Vous pouvez même proposer un tarif social accessible aux plus démunis. L'important, c'est que la libéralisation du système aura eu lieu : les prix de l'électricité auront augmenté, les tarifs régulés auront disparu pour la plus grande satisfaction des marchés, les freins dont parle M. Beigbeder auront disparu, non pour que la situation des consommateurs, qu'il s'agisse des ménages, des collectivités locales, des PME ou des PMI, s'améliore, mais pour que celle des marchands d'électricité soit plus profitable.
C'est à cela que vous vous prêtez aujourd'hui en bradant les intérêts de notre pays pour obéir aux lois du marché et vous conformer à une injonction de la Commission européenne. Cet abandon est inacceptable et justifie à lui seul notre demande de rejet.
N'oublions pas qu'à cela s'ajouteront l'augmentation de la contribution aux charges du service public de l'électricité destinée à soutenir l'obligation d'achat des énergies renouvelables – il est question de la faire passer de 4,50 à 7,50 euros –, les hausses motivées par la situation difficile du réseau de distribution et la prolongation de la vie des réacteurs nucléaires ou encore le coût des compteurs dits intelligents.
En parlant d'une augmentation de 20 %, M. Gadonneix avait donc sans doute dit tout haut et trop tôt ce que certains exigeaient et que vous aviez décidé d'accepter.
La deuxième raison qui justifie le rejet de votre texte, c'est qu'en autorisant la création d'un marché de capacités, vous aggravez la spéculation autour des questions énergétiques. Je dis bien « aggravez », car la spéculation existe depuis la libéralisation du secteur électrique, seulement vous allez lui ouvrir de nouveaux horizons.
Ainsi, pour accéder à l'électricité nucléaire d'EDF, les nouveaux opérateurs devront disposer de capacités de production et de capacités d'effacement. Mais comme faire argent de tout est dans l'air du temps, vous annoncez que ces capacités pourront faire l'objet d'échanges sur le marché, donc de spéculation. Nous vous avions déjà demandé en première lecture d'abandonner cette disposition : vous l'avez maintenue. Ainsi, un marchand d'électricité pourra acheter à un autre opérateur une partie de ses capacités d'effacement ou de production pour obtenir une part de la production nucléaire d'EDF. Nous continuons de demander la suppression de cette disposition dont tout fait craindre qu'au lieu de servir les intérêts des consommateurs elle aggrave encore plus la situation du secteur de l'électricité.
Comment d'ailleurs ne pas établir un lien avec les quotas de CO2 qui font eux aussi l'objet d'un marché à l'échelle internationale ? Une fraude de 5 milliards à la TVA a été découverte : des groupes peu scrupuleux faisant tourner les crédits de carbone entre plusieurs pays européens ont encaissé les sommes correspondant à la TVA sans jamais les reverser à l'État.
Ce marché du carbone se révèle extrêmement profitable pour des groupes que rien n'oblige à faire bénéficier les populations et les territoires des profits qu'ils retirent de leurs opérations. Un opérateur de chauffage urbain peut ainsi moderniser sa centrale de chauffe en faisant payer les investissements par ses clients et réaliser en un an un profit de 460 000 euros à l'échelle d'un quartier de 5 000 logements en négociant sur les marchés les quotas issus de la réduction de production de carbone sans qu'il soit obligé d'inscrire cette somme dans les résultats de l'entreprise chargée de la chaufferie. Au lieu de contribuer à réduire la facture de chauffage des habitants, le gain reste dans le groupe. Cette optimisation financière n'est autre que le résultat de la soumission aux règles du marché. C'est un phénomène que l'on observe dans toutes les communes de notre pays aujourd'hui.
Et ce n'est pas l'éventualité de faire payer par les industriels entre 5 % et 15 % de leurs quotas, actuellement gratuits, et d'utiliser la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité qui modifiera la nocivité du système.
Comment croire que la création d'un marché de capacités de production et d'effacement avec des opérateurs soumis à l'exigence d'une rentabilité rapide et maximale se soldera par autre chose que la recherche d'opportunités financières, bien loin de l'objectif de fournir à notre pays, à ses entreprises et à ses habitants, l'électricité la moins chère possible dans les meilleures conditions de sécurité et de sûreté ?
Qu'il s'agisse du chauffage urbain ou de la fourniture d'électricité, c'est bien l'ensemble du secteur de l'énergie qui se trouve concerné. Légiférer à jet continu pour libéraliser toujours plus, en prétendant hier que la marchandisation favorise la réduction de la production de CO2 et aujourd'hui que le développement de la concurrence dans la fourniture de l'électricité est bénéfique aux usagers, c'est tromper les gens, c'est là encore brader les intérêts collectifs de notre pays au profit des intérêts particuliers de financiers qui, fort logiquement, ont pour mission de faire gagner toujours plus d'argent à leurs employeurs et à leurs actionnaires, et cela au moment où l'on sent bien que cette soumission au marché est de plus en plus contestée en France mais aussi dans le monde.
La troisième raison qui justifie le rejet de ce texte est la conséquence logique des deux premières : vous voulez aller vite, au prétexte que la Commission européenne vous impose un tel texte, mais en fait vous savez sa nocivité et vous craignez la grande sensibilité de nos compatriotes aux questions du prix de l'électricité, comme le montre leur résistance aux sirènes du marché. Alors, plus vite ça ira, mieux vous espérez vous en sortir.
Vous avez ainsi déclaré au début de votre audition devant la commission des affaires économiques que vous n'accepteriez aucun amendement et qu'il fallait que le texte soit voté dans les mêmes termes que celui issu du Sénat – le sort réservé à l'amendement de M. Raison le montre parfaitement. C'est un simulacre de débat que vous voulez imposer. Vous direz sans doute comme vous le faites avec tous les textes que le débat a eu lieu mais que, étant majoritaires, vous avez refusé toute modification du texte que vous vouliez imposer, sauf que personne n'est dupe et la comparaison avec la réforme des retraites est là encore édifiante.
Parce que votre texte est une étape supplémentaire dans la casse d'EDF, entreprise publique dont vous avez modifié le statut et que vous voulez à présent contraindre à céder 25 % de sa production nucléaire à ses concurrents ; parce que vous avez décidé d'augmenter les prix de l'électricité pour satisfaire les appétits des marchés et des spéculateurs ; parce qu'en agissant ainsi vous mettez fin à une politique constante, née d'un accord entre toutes les forces politiques et sociales de notre pays en vue de préserver l'électricité des règles du marché et que vous allez même aggraver, avec le marché de capacités, la soumission à ces règles ; parce que votre texte est contraire aux intérêts de notre pays, de son économie et de nos compatriotes ; parce que nous ne confondons pas les intérêts de notre pays avec ceux des marchés et que nous estimons qu'une autre politique est possible et nécessaire au plan national, pour la préservation des intérêts de notre pays avec la création d'un pôle public de l'énergie dans le cadre d'une maîtrise publique associant tous les opérateurs, mais aussi au plan européen, en travaillant à une Europe de l'énergie assurant la fourniture à tous les pays et à leurs habitants d'une électricité accessible dans le cadre d'un mix énergétique maîtrisé, pour toutes ces raisons, nous appelons au rejet de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)