entreprises du CAC 40 paient déjà deux fois moins d'impôt sur les sociétés que les PME. Preuve que la question principale n'est pas l'imposition, mais l'exigence de taux de rendements insoutenables. De fait, la part des dividendes versés aux actionnaires est passée de 3,2 % du PIB en 1982 à 8,5 % en 2007 et de 5 % de la valeur ajoutée à près de 25 %. Et ce, au détriment des salaires, de l'emploi, mais également des dépenses de recherche et de développement, et de l'investissement.

Les baisses d'impôts que vous avez consenties ne sont pas allées à la croissance. Elles iront demain, une fois encore, dans la poche des spéculateurs et conduiront à de nouvelles restrictions budgétaires, déjà annoncées : gel des salaires, gel des dotations aux collectivités locales – qui assurent 75 % de l'investissement public et ne portent que 7,6 % du déficit ; diminution massive du nombre de fonctionnaires dans l'éducation, la santé, dans la gendarmerie et la police nationale, alors que vous ne cessez de nous parler de sécurité, malgré un bilan déplorable ; réduction massive, enfin, des crédits alloués à des secteurs aussi essentiels que la recherche, l'éducation, la santé ou le logement.

Pour réduire les déficits, vous augmentez la pression fiscale sur les classes moyennes et réduisez à la portion congrue le pouvoir d'achat des plus modestes. Tous souffrent et souffriront plus encore demain de l'injustice de votre politique fiscale et budgétaire.

La Fondation Abbé Pierre dénonce les 3,5 millions de mal logés. Le tiers des familles modestes consacre désormais 39 % de son revenu au logement. Au total, 10 millions de nos compatriotes rencontrent aujourd'hui des difficultés pour se loger.

Sur le terrain de l'emploi, Nicolas Sarkozy s'arrange en permanence avec la vérité. Vous ne tiendrez pas davantage vos engagements que vous ne l'avez fait depuis 2007, lorsque vous prétendiez ramener le taux de chômage à 5 % en 2012. La vérité est que le chômage, à son plus haut niveau depuis dix ans, touche aujourd'hui 9,7 % de la population active et plus de 23 % des jeunes actifs. Contrairement à vos déclarations, la plupart des économistes et instituts s'accordent à considérer que le chômage augmentera l'an prochain, du fait de votre politique d'austérité.

Au lendemain de la prestation du Président de la République, les organisations syndicales ont souligné l'absence de propositions nouvelles et déclaré encore ce matin qu'elles n'attendaient rien de votre discours de politique générale.

On ne peut être que consterné par l'absence de propositions en matière de lutte contre la précarité et la pauvreté, à l'heure où l'INSEE souligne que 13 % de nos concitoyens disposent de moins de 950 euros par mois, parmi lesquels près de 4 millions de travailleurs pauvres et plus d'un million de retraités, et alors que la défenseure des enfants, Mme Versini, s'alarme en découvrant qu'environ 2 millions d'enfants vivent sous le seuil de pauvreté !

Nos concitoyens se sont mobilisés massivement pour condamner votre politique et exprimer leur refus des injustices criantes que vous laissez croître et prospérer sous le vernis de vos déclarations, leur refus de vos mensonges et de vos renoncements dans tous les domaines, comme dans celui de l'environnement, puisque vous avez décidé de passer le Grenelle par pertes et profits : vous avez jeté tout ce travail à la poubelle.

Nous vous avons fait des propositions, depuis trois ans, pour financer la retraite à 60 ans, pour promouvoir la relance de l'emploi industriel, mieux répartir les richesses entre capital et travail, pour engager une refonte de notre fiscalité en introduisant le principe d'une modulation des contributions des entreprises en fonction de leur politique sociale. Nous vous avons également fait des propositions visant le relèvement des salaires et des pensions, la taxation du capital, l'interdiction des licenciements économiques dans les entreprises qui réalisent des profits, de nouvelles modalités de l'aide publique au financement des entreprises via la création d'un pôle financier public. Ces propositions visent toutes à conjuguer justice sociale et efficacité économique ; vous les avez méprisées, comme l'ont été nos concitoyens. Du rapport du Secours catholique aux statistiques de l'INSEE, des drames de la souffrance au travail aux mobilisations incessantes des salariés, tous les indicateurs convergent, qui expriment et justifient la défiance de nos concitoyens à l'égard de votre gouvernement et leur exigence d'une autre politique. Ce n'est pas votre responsabilité que vous engagez devant la représentation nationale aujourd'hui, mais l'avenir de notre pays, car vous prenez, en réalité, l'engagement de persister dans l'injustice et l'irresponsabilité.

Monsieur le Premier ministre, les députés de la Gauche démocrate et républicaine, et les Verts, vous refusent la confiance. En cela, ils portent la voix d'une majorité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

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