Il ne convient pas d'augmenter la flexibilité, mais de l'améliorer et de lutter contre la scandaleuse précarité que nous avons laissé s'installer, notamment chez les jeunes.
Notre première préoccupation doit être désormais de sécuriser les parcours professionnels. Or votre projet de fusion ne répond pas du tout à cet objectif. Il vise au contraire à augmenter la fluidité par une gestion administrative voire bureaucratique des demandeurs d'emploi, déjà bien engagée à travers l'obligation d'accepter des offres sous peine de sanction et la suspension des indemnités dont il faut savoir qu'elle relève de systèmes automatisés, qui ne permettent ni débat contradictoire ni explication. Certains demandeurs d'emploi ont ainsi vu leurs indemnités suspendues alors même qu'ils s'étaient rendus à des entretiens d'embauche.
Ne sous-estimez pas non plus le fait que cette fusion à marche forcée risque de donner lieu à des tensions avec les personnels : la manifestation qui a lieu devant le Palais Bourbon nous le confirme. Ils s'inquiètent pour leur statut mais aussi pour les futures nominations à la tête des directions régionales – M. Méhaignerie les a évoquées– et s'interrogent sur l'évolution de leurs missions. Ils craignent que le placement à outrance et la course aux radiations prennent le pas sur l'accompagnement et le développement des compétences et des qualifications.
Malheureusement, je crois qu'ils ont en partie raison. L'économie de votre projet, son étroitesse et votre précipitation s'expliquent du reste de plusieurs manières. Vous voulez avant tout mener une politique de pression sur les demandeurs d'emploi, notamment en transférant le contrôle à la nouvelle institution. Vous comptez, par ailleurs, faire financer le dispositif par l'UNEDIC, qui revient à meilleure fortune, en l'obligeant à y consacrer 10 % de ses fonds, sans donner de garanties sur les financements de l'État. Vous entendez également faire des économies d'échelle sur les locaux et les personnels, à l'instar des fusions des réseaux bancaires, et confier la collecte des contributions à l'URSSAF. Tout cela conduit à étendre la mainmise de l'État sur les flux financiers et à opérer un glissement vers le tripartisme, comme pour la sécurité sociale. Contrairement à ce vous affirmez, le paritarisme n'est pas préservé car l'UNEDIC, soyons francs, deviendra une coquille vide. Et je n'oublie pas votre intention d'éliminer ou du moins de remettre en cause le rôle des régions dans les politiques d'emploi et de formation.
Pour résumer, votre projet est restreint, administratif, centralisé et répressif !
Si vous vouliez mettre en oeuvre une véritable « flexisécurité » à la française, la nouvelle institution ne devrait pas se limiter pas au placement mais proposer un accompagnement global des demandeurs d'emploi et même de l'ensemble des salariés, en vue de la sécurisation des parcours professionnels. Dès lors, il ne s'agirait plus d'optimiser le réseau de placement, comme vous le proposez dans votre projet, mais de garantir à chacun le droit à un suivi individuel, à un référent unique l'accompagnant dans ses démarches de recherche d'emploi, mais aussi à une évaluation de ses compétences, à une formation et à une qualification, le cas échéant, à une reconversion. En un mot, il s'agirait de rendre effectif le droit à la formation tout au long de la vie, une formule que j'aurais aimé vous entendre prononcer, madame la ministre !
Tout cela nécessiterait bien évidemment des moyens supérieurs – rappelons qu'aujourd'hui, la France consacre 40 euros par demandeur d'emploi contre 110 euros au Danemark – ainsi que la mobilisation de l'ensemble des partenaires et des acteurs afin de mener une concertation approfondie sur ces sujets aussi bien avec les partenaires sociaux que les collectivités territoriales, au premier rang desquelles les régions qui, malgré leurs compétences en matière de développement économique et de formation professionnelle, sont les grandes absentes de votre projet de loi.
En procédant ainsi, le Gouvernement croit sans doute tenir une promesse de campagne. Mais il ne répond pas de manière satisfaisante aux exigences d'une réforme en profondeur de notre politique de l'emploi et s'écarte de la mise en oeuvre de la sécurisation des parcours professionnels que réclame le développement de l'économie de la connaissance.
Pour notre part, nous proposons la création d'un service public de la sécurisation des parcours professionnels. La fusion que vous proposez ne peut se concevoir qu'adossée à une réorientation en profondeur de la politique de l'emploi, qu'il faut à présent adapter aux nouveaux enjeux du marché du travail.
Quels sont-ils ?
D'abord, la segmentation n'a fait que s'accentuer entre salariés à statut classique et salariés précaires et a été aggravée pas les différences de traitement entre chômeurs selon qu'ils sont indemnisés ou non. Cette segmentation, la politique de l'emploi ne doit pas avoir pour effet de la reproduire et de l'amplifier mais de la combattre. C'est pourquoi une telle réforme ne peut être conduite indépendamment de celle de l'assurance chômage.
Ensuite, il existe un risque de déqualification des salariés ou des candidats à l'emploi, qui accroît leur vulnérabilité face au chômage. Or les rapports officiels se succèdent pour nous rappeler que les moyens que la nation consent à la formation continue ne sont pas utilisés efficacement et ne bénéficient pas à ceux qui en ont le plus besoin. C'est pourquoi une telle réforme ne peut être conduite indépendamment de celle de la formation professionnelle.
Enfin, les évolutions démographiques, liées au vieillissement de la population active, vont accroître les tensions sur le marché du travail entre offres et demandes d'emploi. C'est pourquoi une telle réforme ne peut être conduite indépendamment d'une territorialisation des politiques de l'emploi.
Le groupe socialiste a donc choisi d'entrer dans ce débat avec un ensemble de propositions qui visent à aller beaucoup plus loin que le projet du Gouvernement.
En premier lieu, nous proposons la création d'un véritable service public de l'emploi, de l'orientation et de la formation.
L'efficacité des politiques publiques de l'emploi est affaiblie aujourd'hui par la multiplicité des dispositifs et des interlocuteurs. La fusion que vous proposez n'a de sens que si elle permet de répondre à cet enjeu. Le nouveau service public de l'emploi devra prendre en charge toutes les étapes du parcours vers l'emploi, et pas simplement le placement et le contrôle. Sa création constituera la pierre angulaire d'une véritable sécurisation des parcours professionnels copilotée par l'État et les conseils régionaux, garantissant à ceux qui occupent un emploi, comme à ceux qui en recherchent un, tous les moyens utiles à l'accomplissement de leur projet.
Ensuite, nous proposons l'instauration d'un réfèrent unique dès le premier mois de l'inscription du demandeur d'emploi et non à partir du quatrième mois, afin de permettre un meilleur accompagnement du demandeur d'emploi. Cette mesure, qui s'inspire des expériences réussies en la matière dans d'autres pays européens, suppose naturellement que l'on précise le nombre d'emplois supplémentaires qui seront affectés aux missions d'accueil, de placement et d'accompagnement et que ces missions soient clairement distinctes de celle du contrôle.
Nous proposons également de réduire le nombre moyen de conseillers par demandeur d'emploi. La fusion n'a de sens en effet que si elle permet un accompagnement renforcé des demandeurs d'emploi. La réalité correspond aujourd'hui à une moyenne de 130 à 140 demandeurs d'emploi par conseiller et de 80 à 90 si l'on ne prend en compte les demandeurs d'emploi qu'à compter du quatrième mois. Si l'on veut assurer l'efficacité du dispositif, il faut atteindre un objectif d'un conseiller pour 50 demandeurs d'emploi, ratio plus proche de la réalité observée dans les pays qui font preuve du maximum d'efficacité en matière de reclassement.
Nous demandons aussi un renforcement et une meilleure articulation des moyens et des outils d'intervention de l'État. Or votre projet de loi est assez muet sur ce sujet. Pourtant, il en est la conséquence. Il n'indique pas quel devenir vous réservez aux services de votre propre ministère, aux outils et aux moyens gérés par les directions départementales du travail et de la formation professionnelle, aux services d'orientation de l'AFPA qui manifestent actuellement devant nos portes, ni même comment s'articule ce travail avec celui des dispositifs d'insertion des conseils généraux dans le cadre du RMI, ou encore avec les PLIE initiés par les collectivités locales.
De la même manière, le mépris dans lequel vous tenez les régions vous empêche d'évoquer l'articulation avec les programmes de formation dont elles ont la compétence.
Notre dernière proposition, mais non la moindre, consiste à mobiliser tous les acteurs à partir des enjeux concrets des territoires.
Le projet gouvernemental constitue une véritable usine à gaz dont le pilotage reste indéfini, pour ne pas dire flou. Le rôle des partenaires sociaux, y compris au sein de la nouvelle institution, reste incertain. Les régions, alors qu'elles ont la compétence en matière de formation et de développement économique, sont tenues à l'écart. Or le pilotage du dispositif constitue un enjeu essentiel. Le niveau régional nous paraissant être le bon niveau, nous proposons que la nouvelle institution soit copilotée par le préfet de région et le président du conseil régional, afin que l'on aboutisse à une coproduction des politiques de l'emploi à l'échelle de chaque région.
Nous demandons également la signature de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens entre la nouvelle institution, l'État, le conseil régional et les départements, en vue de préciser les ressources allouées par chaque partenaire à la réalisation des objectifs qu'ils auront déterminés collectivement à partir des réalités locales du marché du travail.
Cette solution permettra, dans le respect des responsabilités de chacun, une véritable mobilisation de tous et la prise en compte des besoins concrets des territoires.
Le même processus sera appliqué au niveau des bassins d'emploi et des agglomérations. Les maisons de l'emploi pourraient constituer, lorsqu'elles existent, l'instance normale de pilotage.
L'exemple des maisons de l'emploi témoigne à cet égard de votre improvisation sur le pilotage, madame la ministre. Dans un premier temps, vous nous avez indiqué un gel des conventions des maisons de l'emploi alors qu'aujourd'hui vous procédez à une sorte de réhabilitation de ce concept, si bien qu'on ne sait plus très bien où on en est dans cette valse-hésitation, faute d'avoir clairement déterminé au départ le pilotage des politiques de l'emploi et le rôle que vous assignez aux maisons de l'emploi.
En conclusion, le texte qui est soumis à notre examen ne tient pas compte du plan de cohésion sociale lancé en 2005 par Jean-Louis Borloo qu'il serait peut-être temps d'évaluer, ni des évolutions récentes du marché du travail, notamment de l'aggravation de la précarité et de la segmentation du marché du travail, ni des réformes annoncées en matière de marché du travail, d'indemnisation, de formation professionnelle et des dispositifs d'insertion, ni des stratégies territoriales pour l'emploi conduites par les collectivités locales – qu'il s'agisse des maisons de l'emploi, du devenir des PLIE ou des missions locales –, ni encore de l'inquiétude des personnels quant à leur statut notamment par rapport à la mise en place d'une nouvelle convention collective des ASSEDIC. On explique à ces personnels qu'elle sera meilleure, mais ils sont attachés à celle qui existe : aussi, pourquoi ne pas la conserver ?
Madame la ministre, votre projet de loi ne tient pas compte non plus du dissensus des partenaires sociaux sur la question du recouvrement des cotisations chômage par l'URSSAF et il ne donne pas d'information sur le devenir de l'AFPA, sur celui des directions du travail et de la formation professionnelle ou encore sur celui des missions locales. C'est donc peu de dire que votre projet n'expose pas clairement la politique de l'emploi que vous comptez mener ni même son pilotage, pourtant essentiel. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à voter cette question préalable, afin de mieux préparer la mise en place d'une politique de l'emploi tout entière tournée vers la mobilisation des acteurs dans le cadre d'un nouveau service public de l'emploi orienté en fonction des besoins concrets des territoires, de leurs entreprises, de leurs salariés et de leurs demandeurs d'emploi plutôt que de poursuivre la discussion d'un projet de fusion conçu par le Gouvernement dans la hâte et manifestement inachevé, et qui, finalement, posera plus de problèmes qu'il n'en résoudra. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)