La spéculation entendue au sens de la manipulation du marché, de la déformation de la réalité économique, est évidemment nuisible au bon fonctionnement du marché et contraire à sa logique. Le marché doit être au service de l'économie, notamment pour assurer son financement. C'est un outil central : il fait le lien entre l'épargne et l'investissement, privé et public, il permet aux entreprises et aux États de lever des capitaux et aux épargnants de placer les leurs. Il est le lieu de la formation des prix. Il convient donc que toutes les données et informations dont il dispose soient justes, et il est normal que ces informations entraînent des fluctuations des prix.
La spéculation entendue au sens de la manipulation du marché nuit au bon processus de formation des prix. Or, si les prix sont mal formés, l'épargne ne se dirige pas vers les bons investissements. Il est donc essentiel de faire en sorte que le marché soit le plus ouvert, le plus transparent, le plus liquide possible afin que les prix puissent se former correctement. Pour cela, le marché doit être développé.
Le prix dépend à la fois de l'évaluation des risques et de la liquidité du marché. Plus le marché est liquide, ce qui signifie que les acteurs sont nombreux, plus ces acteurs considèrent que le risque, et donc leur coût d'intervention, est faible. Les règles du marché doivent viser à établir de telles conditions.
La crise grecque, qui a été à l'origine de votre réflexion, s'est déclenchée bien avant que les choses ne s'emballent sur les marchés. La situation économique et financière de la Grèce était déjà unanimement considérée comme préoccupante, mais l'élément déclencheur a été d'apprendre que les gouvernements successifs avaient communiqué aux marchés des informations inexactes sur l'endettement du pays et le niveau de son déficit rapporté à sa production intérieure. C'est l'incertitude qui en est résultée et la perte de confiance dans l'émetteur de la dette qui ont entraîné les mouvements des marchés, les acteurs se rendant compte qu'ils avaient été trop optimistes sur la situation des finances publiques et que leurs informations étaient inexactes. Dans ce genre de cas, l'inquiétude est amplifiée par l'incertitude : ainsi, dès qu'il apprend qu'une entreprise a communiqué des données inexactes au marché, un investisseur ne croit plus à rien sur sa santé financière et la gravité réelle de la situation, ce qui ne peut aboutir qu'à une forte dégradation du marché.
Il est possible que certains acteurs de très court terme aient vu là une possibilité de profits, en anticipant une dégradation très prononcée de la situation, mais ce ne sont pas leurs mouvements qui ont créé la crise : tout au plus ont-ils pu l'aggraver ou l'entretenir.
Aujourd'hui, l'inquiétude persiste sur la situation de la Grèce en tant qu'émetteur, ce qui se traduit dans l'écart de taux avec les autres pays européens.
L'exposition des banques françaises en Grèce est relativement faible sur la dette de l'État et un peu plus élevée sur le reste de l'économie. Au total – en comptant l'État, les banques et les agents privés –, elle s'élève à 53 milliards d'euros, dont 9,5 milliards sur la dette souveraine à fin avril 2010. Lors de l'annonce du plan de soutien à la Grèce, nous avons pris l'engagement de conserver nos positions et nous l'avons tenu. Mais, encore une fois, ce n'est pas la spéculation qui a déclenché la crise : c'est l'annonce, grave en tant que telle, que l'émetteur avait communiqué de fausses informations.
Il est possible d'agir pour que le marché remplisse au mieux sa mission, c'est-à-dire finance l'économie. La réflexion s'organise autour de plusieurs axes. Le premier axe concerne la réglementation des agences de notation, notamment en matière de conflits d'intérêts. Un autre porte sur les marchés dérivés : il s'agirait de mettre en place une standardisation et une compensation centrale systématique des produits dérivés, afin de limiter au maximum le risque systémique. Une réforme de la directive sur les services financiers est aussi à l'étude, qui devrait améliorer la transparence des marchés, c'est-à-dire permettre la connaissance des interventions de chaque acteur et réduire la fragmentation des marchés. L'ensemble de ces réformes permettrait de rendre le marché plus transparent et plus liquide. Les banques françaises les appuient et contribuent à leur élaboration. Ces réformes sont nécessaires pour corriger les dysfonctionnements des marchés.