C'est vrai, même si, en principe, le prix résulte d'un ajustement entre l'offre et la demande.
En matière de spéculation, je citerai trois exemples de comportements excessifs ayant eu un impact négatif sur l'économie : le mimétisme, l'abus de complexité et le « court-termisme ».
La spéculation ne fait en rien problème lorsqu'elle repose sur une analyse approfondie de la valeur des actifs, mais il en va tout autrement lorsque les agents, réagissant de façon mimétique à certains signaux, en extrapolent un envol ou une chute des prix et achètent ou vendent pour en tirer profit. La bulle Internet illustre parfaitement ce phénomène, auquel André Orléan a consacré en 1999 un ouvrage intitulé Le Pouvoir de la finance, qui est à mes yeux la meilleure étude sur le sujet. En 1999-2000, les plans d'affaires et la valorisation des sociétés créées sur Internet reposaient sur l'idée que nous passerions désormais l'essentiel de notre temps sur la toile et y effectuerions tous nos achats. Les comparables boursiers, qui faisaient pousser les arbres jusqu'au ciel, ont alors supplanté l'actualisation des cash flows, des flux de trésorerie. Je m'occupais à l'époque d'introductions en bourse de sociétés de la « nouvelle économie ». Lorsque je disais à mes collègues que je ne souhaitais pas valoriser les entreprises au-delà d'un montant correspondant à l'actualisation de leur cash flow, ils se moquaient en me rappelant qu'en tant qu'introducteur en bourse, j'étais rémunéré à proportion des capitaux levés, d'autant plus élevés que la valorisation initiale était forte.
Si les phases de fort mimétisme et les bulles qui en résultent reviennent par intervalles – après la bulle des tulipes, il y a eu celle des chemins de fer, etc. –, elles se succèdent désormais de plus en plus rapidement : sept ans seulement ont séparé la bulle Internet de celle des subprimes. Et lors de la première, si personne n'évaluait les entreprises selon des critères raisonnables, c'est que chacun avait intérêt à entretenir la bulle : les entrepreneurs, qui levaient des capitaux selon des multiples extraordinaires ; les banquiers, qui percevaient des commissions tout aussi extraordinaires ; les particuliers, enfin, dont le titre souscrit en bourse doublait du jour au lendemain. D'ailleurs, l'un des effets pervers pour les banques était que, selon qu'elles allouaient le titre à Pierre ou à Paul, c'était l'un ou l'autre qui raflait la mise.
Le même excès de mimétisme s'est observé lorsque tous les gestionnaires d'actifs, dans le monde, ont considéré qu'il était possible d'acheter des titres représentatifs d'actifs subprimes notés AAA pour augmenter à la marge le rendement de leurs SICAV monétaires : phénomène directement lié à une information défaillante puisque, aux États-Unis, les agences de notation avaient fait l'hypothèse que la chute des cours de l'immobilier ne pouvait se produire dans plus de dix États simultanément, ni dépasser 10 % dans chacun d'entre eux : de fait, cela ne s'était jamais produit. Mais il s'est trouvé que l'administration américaine a encouragé l'octroi de prêts à des personnes à faibles revenus, et pour des montants qui excédaient le prix initial de l'actif ; de sorte que le marché de l'immobilier s'est effondré simultanément dans bien plus de dix États. Non seulement les agences de notation avaient donné de mauvaises informations, mais elles ne les ont pas corrigées, les gouvernements ayant exercé des pressions lorsqu'elles ont voulu dégrader les titres subprimes à l'origine desquels ils étaient. Cela nous renvoie au problème de la notation des États : alors même qu'une information défaillante, ex ante, peut conduire à de mauvaises anticipations, les agences, dont le barème n'est pas discret, n'osent plus dégrader les titres par crainte de « surréactions ».