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Intervention de Jean-Pierre Dupont

Réunion du 17 novembre 2010 à 10h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Dupont, rapporteur :

Je vous remercie de m'accueillir pour défendre une proposition de loi à laquelle je tiens particulièrement.

Quelques mots d'explication, pour commencer, sur l'historique de cette proposition de loi. À l'occasion d'un colloque organisé le 1er février 2010 par la Fondation Jacques Chirac, notamment consacré au handicap auditif, notre attention a été appelée sur la question du dépistage précoce des déficiences auditives. À la suite de ce colloque, Jean-François Copé, président du groupe UMP, a confié à Edwige Antier, Jean-François Chossy et moi-même une mission sur le dépistage précoce de la surdité. Nous avons dans ce cadre rencontré l'ensemble des acteurs de ce dossier : les experts médicaux, le ministère, la Haute Autorité de santé, l'Académie de médecine, le Comité consultatif national d'éthique, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés – la CNAMTS – et, bien sûr, toutes les associations concernées. Il nous est alors apparu indispensable, sans attendre la prochaine loi de santé publique, de porter la proposition de loi qui vous est présentée aujourd'hui ; elle sera débattue en séance publique le 30 novembre.

Chaque année, un enfant sur mille naît en France avec une déficience auditive, et le diagnostic de troubles de l'audition est porté pour près de 800 enfants avant l'âge de deux ans. Alors que ces déficiences auditives peuvent bien sûr avoir des conséquences sur toutes les acquisitions, sur l'éducation, sur la scolarité et sur la socialisation des enfants concernés, le diagnostic de la surdité est malheureusement posé entre seize et dix-huit mois en moyenne seulement, et parfois beaucoup plus tard. Pourtant, tous les médecins considèrent que le dépistage et la prise en charge précoces de la surdité sont décisifs pour l'avenir de l'enfant, quels que soient ensuite le traitement et la prise en charge – appareillage, implants cochléaires, rééducation, oralisme, langue des signes.

J'insiste sur ce dernier point : nous n'avons aucunement l'intention de privilégier telle forme de communication ou telle autre pour les enfants dont la surdité aura été diagnostiquée. Toutes les options devront être présentées aux parents, auxquels il reviendra bien sûr de faire un choix libre et éclairé. Tout malentendu sur ce point doit être dissipé.

La CNAMTS a lancé des expérimentations de dépistage précoce des troubles de l'audition dans six villes françaises, mais trente-huit maternités seulement sont concernées. Ces expérimentations s'appuient notamment sur les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP), existant sur ces territoires pour le diagnostic, la prise en charge et l'accompagnement. Mais, ces initiatives ne sont pas toujours bien coordonnées et elles sont très inégalement réparties sur le territoire.

Les autorités scientifiques et sanitaires soulignent unanimement le bénéfice qu'il y aurait à généraliser le dépistage de la surdité chez l'enfant à certaines conditions, comme le prévoyait d'ailleurs la loi de santé publique d'août 2004. En février 2010, la Haute Autorité de santé a ainsi renouvelé sa recommandation de 2007 en faveur d'un dépistage systématique de la surdité permanente bilatérale au niveau national, rejoignant en cela les préconisations de l'Académie nationale de médecine.

Je vous l'ai dit, dans le cadre de la loi de 2004, la CNAMTS expérimente, depuis 2005, la faisabilité de la généralisation de dépistage des troubles de l'audition à la maternité. L'expérimentation a consisté à instituer un dépistage systématique en maternité au cours des trois premiers jours de la vie du nourrisson et, en cas de suspicion de troubles auditifs, à orienter l'enfant et sa famille vers un centre de dépistage et d'orientation de la surdité (CDOS), pour confirmation du diagnostic dans les trois mois.

Par ailleurs, en février 2010, la Gouvernement a annoncé un plan triennal « Surdité 2010-2012 », qui fixe une série de mesures visant à la prise en charge et à l'accompagnement de la surdité à tous les âges de la vie. Mais, ce plan ne prévoit pas la généralisation du dépistage des troubles de l'audition du nourrisson. Aussi, sans attendre la révision de la loi de santé publique de 2004, nous proposons de généraliser, au niveau régional, le dépistage des troubles de l'audition chez le nouveau-né dans un délai de deux ans.

Le dépistage aura lieu en deux temps. Un premier repérage se fera à la maternité – soit par la méthode des potentiels évoqués auditifs automatisés, soit par celle des oto-émissions acoustiques automatisées, plus fiable mais plus coûteuse et qui n'est pas disponible dans toutes les maternités – pour permettre à toutes les familles d'en bénéficier et éviter au maximum les erreurs de diagnostic. En cas de suspicion de troubles de l'audition ou si ce premier examen n'a pas permis d'apprécier les capacités auditives du nouveau-né, l'enfant sera orienté, avant la fin de son troisième mois, vers un centre de diagnostic, de prise en charge et d'accompagnement réfèrent pour réalisation d'examens complémentaires. Ce centre de référence pourrait être un centre d'action médico-sociale précoce, un centre de dépistage et d'orientation de la surdité ou tout autre centre, à condition qu'il soit agréé par l'agence régionale de santé. Un cahier des charges type, publié par décret, après avis de la Haute Autorité de santé et du conseil national de pilotage des agences régionales de santé, précisera les conditions de réalisation du dépistage.

Un tel dépistage présenterait plusieurs avantages. Sur le plan médical, il fait gagner un temps décisif pour le développement futur de l'enfant, quel que soit le mode de communication ensuite choisi. Sur le plan médico-économique, il permet de réduire les coûts de la prise en charge et de l'accompagnement des enfants atteints de troubles auditifs dépistés tardivement – un argument auquel la CNAMTS a été sensible. Sur le plan social, il permet d'atteindre toutes les familles, y compris celles qui sont les plus éloignées des soins, et donc de réduire les inégalités en matière de santé. Sur le plan pratique, la régionalisation du dispositif permet que les agences régionales de santé organisent au rythme qui leur convient le dépistage et l'accompagnement des familles, dans un délai de deux ans.

Selon les estimations de la CNAMTS, la généralisation de ce dépistage coûterait environ vingt millions d'euros par an – mais les économies induites par la prise en charge précoce de ce handicap ne sont pas prises en compte dans cette évaluation. Il reste que la généralisation du dépistage devra s'accompagner du renforcement des structures d'accueil, pour accompagner au mieux les familles. Cela est prévu pour partie dans le plan triennal « Surdité » mais cette dynamique doit être amplifiée.

J'en viens pour conclure aux amendements que j'ai déposés. Ils sont, pour la plupart rédactionnels. Quant à l'amendement AS 10, il vise à rendre la proposition de loi recevable au regard de l'article 40 de la Constitution. Cela nous conduira paradoxalement à dire l'inverse de ce que nous souhaitons et de ce qui est effectivement prévu, à savoir que c'est bien l'assurance maladie qui prendra en charge le dépistage précoce des troubles de l'audition. Mais il va de soi que, lors de l'examen en séance publique, le Gouvernement présentera des amendements permettant de revenir au texte initial, et lèvera le gage.

Telle est le sens de cette proposition de loi qui, je n'en doute pas, fera l'objet d'un large consensus.

2 commentaires :

Le 24/11/2010 à 19:40, seve13 a dit :

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Ce n'est pas bon 3 jours, mais pas question d'annuler. Il faudrait juste corriger l'amendement de la loi : On veut que les mères puissent prendre du temps pour faire connaissance avec leur bébé avant de prendre une bonne décision. Une durée conseillée => 3 à 6 mois avant le dépistage, au lieu de 3 jours.

En même temps, il faut philosopher pour que la loi soit plus souple et flexible, c'est à dire ce n'est pas à la science de décider pour nous. Il faut respecter la nature de l'humanité qui est très attachée à la démocratie et à la philosophie, c'est purement universel.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 24/11/2010 à 23:42, Madou a dit :

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Il est tout de même étonnant que l'on parle d'une expérimentation - qui semble motiver le projet actuel - sans qu'il soit fait état d'une évaluation de cette expérimentation.

En 2005, un "comité d'évaluation du programme expérimental de la surdité congénitale" a été mis en place par la DGS. Dans les discussions de l'époque, il était apparu que:

1) il y avait 79% de faux positifs

2) le délai entre la réalisation du test et le diagnostic sûr était - et est toujours manifestement - de l'ordre de 3 mois: d'où l'angoisse des parents qui, dans 4 cas sur 5, n'avait/ n'a aucune raison d'être.

3) la prise en charge médicale ne commençant qu'à 5 ou 6 mois, quel est l'intérêt dans ces conditions de réaliser un test aussi tôt alors qu'il peut avoir des effets délétères sur la relation parent- enfant?

Voici un extrait d'un témoignage d'une médecin sur les effets du dépistage: "...j'ai reçu nombre de petits dépistés au cours de dépistages systématiques...Ce que j'ai pu remarquer, ce sont les conduites parentales induites par le diagnostic : testing permanent de l'enfant à la maison, dépendance trop grande aux professionnels, forcing précoce. Plus précoce est le diagnostic, plus ce type d'attitude spontanée se produit inconsciemment, et la surmédicalisation de la surdité est également inductive......J'ai remarqué que les entendants, particulièrement ceux qui sont censés connaître et soigner, ont bien du mal à imaginer ce qu'est la surdité. En ce qui concerne les différences d'évolution : je ne vois aucune différence concernant le langage entre des enfants diagnostiqués à 6/8 mois et des bébés dont le diagnostic s'est fait à 2 mois, si ce n'est une altération des relations parentales. Les parents que j'ai interrogés à ce propos m'ont dit : heureusement que je ne l'ai pas su tout de suite ! Nous avons pu rentrer sereins à la maison."

Par ailleurs, on parle de gains qui viendraient compenser les 20 millions que coûte le dépistage, mais aucune évaluation n'est proposée.

Bref, indépendamment des questions évoquées plus bas autour du droit des sourds à maintenir une culture et une langue propres, on peut s'étonner qu'un tel projet soit poussé (par quelles forces???) avec une argumentation aussi faible.

Qu'est-ce qui empêche de penser d'autres solutions, plus satisfaisantes sur le plan relationnel, probablement aussi "efficaces" médicalement - pour autant que l'on puisse considérer que ce qui est en jeu est de l'ordre de l'efficacité médicale, cf les arguments des sourds eux-mêmes qui ne veulent pas être pensés comme des handicapés - et sans doute moins coûteuses?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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