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Intervention de Philippe Mills

Réunion du 29 septembre 2010 à 16h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Philippe Mills, directeur général de l'Agence France Trésor :

En quelque sorte. Ce sont des « grossistes », qui retransmettent à chaque adjudication les ordres de leurs clients : banques centrales, investisseurs institutionnels, gérants de fonds de pension, assureurs.

Ce mécanisme d'intermédiation assure à l'Agence France Trésor une très grande sécurité de ses transactions, les SVT étant garants de la bonne exécution des opérations et devant, avant d'accepter qu'un client passe un ordre sur les titres souverains, mener les investigations nécessaires afin de s'assurer du sérieux et de la solvabilité du candidat. Si l'État devait négocier directement avec les clients finaux, le coût de gestion serait rédhibitoire.

Par ailleurs, une telle organisation permet de minorer les coûts et les risques en termes d'émission de titres et de financement de la dette. En effet, les SVT ont pour fonction d'informer en permanence l'Agence sur l'évolution des besoins des investisseurs finaux, que ce soit en termes de maturité des titres – de deux ans jusqu'à cinquante ans – ou de type de produits. Grâce à ce flux d'informations, nous pouvons adapter en continu l'offre de titres à la demande.

La politique d'émission de l'Agence est très appréciée des investisseurs, car elle est prévisible, transparente et régulière. L'Agence publie à l'avance les dates de mises sur le marché de bons du Trésor à taux fixe (BTF), de bons du Trésor à intérêt annuel (BTAN) et d'obligations assimilables du Trésor (OAT) et abonde régulièrement des souches de référence, qui représentent entre 80 et 85 % des émissions de l'Agence et constituent des références de taux très appréciées par les investisseurs. Ceux-ci sont ainsi assurés de pouvoir disposer, quand ils le souhaitent, d'un titre français de quelque maturité que ce soit, du BTF de trois mois jusqu'à l'OAT de cinquante ans. Cela garantit en outre à l'Agence une demande structurelle des investisseurs, ce qui réduit considérablement le taux auquel l'État se finance.

Par ailleurs, les SVT ont l'obligation contractuelle de concourir à la liquidité des titres français. Ils doivent donc être capables d'intervenir en permanence comme contreparties, avec des marges strictement encadrées et contrôlées par l'Agence. C'est pourquoi les titres d'État français sont considérés comme une référence en matière de liquidité, et qu'ils sont très demandés sur le marché secondaire.

De surcroît, les SVT étant présents à la fois sur le marché primaire et sur le marché secondaire, ils peuvent réaliser des arbitrages entre les deux ; de ce fait, les prix demandés aux adjudications organisées par l'État sont très proches de ceux auxquels s'échangent les titres sur le marché secondaire. Cela concourt également à réduire le taux de financement de l'État : comme on peut facilement les échanger, on ne demande pas une prime de liquidité pour les émettre.

Cette organisation intermédiée du marché primaire de la dette – qui, sans que ce soit une particularité française, est particulièrement organisé dans notre pays – permet donc de garantir que l'État bénéficie, de manière structurelle, des meilleures conditions de financement possibles. Or, son bon fonctionnement nécessite l'utilisation par les SVT de techniques financières comme la vente à découvert « à nu », qui permet de mettre sur le marché les titres de l'Agence France Trésor. C'est pourquoi il ne faut pas faire d'amalgame entre les techniques financières utilisées et les fins spéculatives de certains acteurs : ce n'est pas la technique qui fait la spéculation, mais son utilisation.

Les SVT sont des intermédiaires. L'objectif n'est pas qu'ils achètent en propre toute la dette de l'État : le volume de titres émis est beaucoup trop important. Cela consommerait une part trop importante de leurs ressources et les mettrait en danger, tout en fragilisant considérablement la sécurité des émissions de l'État, car la base d'investisseurs serait trop réduite. Leur rôle est d'assurer la sécurité et la fluidité de la mise sur le marché des titres de l'État français.

Lorsqu'un SVT reçoit un ordre d'achat, il est obligé d'effectuer une vente « à découvert » – par définition, les SVT vendent des titres qu'ils ne peuvent pas posséder, puisque ceux-ci n'ont pas été encore émis – et « à nu » – il est impossible aux SVT d'emprunter sur le marché du prêt-emprunt de titres (repurchase agreements ou Repo), dans le laps de temps qui sépare la négociation de la vente et le règlement de celle-ci, les titres qui ne seront mis sur le marché qu'à la livraison qui suit l'adjudication. Si les SVT ne disposaient pas de ce mécanisme, ils devraient de toute façon honorer leurs ordres vis-à-vis de l'État, sans quoi ils perdraient leur statut.

En outre, afin de garantir la sécurité des adjudications françaises, la charte qu'ils ont signée avec l'AFT les contraint à être présents à chaque adjudication et à acquérir un montant minimal de 2 % sur chaque ligne et sur chaque adjudication, et de 2,5 % sur l'ensemble des émissions de l'année. Ils doivent alors se couvrir en amont de la mise sur le marché des titres, en trouvant l'équivalent d'un client. Pour cela, ils vendent à découvert des titres français, soit ceux qu'ils vont réellement acheter s'il s'agit de souches existantes, soit des papiers de maturité proche.

Sans la technique de la vente à découvert à nu, la fluidité de la mise sur le marché des titres de l'État français serait donc bien moindre et l'État paierait plus cher les capitaux qu'il emprunte. Cette situation n'étant pas propre à la France, il importe que la proposition de règlement européen sur l'encadrement des ventes à découvert et des dérivés de crédits souverains, qui vise, de façon parfaitement légitime, à imposer des obligations de transparence pour les positions courtes, ne grippe pas les rouages du marché primaire. Ce constat fait l'unanimité parmi les agences de la dette des Vingt-sept, et les dispositions nationales prises sur le sujet – qu'elles soient ou non liées à la proposition de règlement européen – doivent tenir compte de cette contrainte.

J'en viens maintenant à mon deuxième point : les tensions dont a fait l'objet le marché de la dette souveraine, et le rôle joué par certains acteurs et certains instruments financiers.

Des tensions sur le marché de la dette souveraine existaient déjà à la fin de 2007 et au début de 2008, mais la situation est devenue préoccupante à partir de novembre 2009, quand les marchés ont commencé à s'intéresser à la situation budgétaire grecque.

Le facteur déclenchant fut l'annonce en novembre 2009, par le nouveau gouvernement grec, que les statistiques publiées sur les finances publiques étaient erronées, et que le déficit pour l'année 2009 serait de 12 %, au lieu des 6 % attendus. L'écart de taux de financement relatif entre la Grèce et l'Allemagne s'est alors creusé. Les appels au marché sont devenus de plus en plus difficiles pour l'État grec, les marchés ayant des incertitudes croissantes sur sa capacité à ramener son déficit à un niveau compatible avec sa situation économique. En conséquence, l'écart moyen entre le taux de financement de la Grèce et celui de l'Allemagne a connu plusieurs pics, le premier, fin janvier 2010, à près de 400 points de base, le dernier, le 7 mai 2010, à plus de 1 000 points de base.

C'est alors qu'est intervenu le plan coordonné de stabilisation financière de l'Union européenne, adopté au cours du week-end du 7 au 9 mai 2010. Les éléments de ce plan ont permis de faire bénéficier les pays « périphériques » d'une accalmie, avec une diminution régulière des écarts de taux de financement, jusqu'au moment où, le 14 juin 2010, l'agence de notation Moody's a dégradé à nouveau la note de l'État grec, de A3 à Ba1. Compte tenu des précédentes dégradations de la note par Standard & Poor's et Fitch, cette décision a eu pour conséquence de faire sortir les titres grecs de la catégorie des titres dits « Investment grade », c'est-à-dire des investissements de qualité, ce qui a amorcé un mouvement de vente dans les lignes de portefeuilles tenus par des gestionnaires d'actifs contraints par leurs règles de gestion et leurs dispositifs de contrôle des risques, à ne détenir que des titres de qualité maximale. Les écarts de taux entre la Grèce et la moyenne de la zone euro et entre la Grèce et l'Allemagne se sont accrus à nouveau.

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