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Intervention de Marie-Odile Bouillé

Réunion du 2 novembre 2010 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Odile Bouillé, rapporteure pour avis :

Monsieur le ministre, je ferai d'abord une remarque de forme : les programmes et actions de la mission « Culture » ont subi cette année des changements majeurs, changements qui rendent la lecture des documents budgétaires très peu aisée, certains découpages laissant perplexe, notamment le regroupement des crédits « livres » et « industries culturelles » au sein du programme « Presse ». Je regrette vivement l'absence de lisibilité des documents budgétaires et déplore ces changements incessants de maquette qui nuisent à l'efficacité du contrôle parlementaire sur les finances de l'État.

S'agissant du budget de la culture pour 2011 proprement dit, on note une stagnation pour la création et la démocratisation culturelle.

La mission « Culture » sera dotée en 2011 de 2 708,01 millions d'euros en autorisations d'engagement (plus 4,04 % par rapport à 2010) et de 2 672,81 millions d'euros en crédits de paiement (moins 0,15 % par rapport à 2010).

Notons, tout d'abord, une programmation pluriannuelle 2011-2013 plutôt alarmante, plus particulièrement en ce qui concerne le programme « Création ». Cela est d'autant plus inquiétant que la question de la répartition des financements État-collectivités n'est pas réglée, loin s'en faut. Les Entretiens de Valois sont au point mort et la réforme des collectivités territoriales fait peser de très lourdes incertitudes sur le budget de ces dernières.

Le budget du programme « Création » est relativement stable, la hausse de 4,24 % des autorisations d'engagement s'expliquant principalement par les moyens supplémentaires en faveur des arts plastiques et la programmation de travaux pour la Comédie Française, le Théâtre national de Chaillot, l'Opéra comique, le Centre national de la danse et la Cité de la céramique à Sèvres.

Plus inquiétant : les crédits de paiement stagnent à + 1,84 %, pour une inflation de 1,5 %.

Le spectacle vivant est en difficulté. Son budget est en régression, avec 3,13 millions d'euros de crédits supprimés.

Les crédits des opérateurs nationaux stagnent (+ 0,72 %) en 2011, mais les crédits de fonctionnement en région sont en baisse significative, ce qui est dramatique. Ainsi, un nombre important d'équipes artistiques, de scènes conventionnées, de festivals ne sera plus soutenu par le ministère, de même que des salles de musiques actuelles (SMAC), qui verront leur label supprimé.

Dans le domaine des arts plastiques, la priorité est le Palais de Tokyo et les manifestations d'art contemporain au Grand-Palais. Pourtant, l'image de la France n'est pas seulement Paris.

S'agissant du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », le désengagement du ministère est là aussi réel.

Le tableau est sombre : les crédits de paiement sont en forte baisse (- 7,57 %), alors que le programme est déjà mis à mal depuis plusieurs années. Cette baisse s'explique, selon le ministère, par le transfert de crédits vers le CNC. La situation est en réalité plus complexe : il ne s'agit pas d'un transfert, mais d'un désengagement du ministère, le CNC finançant désormais ces actions sur ses fonds propres. Je suis extrêmement inquiète de cette « débudgétisation » déguisée de l'action culturelle : que se passera-t-il demain si le budget du CNC devient moins dynamique ? Devra-t-il choisir entre action culturelle et financement de la création ? Là encore, il est inadmissible que la culture seule finance la culture.

L'examen du projet annuel de performances permet malheureusement de mieux comprendre comment se répartissent les coupes budgétaires : les pratiques amateurs sont, cette année encore, très touchées. Comment parler de démocratisation de la culture et développer une véritable politique d'aménagement culturel du territoire sans les structures d'animation que constituent les réseaux amateurs ?

L'éducation artistique et culturelle voit ses crédits stagner si l'on prend en compte les actions financées par le CNC, ce qui équivaut à un budget en baisse en valeur réelle.

Par ailleurs, que dire du Conseil pour la création artistique, voulu par le Président de la République ? Je m'interroge sur cet « ovni » qui, pour moi, n'a rien à faire dans le paysage culturel français. Nous sommes nombreux à souhaiter sa suppression afin que ses crédits soient réaffectés à votre ministère, monsieur le ministre.

En ce qui concerne l'éducation artistique et culturelle, le Président de la République soulignait, dans la lettre de mission envoyée à Mme Christine Albanel, alors ministre de la culture, que l'éducation artistique et culturelle devait devenir une priorité commune du ministère de la culture et du ministère de l'éducation nationale afin de « faire tomber la barrière qui s'est progressivement dressée entre le monde éducatif et le monde de la culture du fait de la séparation des deux ministères. »

J'ai donc souhaité mesurer les progrès accomplis depuis 2005 par ces deux ministères et vérifier l'adéquation entre les ambitions affichées et les moyens disponibles sur le terrain.

Parmi les nombreux plans mis en oeuvre, je me suis penchée plus particulièrement sur le dernier en date, celui du 24 avril 2008, qui prévoit la multiplication par quatre du nombre de classes à horaires aménagés et leur extension au domaine des arts plastiques et du théâtre ; le développement, dans et hors l'école, des pratiques artistiques ; l'évolution des concours de recrutement, de la formation initiale et continue des enseignants ; la création d'un grand portail interministériel de l'éducation artistique et culturelle ; la création d'un nouvel enseignement d'« histoire des arts ».

Hélas, les intentions sont largement contredites par les faits.

L'ensemble des personnes que nous avons auditionnées, tant du corps enseignant que des institutions culturelles, nous ont fait part d'une très forte inquiétude sur quatre points : le désengagement croissant du ministère de l'éducation nationale sur cette thématique ; le manque de lisibilité des actions en régions et dans les établissements scolaires ; la formation des enseignants ; l'enseignement de l'histoire des arts ; le portail numérique.

En ce qui concerne le budget du ministère de la culture, la priorité accordée à l'éducation artistique et culturelle peut être évaluée du fait de l'existence d'une action spécifiquement dédiée. Toutefois, il n'est pas possible d'évaluer les sommes engagées par les institutions subventionnées par le ministère : je le déplore, d'autant qu'elle a déjà été dénoncée en 2005 par Mme Muriel Marland-Militello au nom de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales. En effet, certaines institutions culturelles ont de véritables actions en direction de la démocratisation de la culture, tandis que d'autres se contentent d'une politique d'affichage.

Concernant le ministère de l'éducation nationale, l'évaluation du budget consacrée à l'éducation artistique est très délicate : le ministère est dans l'incapacité de fournir des données chiffrées précises sur les budgets alloués aux différents dispositifs d'éducation artistique. À cette opacité la plus totale s'ajoute un fait plus alarmant encore : plusieurs enseignants et des intervenants ont confirmé lors de leur audition l'évolution à la baisse dramatique du financement des dispositifs. De plus, le Gouvernement a mis fin à des mises à disposition d'enseignants dans les structures culturelles en raison de la création du portail numérique. Je déplore cette décision, qui a contribué à désorganiser les services éducatifs des institutions culturelles, d'autant qu'un outil numérique ne remplacera jamais la présence continue et de longue durée d'enseignants dans les structures.

Par ailleurs, bien que le ministère de la culture ait mis en place des conventions avec les établissements culturels pour faire de l'éducation artistique une vraie mission éducative, trop de disparités subsistent entre les établissements. Il conviendrait de leur allouer des budgets permettant de mener de front actions culturelles et projets artistiques sans avoir constamment à choisir les uns au détriment des autres.

En ce qui concerne les établissements scolaires, le plan de 2008 a renforcé l'exigence d'inclure un volet culturel au sein du projet d'établissement. Pourtant, le ministère de l'éducation nationale est aujourd'hui incapable de fournir des informations sur la présence, ou l'absence, d'un tel volet dans les projets d'établissement. Cette situation est inacceptable car une obligation non contrôlée relève de l'incantation.

Il n'existe pas non plus d'évaluation des plans mis en oeuvre ni d'analyse géographique et sociale fine des enfants concernés par les dispositifs. C'est regrettable. En effet, seule une politique cohérente, généralisée et réfléchie sur un territoire donné, visant à offrir à l'ensemble des élèves une pratique artistique au cours de la scolarité, permettra la généralisation effective de l'éducation artistique que chacun semble appeler de ses voeux.

Je souhaite également insister sur la formation artistique et culturelle des enseignants et des responsables d'établissement. Les auditions ont largement montré que la réforme des IUFM et la mastérisation ont rendu aléatoire la formation artistique des enseignants. De plus, la diminution des budgets ne permettra pas d'assurer la formation continue des professionnels et des futurs professionnels.

Le plan de 2008 prévoit également la création d'un enseignement obligatoire de l'histoire des arts. Or toutes les personnes que nous avons auditionnées ont évoqué leurs difficultés à saisir le périmètre exact de cet enseignement et les modalités de sa mise en oeuvre, d'autant que les enseignants n'y ont absolument pas été formés. Il est vrai que l'annonce de cette mesure n'a pas été suivie d'un plan de formation des enseignants, ce qui est une erreur. Il est par ailleurs à craindre que la mise en oeuvre de cet enseignement n'ait pour conséquence la diminution de la place accordée aux pratiques artistiques sur le temps scolaire et leur relégation en dehors des heures scolaires, en particulier dans le cadre de l'accompagnement éducatif.

Je finirai par le portail numérique : toute ressource, numérique ou non, n'est qu'un support qui doit susciter l'envie chez l'enfant – vous l'avez du reste rappelé, monsieur le ministre, vous qui êtes très attaché à la culture pour chacun. Le développement de ces outils ne doit pas empêcher les élèves de sortir de leur établissement, sous le prétexte que les ressources seraient disponibles sur écran. En ces temps de disette budgétaire, très marquée à l'éducation nationale, la tentation risque d'être grande. Il convient de l'éviter à tout prix, au risque de ruiner des années de travail partenarial entre les institutions culturelles et les établissements.

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