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Intervention de édouard Tétreau

Réunion du 6 octobre 2010 à 19h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

édouard Tétreau :

Surtout, ils ont le dollar ! Le jour où l'euro sera une alternative crédible au dollar, les choses changeront pour le meilleur.

Pour bien comprendre les mouvements de spéculation actuels, il faut remonter à la source, c'est-à-dire au désordre des monnaies. Selon la Banque des règlements internationaux, il s'échange, chaque jour, plus de 4 000 milliards de dollars sur le marché des devises, ce qui représente, sur une année, un volume de transactions de près de 1 500 000 milliards de dollars, soit quasiment trois fois le PIB mondial. C'est n'importe quoi ! Le marché des devises ne répond plus aux besoins de l'économie réelle : il s'agit d'une pure création monétaire, qui entretient de nombreuses bulles.

Prenons l'exemple du « yen carry trade » : les investisseurs internationaux achètent en masse une devise dont les taux d'intérêt sont extrêmement bas, puis placent cette « piscine de liquidité » dans une devise qui rapporte davantage. Pendant deux ou trois ans, ils font « travailler » l'argent sur des actifs immobiliers ou des actifs d'entreprise ; le jour où ils estiment que leur plus-value est suffisante, ils s'en vont. Les agents économiques locaux pensaient que la valeur du marché intérieur avait augmenté, les banques avaient accordé des prêts, bref, il y avait eu un effet de richesse – et voilà que, du jour au lendemain, l'argent disparaît. Voilà comment l'on fait « tomber » un pays. C'est ce qui s'est produit en Asie du sud-est en 1997-1998.

Les États commencent à percevoir le danger. Aujourd'hui, ce n'est plus le yen, mais le dollar qui porte des taux d'intérêt extrêmement bas, inférieurs à 0,25 %. Les investisseurs en achètent pour faire des placements au Brésil, où les taux d'intérêt sont plus élevés en raison de l'inflation. C'est pourquoi le Brésil, voyant ce phénomène se développer, a décidé de revenir à une forme intelligente de contrôle des changes.

Est-ce une hérésie ? Il est évident que vous ne pouvez pas mettre en oeuvre une telle politique si votre marché intérieur est insuffisant. Mais ce n'est pas le cas de l'Europe, dont le PIB est supérieur à celui des États-Unis et dont le marché intérieur est d'une profondeur et d'une vitalité que l'on a tendance à oublier !

Le FMI a tiré, avec raison, la sonnette d'alarme en faisant le diagnostic d'une possible « guerre des devises ». Le prochain G20 aura pour objectif de proposer des solutions crédibles pour remettre de l'ordre dans ce qui est pour moi la principale source de déstabilisation des économies dans le monde. Les mêmes causes risquant de produire les mêmes effets, il y a urgence. N'attendons pas une nouvelle crise pour admettre cette évidence que la banque est une activité tellement importante qu'il en faut deux : d'un côté, la banque nourrie par les dépôts des épargnants, qui irrigue nos économies, et, de l'autre, la banque d'investissement et de spéculation.

C'est ce que nous avions suggéré l'année dernière dans la première note de l'Institut Montaigne, rédigée dans la perspective du G20. Vu le contexte de crise, nous avions même proposé de compléter ce dispositif par des incitations fiscales, sous la forme d'une exonération temporaire des impôts sur les résultats des banques commerciales et d'un taux d'imposition de 60 à 80 % sur ceux des banques d'investissement, de manière à hausser les marges des premières. Malheureusement, aucune de nos propositions n'a été retenue.

Je reviens des États-Unis. En 2008, j'avais eu le sentiment d'une prise de conscience que le système était en train d'imploser, mais, deux ans plus tard, on retrouve les mêmes ingrédients à l'oeuvre. Les banques ont reconstitué très vite leurs niveaux de profit sur leurs activités de spéculation. Rien n'a changé – à une exception près : le jour où la prochaine crise éclatera, les États n'auront plus les moyens d'intervenir.

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