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Intervention de Jérôme Bignon

Réunion du 20 octobre 2010 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Bignon, président du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres :

Depuis sa promulgation, le texte de 1975 n'a guère évolué qu'à deux reprises. Transcrivant les propositions formulées par le rapport Le Pensec, la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a élargi les compétences du Conservatoire. La loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a précisé le statut des personnels employés.

Quant à la mission du Conservatoire, qui s'exerce dans les cantons côtiers et dans le voisinage des grands lacs, je la crois clairement exprimée par l'article L322-1 du code de l'environnement : « mener, après avis des conseils municipaux et en partenariat avec les collectivités territoriales intéressés, une politique foncière de sauvegarde de l'espace littoral et de respect des sites naturels et de l'équilibre écologique. »

Le Conservatoire du littoral joue un rôle de force de proposition auprès des instances politiques représentatives locales dont l'accord est toujours requis. Son action conduit à une quasi-inaliénabilité de l'espace foncier acquis. Sans aller jusqu'à la protection absolue dont bénéficie le domaine public, la cession d'un terrain nécessite un décret en Conseil d'Etat pris à l'initiative du conseil d'administration du Conservatoire se prononçant à la majorité qualifiée des trois-quarts. Autant dire que la procédure est très complexe à satisfaire !

La gestion des espaces fonciers acquis est formalisée à travers des conventions qui sont passées avec des tiers – collectivités, établissements publics ou encore associations. Le fonctionnement de la structure est tout à fait novateur puisque, dès l'origine et alors que la décentralisation n'était pas même à l'ordre du jour, il a associé au sein du conseil d'administration représentants de l'Etat, personnalités qualifiées et élus locaux. Les conseils de rivage, composés exclusivement de délégués des collectivités territoriales, proposent les opérations d'acquisition ; ils sont consultés sur les actions envisagées.

On a souvent attribué la paternité du Conservatoire au Président Giscard d'Estaing et à son Premier ministre Jacques Chirac. Il est vrai que la victoire a cent pères. En réalité, c'est à Georges Pompidou qu'en revient l'initiative : amoureux du littoral et inquiet de son urbanisation, il commanda à l'inspecteur général Picard un rapport sur les voies et moyens de préserver ce qu'on appelait, à l'époque, le « tiers sauvage ». Celui-ci recommanda l'institution d'une structure ad hoc sur le modèle du National Trust britannique. Le Conservatoire d'aujourd'hui a conservé l'objectif d'hier, c'est-à-dire l'acquisition et la protection d'un tiers de la surface littorale française.

Au 1er janvier 2010, le Conservatoire du littoral et des rivages lacustres détient quelques 130 000 hectares de terres gérés par cent trente agents équivalent temps plein. Ce personnel reste stable alors que nous acquérons entre 3 000 et 5 000 hectares supplémentaires chaque année, ce qui accroît la difficulté de leur mission et la multiplicité des tâches qui incombe à chacun d'eux.

L'essentiel des ressources disponibles provient du droit annuel de francisation et de navigation (DAFN), une taxe frappant les navires de plus de sept mètres ou d'une motorisation supérieure à vingt-deux chevaux. Ce droit est levé par les services douaniers et il a l'avantage de constituer une ressource stable, voire légèrement dynamique en dépit du contexte économique. Les 38 millions d'euros de recettes sont intégralement affectés au Conservatoire depuis 2005, à l'initiative du Président Jacques Chirac qui souhaitait éviter que la préservation de la nature vienne à souffrir des coupes budgétaires. Il s'était d'ailleurs déplacé personnellement pour en faire l'annonce à Rochefort, où se situe notre siège.

Les acquisitions de terrains s'opèrent dans leur grande majorité à l'amiable, plus rarement par voie d'expropriation dans les périmètres de préemption. Comme l'opinion reconnaît le succès de l'action du Conservatoire, nous recevons aussi des dons et legs qui ont représenté 1,5 millions d'euros en 2009. Il nous est permis depuis dix ans de percevoir des dations en paiement. Il arrive que des collectivités territoriales nous versent des aides, voire que l'Etat consente à une subvention exceptionnelle pour des opérations spéciales comme en Camargue. Enfin, nous bénéficions d'affectations de terrains du domaine privé étatique à la suite de leur déclassement : ce sont classiquement d'anciennes bases navales ou des sites militaires. Le Conservatoire a par exemple récemment reçu des forts datant du Second Empire, dont le ministère de la Défense ne savait que faire et qui pourraient se prêter au développement d'activités touristiques.

Le Conservatoire est présent sur le terrain à travers quelques 700 gardes du littoral mis à sa disposition par les collectivités territoriales qui y trouvent des synergies fortes. Je pourrais citer le cas des départements de la Manche et de la Somme qui ont compris combien leur bonne image était liée à la préservation des littoraux.

Pour autant, je ne suis pas à la tête d'un établissement public voué à sanctuariser les rivages nationaux. Les trois quarts de nos terrains font l'objet d'un contrat de gestion qui encadre leur mise en valeur. 17 000 hectares sont par exemple confiés à sept cent cinquante agriculteurs pour faire vivre l'agriculture en bord de mer et sur les rives des lacs. Nous discuterons d'ailleurs prochainement avec la FNSEA pour affiner les modalités de gestion, qui ne prennent pas la forme de baux ruraux mais de conventions, afin de limiter les droits qui grèveraient la propriété foncière. Ces cultures sont gérées de façon durable, ce qui se traduit par des contraintes que nous compensons par de faibles redevances. L'espace possédé par le Conservatoire abrite ainsi des productions de vin, de miel ou de moutarde, des élevages ovins et caprins : bref, un salon de l'agriculture à lui seul. J'ajoute que la pratique de la chasse y reste possible dans le cadre de conventions conclues soit avec le cédant pour conserver un droit d'usage, soit avec les fédérations locales sous forme de mises à disposition. L'activité touristique est en outre ouverte pour la découverte de la nature et le parcours des sentiers de douaniers : on estime à trente millions par an le nombre de visiteurs sur les sites du Conservatoire.

Le Conservatoire s'est doté en 1996 d'une délégation à l'outre-mer, rendue nécessaire par les immenses espaces à gérer sur l'ensemble du territoire. Il bénéficie aussi de l'appui d'un conseil scientifique, présidé par le professeur Lefeuvre, qui allie sciences dures et sciences humaines pour faire émerger une conception culturelle et philosophique du littoral.

Je conclurai ma présentation en mentionnant les difficultés que rencontre le Conservatoire et que les parlementaires pourraient décider d'amoindrir. Nous souffrons de l'inadaptation du statut du personnel, qui remonte à 1984, qui se traduit par une proportion élevée de contractuels peu favorisés et qui fait perdurer un régime indemnitaire complexe. Une réunion est prévue avec le secrétariat général du ministère de l'environnement pour aborder cette question. Par ailleurs, l'affectation du droit annuel de francisation et de navigation peut être remise en cause ; elle ne permet de toutes façons pas de couvrir les nouvelles missions comme la rénovation du patrimoine littoral, ainsi les phares et les abbayes. Un amendement est attendu en loi de finances rectificative pour élargir l'assiette de la taxe aux véhicules nautiques à moteur.

Le Conservatoire du littoral est partenaire de tous les établissements publics concernés par la biodiversité, des associations oeuvrant en faveur de la protection de la nature (par exemple, les associations gestionnaires de jardins ou de terrains sur le littoral breton ou atlantique), des parcs nationaux, de Réserves naturelles de France, etc.

Le groupe de travail n° 2 du Grenelle de l'environnement, consacré à la biodiversité et présidé par Marie-Christine Blandin et Jean-François Le Grand, avait suggéré la mise en place d'une grande « Agence de la nature » à compétence nationale. L'idée a été reprise dans la loi « Grenelle II » et un rapport de préfiguration a été confié à Michel Badré et Jean-Philippe Duranthon.

Dans ce domaine de la préservation des espaces et de la biodiversité, je souhaiterais faire trois constatations.

D'une part, s'il semble que la protection des lieux et des espaces présentant un caractère exceptionnel est aujourd'hui assurée de manière globalement satisfaisante, il est difficile d'en dire autant de la préservation des sites plus communs. Or il faut garder présent à l'esprit que les premiers ne doivent guère représenter plus de 5 % du total des espaces à protéger. D'autre part, certaines missions ne sont aujourd'hui remplies que très imparfaitement : c'est le cas des activités de connaissance et d'évaluation, mais aussi de la gestion des ressources humaines. Enfin, il faut admettre que la coordination entre tous les partenaires, mal assurée, est perfectible. La France affectionne l'organisation en « tuyaux d'orgue », dans ce domaine comme dans d'autres, ce qui ne facilite pas la transversalité.

Je ne crois absolument pas qu'il faille appeler de ses voeux une fusion de tous les opérateurs. Mais il doit être possible d'inventer des structures suffisamment souples pour améliorer la recherche de synergies et remédier à certaines carences, tout en préservant l'identité de chacun.

A la suite de la mission de préfiguration, la concertation se poursuit et les conseils d'administration des différents établissements publics concernés ont été informés et consultés. L'idée serait de créer un Haut Comité de la biodiversité, une Agence de la biodiversité ou une Agence de la nature, qui reprendrait les moyens de certains établissements publics et permettrait donc de tirer avantage des bénéfices de la transversalité.

Je ne voudrais pas conclure sans mentionner que, parmi les autres grands dossiers qui attendent le Conservatoire, se trouve bien évidemment celui de l'outre-mer, les départements ultramarins abritant de véritables trésors de la biodiversité.

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