Je vous en remercie, car je ne voudrais pas m'enferrer dans une longue querelle de chiffres. Tout dépend, en effet, de la façon dont on les regarde. Je m'efforcerai de vous démontrer par écrit la justesse de notre approche.
Je suis frappé par la qualité de nos échanges – et ce n'est pas une flatterie. J'ai pu constater, depuis seize mois, à quel point les questions évoquées aujourd'hui par les uns et par les autres, avec leur sensibilité propre, ce qui est bien légitime, coïncident avec les sujets auxquels je réfléchis, pour ma part, et auxquels j'essaie d'apporter des réponses.
Une première interrogation concerne le rapport entre Paris et les régions.
En ce qui concerne le Palais de Tokyo, je rappelle que nous pâtissons d'une très forte érosion de la place de Paris sur le marché de l'art. Une des raisons est que nous ne défendons pas suffisamment nos artistes contemporains : il faut trouver un lieu et des moyens pour mieux le faire. Michel Herbillon a évoqué à juste titre le projet d'extension en volume et en périmètre du Centre Pompidou, dont la mission était initialement de défendre l'art contemporain, et en particulier l'art émergent. C'est ce qu'il fait, mais pas suffisamment, à cause de sa surface et de son mode de fonctionnement. Je précise que mes propos ne traduisent pas une critique : l'action menée par le Centre Pompidou est, en effet, remarquable. La question qui se pose aujourd'hui est celle de son extension.
Le Palais de Tokyo, qui sera doté d'une structure autonome, pourra se consacrer aux artistes émergents et aux artistes de renom qui ne trouveraient pas leur place au Centre Pompidou. En matière de statut, je crois que nous sommes parvenus à une solution permettant de concilier la politique menée par l'État et l'ouverture aux acteurs du marché de l'art, sans prise d'otages par ces derniers. J'ajoute que le Palais de Tokyo permettra aux FRAC de rendre compte du travail accompli en régions : la vision retenue n'a rien de « pariso-parisienne ».
Je ne pourrai pas apporter les précisions demandées par Patrick Bloche à propos de la Philharmonie. Je souhaite que ce projet aboutisse mais, pour le moment, ni le montant exact de son budget ni son mode de financement n'ont été validés. Il n'existe aujourd'hui qu'un simple budget de préfiguration. Je peux vous dire, en revanche, que la Philharmonie ne devra pas être une entreprise élitaire, réservée à quelque happy few venant écouter de la musique symphonique comme on peut avoir la chance d'aller à l'opéra. Ce sera la clé de voûte de la transmission de la musique en France : la Philharmonie permettra d'accueillir des étudiants venus de tous les conservatoires, et de mettre à disposition des lieux de travail qui n'existent pas aujourd'hui. Je rappelle, en effet, qu'on ne peut pas accueillir d'orchestre symphonique international à la salle Pleyel, faute de salle de répétition, alors qu'il existe une Philharmonie à Londres, à Berlin et même à Rome, ville qui ne compte pourtant que 2,5 millions d'habitants. D'où l'action entreprise par le Conseil pour la création artistique avec l'orchestre des jeunes. Vous vous interrogez sur le coût de ce dispositif, mais il faut reconnaître qu'il est admirablement géré par Laurent Bayle. Et je le répète : l'équipement dont nous disposerons grâce à la Philarmonie ne sera ni élitaire, ni parisien ; il sera destiné à la France entière, et son but sera de favoriser la transmission de la musique dans notre pays.
Nous ne construisons pas la Maison de l'histoire de France, encore dans les limbes au moment où je vous parle, en suivant une tradition jacobine. Je rappelle, en outre, que seuls huit historiens participent au mouvement évoqué par Mme Boulestin. Depuis le début, il est entendu que cette Maison réunira tous les établissements qui traitent de l'histoire en France – et il ne sont pas au nombre de huit seulement. C'est une confédération large et souple qui est prévue, avec un centre destiné à accueillir les colloques. Je rappelle aussi que l'État investit des sommes considérables à Pierrefitte-sur-Seine pour construire de nouvelles archives, dotées de 350 kilomètres de rayonnage normalisé et moderne et de 66 000 mètres carrés – contre 36 000 mètres carrés aujourd'hui. Nous conserverons à Paris les archives antérieures à 1790 et nous y installerons les minutes des notaires, sans que cela nous empêche d'accueillir la Maison de l'histoire de France. Si l'on veille à ne pas trop s'étaler, il y aura de la place pour la Maison de l'histoire de France et pour les missions traditionnelles des Archives, qui seront maintenues.
La question des critères, évoquée tout à l'heure à juste titre, me taraude. J'essaie d'être sage en ne prenant pas de décision, lorsqu'elle m'appartient, pour des raisons de copinage – il paraît que ce fut le cas dans certains domaines, il y a très longtemps… J'essaie d'écouter ce qu'on me dit et de trouver les solutions les plus favorables au bien public. Que n'a-t-on pas entendu sur le festival d'Avignon ! On a prétendu que je ne m'y intéressais pas et que je n'y connaissais rien, mais j'observe que la décision prise a fait l'objet d'un consensus. Avec mon cabinet – auquel je veux rendre hommage pour la qualité de son travail et pour la cohésion qu'il permet d'assurer au ministère de la culture –, j'essaie toujours de peser le pour et le contre, dans le seul intérêt du bien public. Voilà dans quel esprit nous infléchissons l'attribution des crédits.
S'agissant plus particulièrement du spectacle vivant, nous essayons de prendre en compte la gestion de chaque organisme. Il faut reconnaître qu'il n'y aura pas d'augmentation des crédits dans ce domaine, mais une stabilisation. Compte tenu de l'augmentation des charges et de l'inflation, cela signifie une légère régression des moyens, mais nous avons su éviter, non sans combat, le tir croisé de ceux qui souhaitaient une évolution plus drastique. Je rappelle, en outre, que les Entretiens de Valois ont permis d'aboutir à un consensus sur la nécessité d'une réorganisation et d'une mutualisation d'un certain nombre de dépenses, sans porter atteinte à une forme d'expression culturelle à laquelle je tiens beaucoup : certaines fonctions se recoupant parfois dans certains lieux, il y a moyen de réduire un peu les coûts.
Après les Entretiens de Valois, des réunions se tiennent dans chaque région en vue d'étudier les budgets et d'envisager les mutualisations possibles. Je suis certain que nous parviendrons dans tous les cas à poursuivre le travail du spectacle vivant dans de bonnes conditions.
J'ai entendu les inquiétudes que vous avez exprimées à propos du patrimoine, dont les crédits sont pourtant en hausse. Si les monuments nationaux bénéficient cette année d'une enveloppe de 375 millions d'euros contre 400 millions l'an dernier, c'est que le plan de relance est terminé, et l'on ne constate aucune diminution par rapport à l'ensemble. Soyons lucides, cependant : nous bénéficions d'un patrimoine considérable, dont la gestion est extrêmement lourde. Tous les week-ends, je me rends dans des régions où l'on ne va pas assez souvent, pour voir des lieux de notre patrimoine qui attirent trop peu de visiteurs. Voulez-vous un exemple parmi des centaines ? C'est à peine si le château de Villers-Cotterêts, bâtiment magnifique qui remonte à François Ier,est hors d'eau : il a fallu disposer des bâches et des taules pour éviter qu'il ne tombe en ruine.
Pour ma part, je m'attache à trouver des solutions, sans manifester aucune intention d'abandonner le service public. Je considère au contraire qu'il faut conserver le maillage de l'État sur tout le territoire. Cependant, quand une dévolution est possible, par exemple quand le ministère a la garantie que les collectivités locales assureront une bonne gestion d'un élément patrimonial, j'y suis favorable. Au château de Fontainebleau, tout le quartier Henri IV a été mis hors d'eau, sans qu'on sache à quoi l'employer. Pourquoi ne pas lui chercher une utilisation qui apporte des fonds ? Si j'accepte de travailler sur le sujet, il n'y a de ma part aucun abandon du patrimoine, au contraire : je veux simplement le rendre vivant, ce qu'il doit être avant tout.
Monsieur Kert, je suis favorable à l'extension des avantages du mécénat aux petites et aux moyennes entreprises, qui ne sont pas favorisées à cet égard. Sur ce dossier complexe, qui suscite toujours l'effroi de Bercy, je pense que nous pourrons obtenir des résultats, que j'appelle de mes voeux car ils pourraient réactiver le marché de l'art en France.
Madame Marland-Militello, la gratuité des musées représenterait environ 20 millions d'euros, somme compensée par le dégel, mais on ne peut pas solliciter de dégel chaque année. Ce serait d'ailleurs une contradiction dans les termes. L'an dernier, j'ai eu gain de cause en présentant au Président de la République des arguments précis. Je ne désespère pas d'obtenir un autre accord cette année, grâce à des arguments que mon expérience ministérielle m'aura permis d'affiner.
Les FRAC sont des institutions formidables, dont la dotation a augmenté. À présent, chacun d'eux semble avoir vocation à se transformer en musée, mais il n'est pas facile de définir une ligne stricte. À Clermont-Ferrand, le FRAC a permis d'ouvrir un formidable musée d'art contemporain, au lieu de conserver les oeuvres dans des réserves, en les prêtant à droite ou à gauche sans grande cohésion. Comment aurait-on pu refuser la création d'un tel projet, qui a créé un équipement culturel, qui attire du monde et qui donne l'impression que la vie culturelle en régions est vivante et dynamique ? Mais il faut, une fois encore, être sage, et examiner les projets les uns après les autres. Quand l'un d'eux n'est pas viable ou coûterait trop cher, on doit y renoncer. En revanche, s'il est justifié et que les collectivités locales veulent y participer, on doit lui apporter de l'aide.
Dans le cadre du plan « Musées en région », nous avons réussi à déployer quelque 70 millions d'euros sur nos crédits pour l'entretien, la restauration, voire certaines constructions complémentaires. Le premier critère que nous avons défini était l'engagement des collectivités pour améliorer un musée local. Le second était l'implication des professeurs et des associations visant notamment à la « culture pour chacun », que je réunirai en janvier dans un forum. Parfois, il est également possible de faire un geste envers les architectes locaux, qui réalisent fort bien nombre d'équipements. C'est le cas de ce lieu magnifique qu'est la fonderie de Mulhouse. Au vu de ces critères, et de la qualité du projet, nous sommes heureux de bâtir, quand nous le pouvons, un plan avec une collectivité locale.
Les crédits que nous avons réussi à redéployer font office de levier : ce sont en réalité 300 millions d'euros qui seront mis au service du plan « Musées en région », grâce aux accords que nous avons signés avec les collectivités. C'était un travail de consensus, ainsi que de construction, en fonction de ce qu'il était possible de faire et de ce qui valait la peine d'être fait. C'était enfin un travail en direction des régions. À cet égard, je regrette l'absence, dans notre conversation, de toute référence à l'outre-mer : celui-ci ne doit pas être le parent pauvre de notre politique culturelle. Je visite systématiquement les territoires. J'ai un plan pour la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane. À Cayenne, il existe un très bel hôpital en ruine, au centre de la ville. Un projet est en cours d'élaboration avec les collectivités locales en vue de réaliser un véritable centre culturel. Nous le construirons en additionnant différents crédits de toute provenance, sans désorganiser nos finances.
Quand je suis arrivé au ministère, on m'a dit que Jack Lang réunissait ses directeurs tous les quinze jours pour un déjeuner. J'ai pensé qu'il avait raison, une fois encore. Mais, très vite, je me suis aperçu que je voyais les miens quasiment tous les jours. Dans ces conditions, il m'a paru inutile de prévoir de tels déjeuners, auxquels je prendrais cependant beaucoup de plaisir.
Le ministère réalisera en 2011 5 millions d'euros d'économie en frais de fonctionnement.
De même, je suis très proche des DRAC, qui rapportent, qui informent et qui assurent à ce titre le premier arbitrage pour l'affectation des crédits dont je dispose. On ne peut donc pas prétendre que ce soit la vision parisienne qui l'emporte. C'est l'inverse, à mon sens : la structuration générale du budget opère un glissement relatif mais réel des implications du ministère vers les régions, ce qui n'a pas toujours été le cas.
Un billet de train entre Paris et Lyon en seconde classe pour un week-end coûte quasiment 160 euros à un jeune de trente ans. Quand on dispose de 1 200 euros par mois ou qu'on est étudiant, comment irait-on à Paris voir l'exposition Monet, à laquelle on ne peut accéder qu'après trois heures de queue ? C'est un problème dont je suis conscient et auquel je cherche constamment des solutions. C'est pourquoi je suis heureux de réfléchir et de parler avec vous.
Avant la fin du mois, je recevrai de mon administration un plan d'intervention sur la ruralité, sur le modèle de celui qu'on m'a remis sur l'outre-mer. Il fera l'inventaire des mesures qu'il est possible de prendre tout de suite. Vous avez voté récemment, grâce au président Michel Herbillon, une proposition de loi relative à l'équipement numérique des salles de cinéma, qui évitera, grâce à l'appui du Centre national du cinéma et de l'image animée, la fermeture de bien des salles. De la même manière, j'apporterai mon appui au Centre Pompidou mobile, qui se déplacera à travers la France, même s'il reste quelques réglages à opérer pour diminuer les coûts d'installation.
En ce qui concerne le rayonnement de la France à l'étranger, je me félicite du dynamisme de nos grands établissements culturels, qu'illustre à merveille l'ouverture du Louvre à Abou Dabi. Cette opération extraordinaire va faire des petits. De même, le Centre Pompidou a engagé avec Singapour une conversation qui s'avérera certainement fructueuse.
À force de batailler, le ministère de la culture a obtenu une représentation importante au conseil d'administration de l'Institut français, ainsi que des garanties importantes en ce qui concerne les nominations. Il a d'ailleurs validé celle de sa directrice générale. C'est dire qu'il sera présent dans le réseau destiné à assurer le rayonnement de la culture française à l'étranger.
Par ailleurs, je soutiens les établissements publics dans leur action. Je me suis d'ailleurs rendu au Louvre à Abou Dabi. Même si le travail accompli rencontre un grand succès, il faut composer avec l'éloignement et la différence de mentalité, qui, en matière d'achat, ont produit un court-circuit. Sur place, nous avons déployé une grande attention, et constaté que tout le monde n'est pas prêt à accepter notre image de la culture française.
En ce qui concerne le patrimoine mondial de l'humanité, je suis conscient de la complexité des dossiers et du travail qu'il faut pour les instruire. Peut-être devrait-on prévoir une cellule dédiée. Cependant, la France n'est pas en reste. Depuis qu'Albi est inscrite au patrimoine mondial de l'humanité, cette ville enregistre une augmentation de 20 % de la fréquentation touristique. J'espère que nous obtiendrons le même résultat avec les Cévennes et les Causses, l'opération Le Corbusier, particulièrement justifiée, et l'opération sur le carreau de la mine et les paysages miniers du Nord de la France. J'ai également engagé une conversation avec Mme Filippetti en vue de monter un projet sur la mémoire de la Lorraine. Une dernière expérience peut être menée avec la Suisse afin de mettre en valeur les vestiges néolithiques du lac Léman.
Une candidature auprès de l'UNESCO est une procédure longue et difficile. Ceux qui prennent la décision finale n'ont pas tous la même connaissance des éléments du dossier, ce qui justifie qu'ils prennent leur temps. La cellule dédiée pourrait non seulement faire avancer la candidature, mais également réfléchir aux moyens de gérer les lieux par la suite afin de conserver le label.
Pour la lecture publique, nous avons mis en place un plan en quatorze points, notamment à l'adresse des librairies, qui s'est révélé efficace et s'applique toujours. Je vous y renvoie.
En ce qui concerne l'éducation artistique à l'école, je souscris aux déclarations de Mme Bouillé. Mais je ne suis pas le seul ministre concerné, même si le ministère de l'éducation nationale est un excellent interlocuteur. Les parties prenantes sont nombreuses et ne partagent pas toutes la même vision de l'action ni de son urgence. Reste que le Louvre est en train d'éditer un manuel et de peaufiner un portail qui sera remarquable. Malgré certaines insuffisances, j'ai l'impression que nous avons franchi une étape déterminante. À présent, il faut éviter que l'enseignement artistique à l'école ne suive la même évolution que l'éducation civique, promue il y a quarante ans, et devenue ensuite une matière enseignée une demi-heure par trimestre, quand le professeur de français en avait assez de sa propre discipline. Voilà le trou noir dans lequel il faut éviter de tomber, mais j'ai confiance, car nous avons franchi un cap psychologique.
J'ai constaté le succès de l'opération Ciné-lycée, que je suis allé promouvoir deux fois avec Luc Chatel, dont une avec le Président de la République. Le corps enseignant nous a suivis quand nous avons établi la liste des films du cinéma mondial sélectionnés pour la plateforme. Dans les conversations que nous avons eues avec eux depuis le ministère de la culture, qui n'était pas nécessairement habilité à intervenir, j'ai eu l'impression que quelque chose s'était cristallisé. Continuons le combat en gardant vos observations à l'esprit. Nous progresserons encore : la forte adhésion des élèves au principe de l'enseignement de l'histoire des arts est un levier que nous devons utiliser.
Le décret actant la fusion de la RMN et du Grand-Palais, actuellement au Conseil d'État, devrait prendre effet le 1er janvier 2011. Le président Jean-Paul Cluzel plaide pour une refonte architecturale du Grand-Palais. C'est un lieu kafkaïen : chaque fois que je m'y rends, je découvre de nouveaux espaces immenses tant dans les galeries supérieures qu'au sous-sol. Au fil des années, ce gruyère a été envahi, abritant aussi bien un commissariat de police que des salles de répétition de la Comédie française ou l'Université de Paris. Que M. Cluzel veuille récupérer les lieux pour assurer la cohésion du monstre me semble louable. Quant à savoir comment l'opération sera mise en oeuvre, attendons déjà la fusion pour y réfléchir et pour établir la shopping list du ministère de la culture. Il est certain que, si le Grand-Palais retrouve sa cohésion, il sera l'équipement dont Paris a besoin pour réactiver le marché de l'art et assurer son rayonnement culturel. Car vous avez raison, monsieur le président Herbillon, la place de Paris s'est érodée dans le marché de l'art – pour ne pas dire qu'elle s'est effondrée !