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Intervention de édouard Tétreau

Réunion du 6 octobre 2010 à 19h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

édouard Tétreau :

J'aborderai ce vaste sujet en partant de l'actualité.

J'ai le sentiment que « l'affaire Kerviel » a servi à escamoter le véritable procès, qui aurait dû être celui de l'un des deux principaux mécanismes de spéculation, à savoir la finance de marché. Cette finance-là, je la connais particulièrement bien, puisque j'ai été analyste financier au Crédit lyonnais durant les années de la bulle Internet – j'ai suivi, à cette occasion, l'évolution de la valeur des titres Vivendi Universal et l'on a dit que mes notes avaient anticipé les dérapages ultérieurs ; par ailleurs, je viens de travailler durant trois ans, à New York, avec des fonds d'investissement.

Même si Jérôme Kerviel parvenait à payer la somme qui lui est réclamée, cela ne réglerait pas pour autant le vrai problème, puisque le coupable multirécidiviste a été remis en liberté il y a deux ans : je veux parler des banques d'investissement, qui ont été refinancées par les États – c'est-à-dire vous et moi. Ces banques sont aujourd'hui dans la confusion des genres. Elles ont argué d'un besoin vital pour l'économie d'assurer la liquidité sur les marchés pour obtenir un plan de sauvetage aux États-Unis et en Europe ; mais au lieu d'allouer cette masse de liquidités à l'économie réelle, elles se sont empressées de la rediriger vers les activités spéculatives. Il faut dire que, pour certaines banques de marché, les retours sur investissement étaient de 40 voire 70 % entre 2006 et 2007, pouvant même atteindre un pic supérieur à 100 % : à part le trafic de drogue, aucune autre activité n'offre de tels rendements !

Le refinancement des banques a atteint des niveaux démesurés : le plan de sauvetage américain s'élève à 700 milliards de dollars et, en additionnant les différents plans nationaux, on dépasse ce niveau en Europe. Où va cette liquidité ? L'injecter dans l'économie réelle n'intéresse plus les banques, car les marges sont bien plus attractives du côté des hedge funds ou des activités à effet de levier. Dans le cadre des échanges sur les devises – le currency trading (échanges sur les devises) –, une banque commerciale obtiendra une marge bien supérieure en armant un hedge fund pour une opération d'aller-retour, plutôt qu'en aidant une entreprise à se couvrir contre un risque de change.

Les banques sont dans la confusion des genres depuis la suppression du Glass-Steagall Act. On a amalgamé des activités essentielles pour nos économies avec les activités dites « d'investissement », dont beaucoup relèvent de la pure spéculation – même si certaines sont indispensables au bon fonctionnement des entreprises : ainsi, une société qui doit aller sur les marchés pour financer sa dette aura besoin d'arrangeurs de dette ; de même, les opérations de fusion-acquisition sont indispensables.

Paul Volcker a donc engagé l'administration Obama à élaborer un nouveau Glass-Steagall Act, mais il a échoué en raison du lobbying de Wall Street – il faut savoir que les deux industries qui ont le plus versé d'argent en lobbying à Washington en 2009 sont la santé, avec 900 millions de dollars, et la finance, avec 600 millions de dollars. Résultat : la Volcker Rule a été enterrée.

La partition entre ces deux types d'activité ne sera pas simple, mais elle est vitale. Malheureusement, je crains qu'il ne faille attendre une nouvelle crise pour qu'on finisse par l'admettre.

Dans son dernier rapport semestriel, le FMI, s'inquiétant de la fragilité du système financier mondial, recommande aux États de continuer à renflouer les banques, afin qu'elles puissent irriguer davantage les économies. Mais avec quel argent ? Vingt mille milliards de dollars, titre de mon dernier livre, reprend l'estimation, fondée sur des hypothèses très optimistes, de la dette publique américaine en 2020 ! Car, contrairement à ce que l'on a voulu nous faire croire au moment de la crise de l'euro, la situation des finances publiques est encore plus dramatique aux États-Unis qu'en Europe.

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