On ne peut remettre en cause a priori la légitimité d'un programme de dépistage de la surdité, mais différentes questions se posent : celle du moment de ce dépistage – dès la naissance, à trois mois, à six mois ? – ; celle des conditions dans lesquelles ce diagnostic est réalisé – par des oto-rhino-laryngologistes hospitaliers ? Par des praticiens libéraux ? En présence de psychologues spécialisés dans la petite enfance ? Avec quel lieu d'accueil pour les parents ? La question se pose aussi de la finalité du dépistage : prendra-t-on en compte l'intérêt exclusif de l'enfant, ou ira-t-on vers un appareillage hâtif en implants cochléaires ?
En l'état, la proposition de loi soulève plus d'interrogations sur l'orientation des politiques de santé publique et d'inquiétudes sur la remise en cause de la liberté de choix des parents qu'elle n'apporte de réponses. On ne peut balayer d'un revers de main les craintes qu'exprime notamment la Fédération nationale des sourds de France, non sur le principe même du dépistage, mais sur son caractère trop précoce et sur le risque induit que les enfants soient aiguillés vers le seul traitement par le son. L'exigence de garantir réellement la liberté de choix de la famille en matière de communication et l'accès précoce aux langues signées ne peut être négligée.
Par ailleurs, les psychiatres soulignent la violence de l'annonce faite à une mère de la surdité profonde de son nourrisson au lendemain de la naissance, au moment même où doit se tisser le lien psychique étroit nécessaire au bon développement de l'enfant, et les conséquences pathologiques que cette annonce peut avoir pour la mère et pour l'enfant. Cet argument vaut d'autant plus que l'accueil des parturientes et des nouvelles accouchées est déshumanisé par la faiblesse des moyens en personnel – et la proposition de loi ne répond pas à la question des moyens.
Enfin, la démarche médico-technique qu'est le dépistage précoce systématique de la surdité néonatale soulève une question éthique que les auteurs de la proposition de loi n'abordent pas. En effet, dans son avis de 2006, le Comité consultatif national d'éthique soulignait que « les évolutions technologiques portées par la louable ambition de favoriser l'intégration de l'enfant dans l'univers des entendants en développant ses capacités d'audition et d'oralisation s'accompagnent d'une interrogation éthique que notre société ne peut se permettre de négliger. Il serait notamment regrettable que les avancées accomplies dans le dépistage précoce et l'audiophonologie ne contribuent indirectement à réactiver d'anciens préjugés sur la surdité longtemps perçue comme un handicap mental » Et le comité consultatif de mettre en garde : « De tels préjugés peuvent être propagés involontairement par le choix de politiques de dépistage et de suivi trop contraignantes pour les parents et les enfants sourds, avec le risque que les progrès réalisés dans la sophistication des techniques de dépistage et de l'aide acoustique donnent lieu à une politique sanitaire standardisée, trop médicalisée et indifférente aux aspects humains des déficits auditifs. »
La proposition de loi ne réunit pas les garanties indispensables pour éviter de tels risques. C'est pourquoi nous ne pouvons la voter en l'état.