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Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 21 octobre 2008 à 21h45
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel :

Mais il n'est presque plus l'heure. Car, bien que sous-jacente depuis au moins deux ans, la crise que vous avez voulu, un temps, ignorer – et même nier contre les évidences ! – est aujourd'hui profonde et mondiale. Et elle appelle des réponses tout aussi profondes et mondiales, car le capitalisme vient de nous démontrer que son avatar et son spectre ultrafinanciarisé et transnational, celui qui a prospéré sans contrôle, sans moral et sans limite, ces dernières années, est tout aussi exubérant dans ses phases de formidable expansion qu'il ne l'est dans ses phases de reflux.

Nous avons cru que ces réponses profondes et mondiales sortiraient des multiples réunions internationales de ces dernières semaines, au sein desquelles le Président de la République a joué un rôle que je qualifie de majeur et qu'il convient de saluer. Mais force est de reconnaître que, face à la crise financière et, surtout, face à la récession qui est déjà là, votre réponse – comme celle des États-Unis et des autres pays de l'Union européenne – a été, certes massive, mais exclusivement bancaire. Or, la situation dans laquelle nous nous trouvons n'appelle pas uniquement une réponse bancaire. Nous disons : « Les banques d'accord, mais les citoyens d'abord ! »

Vous n'hésitez pas, madame la ministre, sans abandonner votre grille idéologique et sans faire la moindre concession à l'opposition, à réclamer l'unité nationale autour d'une politique contestable et injuste qui frappe les Français dans leur vie quotidienne et au portefeuille.

Pourtant, sans même parler de façon grandiloquente d'unité nationale, s'il est un moment où l'opposition peut précisément faire des propositions qui vont dans le sens de l'intérêt général, c'est bien dans le cadre de ce débat sur le projet de loi de finances. Mais encore faut-il qu'elle soit entendue – et c'est trop rare dans cet hémicycle, convenons-en. Pour autant, en dépit de votre surdité persistante, je vais tenter humblement, comme le reste du groupe socialiste, radical et citoyen, d'éclairer et peut-être de baliser le chemin de ce gouvernement, qui en a bien besoin. D'abord pour traiter la crise, mais, ensuite et surtout, pour que nous sortions au plus vite de l'ornière de la récession.

La crise est internationale, chacun en convient. Pourtant, même si elles ont été coordonnées, les réponses des États ont été principalement nationales. Nous avons donc pu mesurer, durant ces terribles semaines, combien une gouvernance économique européenne et, plus largement mondiale, nous faisait défaut.

D'abord, parce que notre Banque centrale européenne a, une fois de plus, démontré combien ses statuts étaient inadaptés aux exigences d'une économie tournée vers la croissance et l'emploi. Sa préoccupation exclusive et quasi obsessionnelle de contrôle de l'inflation, qui devait rester en deçà de 2 %, est d'autant plus inadéquate que le calcul même de l'indicateur d'inflation doit être révisé, pour mieux rendre compte de la part de plus en plus prépondérante de certains biens et services dans le budget des ménages et inclure le prix des actifs financiers, immobiliers, fonciers, que sais-je encore. Les statuts de la BCE doivent donc être réécrits pour correspondre à l'ambition de croissance, de soutien de l'emploi et de développement des pays de l'Union européenne. La politique doit reprendre la main. Il faut faire de l'économie politique.

Au niveau mondial, je fais cette proposition, que je crois audacieuse, de fusionner le G8 et le G5 des pays émergents, mieux encore le G20 avec le Conseil de sécurité des Nations unies, pour que la gouvernance politique de l'économie mondiale se voie ainsi consacrée. De même, les institutions économiques internationales, comme le FMl et la Banque mondiale, devraient être placées sous la tutelle de l'Assemblée générale des Nations unies. Ce FMI, qui, durant des années, pour de si nombreux pays du Sud qui ont connu des crises économiques majeures, préconisait des remèdes ultralibéraux, diamétralement opposés à ceux que le monde occidental a adoptés pour juguler sa propre crise, en appelant les puissances publiques à la rescousse.

L'élection dans deux semaines d'un nouveau président américain peut justement créer les conditions d'une remise à plat complète de la gouvernance économique mondiale. Et la France doit saisir cette occasion pour être une force de proposition audacieuse.

La crise nous a également montré combien les ratios prudentiels des banques et des sociétés d'assurance ont été défaillants, tout comme les précédentes normes avaient montré des failles sévères lors des grandes faillites d'Enron ou de WorldCom, au début des années 2000. Il faut donc revoir la notion de juste valeur, les normes IFRS, en remettant Bâle II et Solvency II sur le métier. Ces nouvelles normes nous ont conduits à abandonner des pans essentiels de souveraineté économique à l'IASB, basé, comme vous le savez, à Londres.

Sans ces profondes réformes des mécanismes de régulation de l'économie mondiale, les politiques nationales ou européennes que nous menons ne nous mettront jamais à l'abri de crises systémiques pareilles à celle que nous sommes en train de traverser.

Mais, si les politiques nationales sont elles-mêmes de mauvaises politiques, non seulement nous allons droit dans le mur, mais nous y allons en klaxonnant. Et c'est, hélas, ce qui nous menace si vous persistez dans vos choix budgétaires.

La récession économique est en effet bien là. Si vous la contestez encore en d'étranges circonlocutions, les Français, eux, la vivent, tous les jours. Le pouvoir d'achat baisse partout et par divers mécanismes, avec la non- indexation de la PPE ; avec le refus de conditionner les allégements de charges à des accords salariaux ou encore avec la frénésie fiscale qui vous a quasiment conduit à créer un impôt par mois depuis l'élection du chef de l'État.

La production baisse, l'investissement privé baisse et, plus grave encore, l'investissement public baisse, et singulièrement celui assuré par les collectivités locales, que vous martyrisez toujours davantage. Or, ces collectivités représentent plus des trois quarts de l'investissement public en France.

Sur les collectivités locales, justement, le Gouvernement poursuit son offensive de réduction de la sphère publique et du service public. Avec des dotations en baisse et désindexées, on passe d'une logique contractuelle, assise sur des réalités économiques – inflation, PIB –, à une logique de contribution des collectivités locales à l'effort de guerre contre la dépense publique et pour la résorption des déficits. Les conséquences sur le niveau des investissements publics, et donc sur la croissance, seront considérables à terme.

L'emploi baisse également. Vous annoncez un nouveau volet de contrat aidé, mais les crédits en faveur de ces mêmes contrats subissent une glaciation budgétaire – près de 1,8 milliard d'euros d'ici à 2011. Enfin, le solde commercial s'effondre.

Bref, tous les moteurs internes de notre économie sont éteints. Les perspectives sont d'autant plus inquiétantes que vous êtes, patiemment, en train de démembrer les moyens d'intervention de l'État, aveuglés que vous êtes par une foi particulièrement incompréhensible dans le tout-marché.

Une foi qui vous conduit à vouloir privatiser La Poste, alors que rien ne le justifie et que tout, au contraire, plaide pour un maintien de ce service public fort, au rôle essentiel dans l'aménagement solidaire et durable de notre territoire.

Une foi qui vous conduit à supprimer par dizaines de milliers les postes de fonctionnaires.

Une foi qui a progressivement tué toute idée de politique industrielle dans ce pays depuis 2002.

Une même foi qui vous faisait, à l'UMP, il y a à peine plus d'un an, défendre le développement en France des prêts hypothécaires à risque, qui ont justement déclenché la crise dite des subprimes aux États-Unis.

Oui, madame la ministre, c'est vous qui avez baissé la garde de la France. C'est vous qui menez une politique à la fois récessive et curieusement laxiste. Une politique qui, aujourd'hui, menace clairement d'aggraver la crise en enlevant à l'État les moyens d'intervenir.

Pour tout dire, en lisant votre projet de budget, il est impossible d'y déceler que la France est en récession. En effet, vous avez construit ce budget tandis que vous persistiez à nier les risques de récession et vous avez refusé de revoir votre copie.

Le groupe socialiste vous a présenté un ensemble de propositions précises et réalistes pour modifier le projet de loi de finances, propositions que nous reprendrons tout au long de ce débat. Il conviendrait de reprendre des hypothèses plus crédibles pour bâtir ce budget dès maintenant et ne pas attendre novembre ou décembre ; de rompre avec le « tout-libéral » qui a conduit à la crise, sans pour autant sombrer dans l'étatisme ; de présenter un budget de soutien à l'activité par une relance keynésienne ciblée – ce n'est pas un gros mot –, peu importatrice de biens et donnant la priorité notamment au logement, au renouvellement urbain ; d'engager une politique sociale plus protectrice pour les citoyens victimes de la crise ; de lancer une grande initiative européenne, coordonnée, un emprunt européen pour aider l'investissement ; d'établir de nouvelles règles de régulation, nationale, européenne et mondiale.

Je ne conclurai pas sans vous dire quelques mots des outre-mers, ces territoires où plus, qu'ailleurs dans l'Hexagone, les désengagements de l'État sont vécus plus durement. Votre budget devait ainsi traduire vos engagements financiers pour le Grenelle de l'environnement. Hélas ! pour les outre-mers, représentant 90 % de la biodiversité française, la croissance verte attendra.

L'article 39 du Grenelle prévoit la mise en oeuvre du « plan séisme » aux Antilles et d'une politique globale de prévention des risques naturels majeurs outre-mer d'ici à 2015. Un Premier ministre – M. de Villepin – avait déjà adopté un plan et le chiffre de 370 millions d'euros avait été retenu. Or votre projet de budget pour l'outre-mer ne prévoit que 2,4 millions. Je rappelle que nous avons connu deux séismes très importants et que la Martinique n'a été sauvée que parce que l'épicentre était situé à cent soixante-douze kilomètres de profondeur. L'île de Terre-de-Bas a, elle, été détruite en 2004 par un séisme de 6,3 sur l'échelle de Richter.

Pour le cyclone Omar, les personnels de Météo France, qui étaient en grève – l'État licenciant 400 personnes – ont dû reprendre du service. L'État refuse de financer des houlographes et des marégraphes que la Guadeloupe et la Martinique sont obligées de prendre à leur charge.

En ce qui concerne la gestion des déchets, 300 millions d'euros sont nécessaires pour la valorisation biologique des déchets, pour acquérir un incinérateur et pour la collecte sélective. Sur ces 300 millions, l'État n'engage que 8 millions. S'agissant de la gestion des eaux usées et leur traitement, sur 300 millions, l'État ne verse rien.

Les exemples de cet acabit sont nombreux pour nos territoires, surtout à l'examen de la deuxième partie et des articles non rattachés de ce projet de loi de finances. Ceux-ci démontrent que ce plan de rigueur qui ne veut pas dire son nom touchera de plein fouet les départements d'outre-mer. Entre le plafonnement des niches fiscales – que nous comprenons – prévu à l'article 43 et la réforme des exonérations de charge outre-mer prévue à l'article 65, ce sont tous les dispositifs incitatifs aux investissements dans les outre-mers qui vont disparaître avec le risque, clamé par tous les socioprofessionnels ultramarins, d'esquinter nos économies.

Madame la ministre, il est urgent et impératif de se ressaisir…

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