Un écart de 1 000 points de base – avant une diminution progressive.
À l'heure actuelle, la situation est toujours tendue, avec une forte aversion pour le risque de la part des intervenants de marché, qu'illustrent les écarts de taux et les niveaux très faibles des taux demandés aux États considérés comme les plus sûrs ; fin août, le taux à dix ans allemand a atteint son minimum historique, à 2,11 %, suivi en septembre par le taux à dix ans français, à 2,47 %.
Cette aversion pour le risque est entretenue par les incertitudes concernant la capacité des États à mener leurs politiques de consolidation budgétaire, la santé des grandes banques – bien que certaines d'entre elles aient été balayées par la publication des tests de résistance bancaires (stress tests) –, et l'évolution de la réglementation des instruments financiers, notamment en Europe.
Dans ce contexte, les investisseurs traitent les États de manière de plus en plus différenciée. Si la Grèce est devenue un cas particulier, d'autres pays sont jugés vulnérables, comme le Portugal et l'Irlande : si ces pays réussissent leurs émissions, ils le font au prix de concessions significatives sur les taux d'adjudication, pouvant aller jusqu'à plusieurs dizaines de points de base.
Dans ce contexte, y a-t-il des mouvements pouvant être qualifiés de spéculatifs et si oui, comment peut-on les contrer ?
L'évolution des conditions de financement des États dépend d'un petit nombre de facteurs. Premièrement, le taux de court terme auxquels se financent les États est forcément supérieur au taux auquel leur banque centrale rémunère les fonds déposés par les établissements bancaires : dans la zone euro, le taux plancher est de 0,25 %, ou 25 points de base. Dans le cas contraire, les banques pourraient réaliser un arbitrage entre les titres d'État et les fonds de la banque centrale, ce qui ferait monter les taux d'État de court terme.
S'agissant des titres de plus long terme, leur taux est déterminé essentiellement par les anticipations d'évolution des taux directeurs, elles-mêmes liées aux anticipations de l'inflation, et par une prime de risque qui dépend, entre autres, de la notation de l'émetteur. Il paraît difficile que ces éléments soient sujets à spéculation, dans la mesure où ils sont structurels et s'imposent à tous les acteurs.
Le deuxième facteur est l'appréciation que porte le marché sur un émetteur – et les craintes qu'il fasse défaut. Ce facteur a pris une place nouvelle depuis la faillite de Lehman Brothers en 2008 : alors qu'auparavant, les gestionnaires de portefeuille estimaient que les obligations d'État étaient par définition un produit sans risque, certains les considèrent désormais comme des titres de crédit, dont le paiement peut être incertain, notamment lorsque l'émetteur rencontre des difficultés économiques et budgétaires, et dont la volatilité est bien trop élevée pour les normes d'investissement auxquelles ils sont contraints. Ces investisseurs doivent vendre automatiquement une partie de leurs positions sur les États jugés « à risque », sous peine de voir les épargnants réclamer une gestion plus sûre de leurs fonds ou le comité de suivi des risques exiger la réduction de leur exposition. Ces mouvements amplifient donc les mouvements de marché, sans être à proprement parler des manoeuvres spéculatives : il s'agit d'une conséquence plutôt que d'une cause.
À cet égard, les notes attribuées par les agences de notation financière sont déterminantes, car elles servent fréquemment de base aux critères d'éligibilité des titres souverains dans les portefeuilles. La sécurité de ceux-ci est fonction, non seulement de la probabilité qu'un État fasse défaut, mais aussi de la volatilité estimée du titre, effet de marché indépendant de la capacité dudit État à honorer ses engagements financiers. Or, si les agences de notation doivent en théorie privilégier une vision à long terme prenant en considération les effets des cycles financiers et économiques, il s'avère qu'elles suivent assez rapidement les anticipations du marché, ce qui a un effet pro cyclique en accentuant les mouvements erratiques des marchés obligataires, au lieu de rassurer ceux-ci. Là est, à mon avis, le coeur du problème.
Dans un monde de marchés, l'accès à l'information est capital. S'il y a eu des tentatives de manipulation du marché, c'est bien plus par la diffusion d'informations erronées ou biaisées que par l'utilisation d'une technique financière particulière. Certains investisseurs peuvent tirer parti de la crédulité du marché en diffusant, après avoir pris une position, une rumeur afin de rendre cette dernière gagnante, les investisseurs « grégaires » orientant le marché dans le sens souhaité.
Ces abus font aujourd'hui l'objet d'une attention pointilleuse de la part des régulateurs. Pour les combattre, il convient d'encadrer au maximum les marchés et d'accroître la transparence et la fiabilité des données.
J'en viens maintenant à mon troisième point. Le marché de la dette est lié par des relations d'arbitrage et de couverture à des marchés d'instruments financiers, tels que les marchés de contrats d'échange de taux d'intérêts, et le marché des contrats d'échange de risque de défaut de titres, dits « CDS ». De ce fait, il existe des possibilités de spéculation et, surtout, des risques de contagion des phénomènes d'instabilité d'un marché à l'autre. C'est pourquoi ces marchés doivent être encadrés ; il convient de mettre en place une obligation de déclaration centralisée des transactions, afin que les autorités prudentielles puissent évaluer la situation, et une obligation de compensation, de manière à assurer leur stabilité. À cet égard, les propositions faites par la Commission européenne vont dans le bon sens.
Le cas du marché des CDS est particulièrement intéressant. Le paradoxe de ces instruments, c'est qu'ils sont à l'origine destinés à couvrir le risque de défaut, mais, en pratique, ils sont utilisés à d'autres fins.
Qu'est-ce qu'un CDS ? Prenons l'exemple – théorique ! – d'un risque de défaut sur l'État allemand. En signant un contrat d'une durée de cinq ans, portant sur un montant d'1 million d'euros, on s'engage à payer pendant cinq ans une prime d'assurance annuelle de quarante points de base, soit 4 000 euros. En échange, si l'État allemand échoue à honorer l'un des engagements pris sur ses titres de dettes, restructure un montant significatif de sa dette, la répudie ou la repousse à une date ultérieure sans passer par des échanges de titres sur le marché, on reçoit le montant précité à titre de dédommagement.
Les limites de ce type de produits, lorsqu'ils portent sur un État souverain, sont évidentes. D'abord, comment un établissement financier pourrait-il être en mesure de pallier, dans les cinq ans, un défaut de l'Allemagne ? Ensuite, ne faudrait-il pas imposer un plafond à l'encours notionnel des CDS, dans la mesure où le degré de risque contre lequel on s'assure risque de déséquilibrer les bilans ? Les limites que rencontrent les acteurs de marché à la constitution de positions nettes importantes sur un émetteur donné devraient être régulées, afin de s'assurer qu'elles ne fragilisent pas l'ensemble du système financier.
Ces questions prudentielles, fort délicates, relèvent de la compétence du régulateur. Néanmoins, je juge urgent d'encadrer de très près ce marché et de pousser les établissements détenteurs de ces positions à contrôler leur degré d'exposition au risque.
Venons-en à la pratique. Les CDS étant des instruments de marché, ils sont soumis à la loi de l'offre et de la demande. Des arbitrages pouvant être faits avec le marché des obligations, leurs cours suivent assez naturellement, avec des délais et des amplitudes variables, l'évolution des écarts de taux entre les pays. Les acteurs de marché les utilisent avant tout pour cette propriété et non contre un très hypothétique défaut de l'Allemagne avant 2015 !