La très grande qualité de l'architecture de l'amendement de nos collègues explique celle des interventions qui viennent d'avoir lieu. Elles montrent qu'il est possible, de façon dépassionnée, de faire évoluer notre fiscalité du patrimoine.
L'amendement a trois vertus. La première, essentielle et garante de sa cohérence, est le lien, indispensable, effectué entre le bouclier fiscal et l'ISF. Le bouclier n'est en effet que l'héritier du plafonnement de l'ISF. La nécessité de ce plafonnement est clairement apparue en 1988, lors du rétablissement de cet impôt. L'inclusion en 1997, par instruction du ministre des finances de l'époque, M. Dominique Strauss-Kahn, de la CSG dans son calcul est encore plus emblématique de son caractère essentiel pour corriger les effets spoliateurs de l'ISF. En revanche, une grave erreur sémantique a été commise, à la fin de l'année 2005, lors de l'examen de la loi de finances initiale pour 2006 : la substitution de la notion de « bouclier » à celle de « plafonnement ».
Un élément technique illustre aussi la nécessité du plafonnement. Lorsque l'impôt sur les grandes fortunes a été créé en 1982, son taux marginal, de 1,5 %, était équilibré par rapport à la rentabilité du capital. Dans cette période d'inflation, le rendement qu'un citoyen qui plaçait ses avoirs en obligations d'État dites Delors, émises pour venir au secours de nos finances publiques, pouvait en tirer était de 16,85 %. Aujourd'hui, alors que le taux marginal de l'ISF est passé à 1,8 %, les obligations d'État n'offrent plus qu'une rémunération inférieure à 4 % ! ISF et plafonnement ne peuvent donc pas être traités séparément.
L'obligation de gager qu'instaure l'amendement est également à retenir. La nécessaire réforme du patrimoine ne peut éviter en effet l'obligation de gager les manques à gagner qui lui seront consécutifs. Aujourd'hui, alors que le déficit public représente 8 points de PIB, et que la dette publique va frôler les 1 600 milliards d'euros, les ressources doivent absolument être protégées. Nous n'avons pas les moyens de reprendre la démarche adoptée pour la réforme de la taxe professionnelle.
Troisième élément de grand intérêt, la recherche, pour compenser la suppression d'un impôt sur le patrimoine, de ressources pesant elles-mêmes essentiellement sur celui-ci, et plus précisément sur ses revenus.
Je note aussi la convergence des remarques de nos collègues Hervé Mariton, Henri Emmanuelli et François Hollande, ou encore Michel Bouvard, sur l'imposition minimale du patrimoine au nom de l'efficacité économique. La fiscalité du patrimoine ne doit pas se limiter à celle des flux. Je citerai non pas Maurice Allais mais un exemple déjà présenté par notre collègue Pierre-Alain Muet il y a six mois à peine, celui des Pays-Bas. Une réflexion très approfondie y a débouché sur le maintien d'une imposition forfaitaire d'un stock, avec une assiette très large.
Nos collègues auteurs de l'amendement ont raison : la proportion des revenus du patrimoine imposés à un taux marginal d'imposition de 46 % serait très supérieure à celle qui est imposée sur la base des tranches inférieures. La part des revenus du patrimoine au sein de la tranche des 40 % est de 20 % ; elle est moitié moindre au sein de celle des 30 %. On peut ainsi penser que le patrimoine représenterait une part de 30 % à 40 % des ressources tirées de la création d'une tranche d'imposition au taux de 46 % ; en revanche, monsieur Piron, elle n'atteindrait pas une part de 50 %.
Pour autant, l'essentiel des propositions de l'amendement aboutit bien à l'imposition de revenus du patrimoine. Un biais, au sein de la tranche au taux marginal de 40 %, voire, dans une moindre mesure, de celle où il atteindrait 46 %, est en effet constitué par la proportion très importante de bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et de bénéfices non commerciaux (BNC), qui, quoique considérés comme des revenus du travail, sont en réalité mixtes.
L'amendement présente cependant nombre de défauts, voire d'erreurs techniques, inévitables eu égard à la complexité de la question.
Le premier est constitué par le passage du taux du prélèvement forfaitaire libératoire à 27 %. En effet, le droit commun, c'est le barème ; même un contribuable dont le taux d'imposition marginal sera de 46 % n'optera pas pour un PFL à 27 %. De ce fait, la recette à attendre du relèvement de son taux est beaucoup plus limitée que ce qu'espèrent les auteurs de l'amendement.
L'amendement prévoit aussi des dispositions rétroactives pour des prélèvements forfaitaires libératoires qui ont déjà été effectués depuis le début de l'année.
Par ailleurs, comme le régime d'imposition des plus values est un taux forfaitaire, l'augmentation forte du taux proposée par l'amendement fera passer brutalement, au titre d'une plus value immobilière – qui certes ne pèsera pas sur la résidence principale, puisque celle-ci sera exonérée – un contribuable modeste, imposé à 0 % ou à 5,5 % au barème, d'un taux d'imposition de 19 %, le taux actuel, à 27 %. Il en est de même pour les plus-values mobilières. À l'instar de nos collègues socialistes, je me demande donc si le passage de l'imposition des plus values du forfait au barème ne serait pas la meilleure solution.
Ces éléments montrent ainsi que cet amendement suppose non seulement un travail de réflexion de fond – sur le maintien d'une imposition du stock de patrimoine, par exemple – mais aussi de nombreuses améliorations techniques. Un délai s'impose donc.
Je souhaite que nous puissions de nouveau tenir le présent débat dans l'hémicycle. L'an dernier, au cours d'une discussion très constructive d'une heure en séance publique, Michel Piron et moi-même avons proposé la fusion du crédit d'impôt sur les intérêts des prêts souscrits pour l'achat d'un logement avec le prêt à taux zéro. Après des opérations très compliquées d'ajustement des curseurs, c'est ce dispositif que propose aujourd'hui le projet de loi de finances pour 2011.
Comme Marc Le Fur et Henri Emmanuelli, je considère que, quand bien même un impôt sur le stock de capital serait maintenu, s'exposer avant les élections à l'accusation de supprimer l'ISF est un risque politique majeur. En effet, autant nous voyons bien que, dans cette enceinte, nous pourrions presque, ensemble, rédiger la réforme, autant il n'est pas certain qu'elle pourrait être expliquée de façon claire et sereine à l'opinion.