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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 7 octobre 2010 à 9h30
Protection des mineurs roumains isolés en france — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la discussion de ce projet d'accord entre la France et la Roumanie n'est pas anodine dans le contexte créé par le discours du Président de la République du 30 juillet dernier, que l'on appelle communément le discours de Grenoble. Même si les Roms ne sont pas tous roumains, même si les enfants roumains ne sont pas tous Roms, il est clair que le moment choisi pour revenir sur cet accord pose la question d'une manière très politique.

L'image de la France s'est tellement dégradée que nous devons redoubler d'attention face au texte qui nous est présenté, alors même que notre pays est sommé par l'Union européenne de respecter les droits fondamentaux mis à mal par la politique de chasse au faciès et de stigmatisation d'un groupe en raison de son origine. Or ce texte est curieusement revenu à l'ordre du jour alors que le Sénat en avait suspendu l'examen en 2009.

Rappelons les étapes successives. Un accord bilatéral conclu en 2002 et publié par le décret du 7 mars 2003, entré en vigueur à la même date est devenu caduc depuis mars 2006. Le projet de loi, déposé par le ministre des affaires étrangères le 27 août 2008, sollicite la ratification d'un nouvel accord signé à Bucarest le 1er février 2007. Il a fait l'objet d'une première discussion en commission des affaires étrangères du Sénat le 13 mai 2009. À cette date, la commission « a décidé de reporter sa décision. Elle a demandé au rapporteur de poursuivre ses investigations et de faire rapport à une date ultérieure ».

Comme plusieurs membres de la commission, la rapporteure, Mme Garriaud-Maylam, a estimé que « cet accord soulevait plusieurs incertitudes, tant sur sa nécessité, compte tenu de la très forte décrue numérique du phénomène des mineurs roumains isolés et de l'existence d'un dispositif de droit commun, que sur le plan juridique pour ce qui concerne le rôle du juge des enfants et l'intervention nouvelle du parquet et le consentement du mineur, ou encore quant à son efficacité si le retour est insuffisamment préparé dans un contexte de libre circulation des personnes ». Or, quelques mois plus tard, le texte revient au Sénat alors que rien n'a fondamentalement changé depuis 2009. À son retour d'un déplacement en Roumanie avec le secrétaire d'État aux affaires européennes, la rapporteure soumet un nouveau rapport, favorable cette fois – ô miracle – à une ratification rapide de l'accord. S'exprimant devant la commission, le 23 février dernier, elle écarte les objections qu'elle avait précédemment émises et préconise la ratification de l'accord selon la procédure simplifiée. Que s'est il donc passé entre 2009 et 2010 ?

Rien du point de vue européen, puisque la rapporteure indique regretter l'absence de stratégie européenne. La partie roumaine a-t-elle insisté ? La rapporteure dit que oui, mais rien ne le laisse supposer. La réalité, c'est que l'accord sur lequel les autorités françaises insistaient tant en 2009 est devenu un enjeu politique, avant même le discours de Grenoble de juillet dernier. Les enfants roumains, ou plutôt Roms, sont devenus une cible en tant que telle pour des raisons politiques. Et voilà pourquoi entre des circulaires « racialistes », une loi Besson xénophobe et une loi de programmation sécuritaire de M. Hortefeux, on se presse tant pour ratifier un accord qui, du point de vue des acteurs de terrain, n'a ni cohérence ni pertinence.

La philosophie globale de cet accord repose sur un axiome très contestable : l'intérêt supérieur du mineur isolé résiderait avant tout dans son retour au pays d'origine. Ainsi, avec ce texte, le processus de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant mis en oeuvre est bâclé, qu'il s'agisse du travail social ou de l'intervention de l'autorité judiciaire indépendante, en l'occurrence le juge des enfants, qui est court-circuité. Cela peut avoir des conséquences tragiques pour l'avenir et le bien-être du mineur. Je vais tenter de démontrer que, pour privilégier cette option idéologique et comptable de l'expulsion, on a fait fi de tous les principes inscrits dans la Convention internationale des droits de l'enfant ratifiée par la France.

Plusieurs questions se posent, et d'abord celle de la faiblesse de la partie roumaine dans le domaine de la protection des enfants. l'Autorité nationale pour la protection des droits des enfants en Roumanie n'a pas assuré le suivi, et aucun retour d'information n'est parvenu en France, ni sur l'évolution de la situation des jeunes rentrés au pays ni même sur le fait de savoir s'ils sont restés dans leur famille. L'accord passé directement par l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, l'ANAEM, devenue OFII, avec des organisations non gouvernementales roumaines qui se substituent aux autorités locales montre à suffisance la faiblesse de la partie roumaine dans la réintégration des enfants après leur retour, principalement en ce qui concerne la mise en oeuvre des mesures de protection de l'enfance.

Les juges pour enfants français ont pu constater la légèreté des enquêtes sociales, très succinctes, concluant généralement par une formule standard au retour en famille, malgré des situations de détresse affective, psychologique, sociale et financière des parents. L'association Hors la rue a fait un bilan des accords de 2002-2006 dans un rapport intitulé « Que deviennent les jeunes après leur retour en Roumanie ? » Ce rapport conclut que « l'impression qui se dégage est que les rapatriements opérés dans le cadre des accords franco-roumains se sont le plus souvent limités à une opération logistique de retour au pays, sans véritable préparation, ni surtout de suivi a posteriori. On peut ainsi s'interroger d'une part sur la conformité de ces retours avec les traités internationaux qui garantissent le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant, et d'autre part sur l'efficacité de ces retours du point de vue du contrôle des flux migratoires. Si certains retours, préparés, accompagnés et suivis ont permis à des jeunes de retrouver leur place dans la société roumaine, la majorité des jeunes rapatriés dans le cadre des accords franco-roumains ont été victimes des dysfonctionnements des administrations des deux pays, sans véritable « projet de retour » élaboré avec et pour le jeune ». La Roumanie est en cause, mais la France également puisque sur les 5 000 à 7 000 enfants Roms âgés de 6 à 16 ans dénombrés sur notre territoire, moins de 10 % sont scolarisés. Au stade actuel, les modalités de retour mises en place s'avèrent donc inefficaces.

La réduction des garanties exigées de la partie roumaine par le nouvel accord ne permet en rien d'assurer le respect des critères minimaux nécessaires à la protection de l'enfant pour un retour en famille. Ces garanties sont nettement inférieures aux exigences – non respectées déjà – figurant dans 1'accord précédent.

Or chacun sait que la prise en charge des mineurs isolés est un processus complexe, une chaîne de compétences dont la logique trouve son inspiration dans un principe fondamental : l'intérêt supérieur de l'enfant.

Lorsque le retour devient une possibilité, il faut qu'il soit réellement volontaire ; il suppose aussi le respect d'un certain nombre de principes, reposant sur une prise en compte renforcée de l'intérêt supérieur de l'enfant. Cela passe notamment par l'accord du mineur et par un ensemble d'investigations permettant de s'assurer que le rétablissement des liens familiaux correspond à son intérêt supérieur et qu'il permet de le mettre à l'abri d'un certain nombre de risques d'exploitation, qui existent et qu'il ne faut pas minimiser.

Le lieu d'arrivée est aussi important que le départ, et les services sociaux doivent s'assurer que le bien-être de l'enfant sera garanti dans le pays de retour. L'intérêt supérieur de l'enfant, consacré par la Convention internationale des droits de l'enfant, commande d'inscrire le retour volontaire dans le cadre d'un véritable projet de vie, adapté à la situation personnelle du mineur. Sur ce point, l'étude préalable menée par les services sociaux constitue un outil indispensable.

Ce processus, toujours fondé sur l'accord du mineur, suppose une enquête sociale qui prépare le rétablissement des liens familiaux, et surtout détermine les dangers ou les risques encourus par le mineur à l'arrivée. Cette enquête incombe non seulement aux services sociaux français, mais également au pays d'accueil, qui doit garantir que le retour du mineur se fera dans les meilleures conditions. Rien n'a avancé depuis dix ans dans ce domaine. Il serait donc dangereux de faire un chèque en blanc au gouvernement roumain.

La partie la plus contestable de cet accord réside dans les prérogatives accordées au procureur de la République par l'article 4. Son alinéa 3 prévoit : « Si le parquet des mineurs ne saisit pas le juge des enfants, il peut, dès réception de la demande roumaine de raccompagnement, la mettre à exécution, s'il estime, eu égard notamment aux données fournies par la partie roumaine, que toutes les garanties sont réunies pour assurer la protection du mineur. » L'alinéa suivant prévoit bien l'intervention du juge des enfants « [s'il] est saisi » pour ordonner la mainlevée d'une mesure de placement judiciaire. Cette disposition contredit plusieurs règles protectrices des droits fondamentaux de la personne et, en particulier de l'enfant. Il convient tout d'abord de rappeler que, depuis l'adoption de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, celle-ci « a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d'assurer leur prise en charge ». On ne peut dès lors effacer une mesure de protection par une décision de rapatriement sans autre garantie de suivi social et éducatif. Le ministère public ne dispose pas du pouvoir de prendre une décision en matière de protection de l'enfance, hormis quand il s'agit de statuer par une ordonnance provisoire sur une mesure d'assistance éducative « en cas d'urgence » et « à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure » selon l'article 375-5 du code civil. Ce pouvoir du procureur, exceptionnel et donc d'interprétation stricte, ne l'habilite pas à prendre une mesure « provisoire » ayant un effet définitif dès lors qu'elle a pour objet d'éloigner un enfant du territoire ; donc des mesures d'accompagnement et de prévention doivent préparer un retour en famille. En outre, tout enfant faisant déjà l'objet d'une mesure d'assistance éducative ne peut en être distrait que par une décision du juge des enfants, selon l'article 375-6 du code civil.

La faculté accordée au parquet de décider seul de mettre à exécution le rapatriement d'un mineur constitue une atteinte aux droits de la défense et au procès équitable puisqu'il n'y a ni débat judiciaire devant un magistrat indépendant ni même audition. Un tel obstacle me semble insurmontable : les droits fondamentaux des mineurs sont bafoués, notamment avec l'exclusion totale du juge des enfants, pourtant compétent en la matière, au profit du procureur de la République, aux ordres du pouvoir et soumis aux instructions ministérielles pour l'application d'une politique de lutte contre l'immigration. Je rappelle que la question de l'indépendance du parquet fait débat depuis un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme : il ne peut pas être considéré comme une autorité judiciaire au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, le procureur ne peut prendre une mesure aussi grave que l'éloignement d'un mineur.

D'ailleurs, le procureur de la République n'a aucune compétence en matière de protection de l'enfance, sauf en cas d'urgence ; mais même dans cette situation, il doit aviser le juge des enfants sous huit jours. Or, par cet accord, il devient compétent pour décider d'une mesure définitive d'éloignement, en violation de la Convention européenne des droits de l'homme et, surtout, de la Convention internationale des droits de l'enfant.

En outre, cette décision, qui n'est ni contradictoire, ni précédée d'une audition de l'enfant, ni motivée, ni susceptible d'une voie de recours, porte une atteinte irrémédiable au droit de l'enfant à un procès équitable, et plus particulièrement aux droits de la défense.

De plus, en prévoyant un régime spécifique pour les mineurs isolés roumains, il consacre, en matière de protection de l'enfance, une discrimination fondée sur la nationalité. En effet, les uns bénéficient d'un droit commun protecteur, tandis que les autres sont soumis à une procédure sommaire, pour ne pas dire une procédure d'exception, sans protection judiciaire effective.

Enfin, nous dénonçons une atteinte aux droits fondamentaux et au droit de l'enfant à un débat contradictoire, l'absence de motivation, et, selon les interprétations, l'absence de recours. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante : ces garanties constitutionnelles ne peuvent être écartées par un accord bilatéral.

Une telle disposition viole également les garanties accordées par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans son article 6.

Par ailleurs, le rapatriement sur décision des seules autorités françaises et roumaines, prise sans avoir recueilli le consentement du mineur, constitue une atteinte à la vie privée, au sens de l'article 8 de cette même convention.

Enfin, la décision de rapatriement du mineur, prise dans cette circonstance, constitue une mesure d'éloignement du territoire, prohibée par les articles L.511-4 et L.521-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyant qu'il ne peut y avoir de reconduite à la frontière ni d'expulsion d'enfants mineurs.

L'accord crée de la sorte une discrimination entre les enfants selon leur nationalité. Le principe d'égalité affirmé par l'article 1er de notre Constitution n'autorise pas à créer un déséquilibre n'étant pas en rapport direct avec la loi qui l'établit. Dès lors que le parquet est autorisé à se prononcer « dès réception de la demande roumaine », la vérification des garanties n'est pas assurée, alors que les principes qui régissent la protection de l'enfance devraient contraindre les autorités à prendre toutes les précautions.

Cette question touche au coeur de la protection des mineurs isolés : est-il dans l'intérêt supérieur de l'enfant de le renvoyer dans un pays où le contexte politique et social, le système de protection des mineurs, ou les risques d'exploitation sont susceptibles de briser le processus sécurisé mis en place en France ?

C'est dans ces circonstances qu'intervient le juge des enfants. Magistrat indépendant, c'est lui qui apprécie l'intérêt supérieur de l'enfant et qui décide si le retour lui est bénéfique. Ce n'est qu'à l'issue de ce long processus que le juge prononce une mainlevée de placement après s'être assuré de la conformité du retour à l'intérêt supérieur de l'enfant.

Ainsi, la protection du mineur peut cesser en France si et seulement si ces garanties sont respectées. Or l'accord franco-roumain qui nous est présenté aujourd'hui contourne le droit commun de la protection des mineurs isolés pour créer un régime d'exception, qui privilégie la logique migratoire et celle de la lutte contre l'immigration illégale plutôt que la logique de la protection de l'enfance.

L'objectif est avant tout de faciliter l'éloignement, sans considération de la situation personnelle du mineur, ni de son bien-être, ni des risques qu'il encourt dans son pays d'origine. De manière méthodique, cet accord supprime les garde-fous pourtant nécessaires qui permettent d'assurer un retour volontaire du mineur isolé, selon un processus sécurisé prenant en compte, de manière primordiale, l'intérêt supérieur de l'enfant.

Une à une, ces garanties sont supprimées au profit d'une logique de rentabilité, d'éloignement et, finalement, de maîtrise des flux migratoires. Nous ne sommes pas loin de la discussion qui a eu lieu dans cet hémicycle jusque tard dans la nuit sur le projet de loi visant à réformer le statut des migrants.

La dimension humaine cède le pas à la logistique, ce qui va à l'encontre non seulement des engagements internationaux de la France, mais également de la tradition française d'accueil et de protection, notamment de celle des mineurs. S'il vous plaît, ne faites pas d'amalgame : nous parlons d'enfants, pas de délinquants. Ce sont des mineurs fragilisés !

Ces seuls constats suffisent pour considérer que cet accord devait être modifié dans un sens préservant avant tout l'intérêt supérieur des mineurs plutôt que celui des États. Or l'accord qui nous est soumis aujourd'hui aggrave encore un peu plus les choses.

On aurait pu se contenter du droit commun de la protection de l'enfance, accompagné d'un renforcement de l'évaluation des garanties de prise en charge par le pays de retour. Pourtant, la France et la Roumanie se sont accordées sur un système dérogatoire qui porte une atteinte grave aux droits fondamentaux des mineurs isolés.

La première critique majeure que l'on peut adresser à cet accord concerne l'absence de garanties offertes par les autorités roumaines en matière de protection effective des mineurs une fois leur retour décidé.

À la longueur des enquêtes sociales s'ajoute un problème d'application effective des mesures. Nous savons que l'Autorité nationale roumaine pour la protection de l'enfance n'a pas assuré le suivi qui lui incombait en vertu de l'accord de 2002. La France n'a reçu aucune information concernant la situation des jeunes rentrés au pays. Nous ne savons même pas s'ils sont restés dans leur famille. En termes de suivi, vous conviendrez qu'on peut faire beaucoup mieux !

Les autorités roumaines n'ont même pas signé de conventions avec les ONG locales. Elles montrent ainsi une grande faiblesse en matière de réintégration des enfants une fois leur retour assuré, en dépit des engagements qu'elles avaient pris. On comprend donc mieux pourquoi les mineurs reviennent sur le territoire français quelques mois après leur retour dans leur pays d'origine.

Qu'apporte le présent accord de ce point de vue ? Rien. Au contraire, il réduit encore les obligations de la partie roumaine, ne prévoyant pas les garanties minimales relatives au suivi et à la réintégration des mineurs. La réalisation d'une enquête sociale n'y figure pas, de même que la communication aux autorités roumaines des mesures de protection.

Plus grave encore, la partie roumaine n'est plus tenue de recueillir l'accord des parents de l'enfant à son retour, tandis que la France n'a plus à obtenir celui du mineur. Le retour volontaire se transforme donc en une mesure d'éloignement forcé, sans aucune garantie judiciaire ni procédurale.

Mes chers collègues, la question des mineurs isolés ne peut être traitée dans un cadre bilatéral : tous les États européens sont intéressés à son règlement. Oui, c'est un vrai problème, mais la Roumanie, c'est l'Europe. Par conséquent, seul l'échelon européen pourra apporter une réponse harmonisée, qui devra avant tout manifester le souci de la protection effective des mineurs isolés et de leur bien-être.

Enfin, je veux rendre un hommage appuyé à notre collègue Étienne Pinte, même s'il ne siège pas sur les mêmes bancs que nous. Il a fait paraître dans le journal Libération du mardi 5 octobre une tribune qui fait honneur à ce qui reste de droite républicaine dans notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

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