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Intervention de Christian Babusiaux

Réunion du 5 octobre 2010 à 21h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes :

La Cour a effectivement répondu dans un délai très bref, exceptionnel, à une commande du 29 juin de votre commission des Finances. Il est cependant normal que la Cour contribue à éclairer le Parlement avant le débat budgétaire, ce qui explique notre réactivité.

Le champ du rapport est loin d'être indifférent. Alors que dans le secteur privé la masse salariale comprend toutes les cotisations sociales, notre enquête a limité son champ à la masse salariale hors contributions de l'État employeur au compte d'affectation spéciale des pensions (le CAS pensions). En effet, le CAS pensions connaît un rythme de croissance de 4 %, distinct de celui des rémunérations, alors que le reste de la masse salariale, d'un montant de 85 milliards d'euros en 2009, peut être stabilisé en valeur. Le champ du rapport ne comporte pas non plus les dépenses de personnel des opérateurs, ni les subventions pour charges de service public qui leur sont versées par l'État. Cependant, le risque de transfert de charges de l'État vers les opérateurs met en évidence la nécessité de maîtriser également la masse salariale de ces derniers.

La stabilisation en valeur de la masse salariale, qui représente 31 % des dépenses hors pensions et intérêts, contribuerait fortement à atteindre l'objectif d'une stabilisation en valeur de l'ensemble de ces charges. La Cour a souvent attiré l'attention sur la forte croissance des dépenses de personnel des opérateurs et des collectivités territoriales, liée à des transferts de personnel qui ne réduisent en rien le déficit des administrations publiques. De surcroît, ces transferts de personnel compliquent la mesure de l'évolution de la masse salariale à périmètre constant, qui est actuellement imparfaite.

Compte tenu d'une croissance de 1 % par an de la masse salariale au cours des trois dernières années (soit 830 millions d'euros en 2009), et d'une augmentation prévue de 0,6 % en 2010, le projet de budget triennal, présenté en juillet, prévoit sa très légère diminution, de 0,2 %, de 2010 à 2013. Les prévisions les plus récentes du projet de loi de programmation des finances publiques retiennent quasiment le même objectif, celui d'une baisse de 0,4 %. Cependant, la période doit s'ouvrir par une hausse initiale de 0,8 % à 1 % de la masse salariale en 2011.

Pour réaliser les conditions techniques d'une stabilisation en valeur à l'horizon de 2013, le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, avec une rétrocession de la moitié des économies induites pleinement mise en oeuvre depuis 2009, ne suffit pas pour stabiliser la masse salariale en valeur. Le projet de budget triennal est implicitement construit également sur la base du gel du point d'indice (revalorisation inférieure à 0,25 % par an) et de strictes limitations des mesures catégorielles (100 millions d'euros par an).

La difficulté est accrue par le fait que les prévisions de masse salariale présentent une marge d'incertitude non négligeable, compte tenu des risques de dérive des mesures catégorielles, d'erreurs sur les départs en retraite ou de mauvaises estimations du GVT (glissement vieillesse technicité). Les instruments de pilotage en cours d'année permettent difficilement de corriger la trajectoire suivie par la masse salariale, qui était ces dernières années supérieure de 0,4 % par rapport à la prévision. En 2009, les crédits prévus en loi de finances initiale ont été dépassés de 400 millions d'euros, l'enveloppe de crédits du titre 2 n'a pu être respectée que grâce à une diminution des contributions au CAS pensions. Cette dérive est imputable à différentes mesures catégorielles, comme l'augmentation des heures supplémentaires. La rétrocession aux agents des économies induites par le non remplacement d'un départ sur deux a été nettement supérieure au taux de 50 % : estimée à 430 millions d'euros en LFI, elle a plutôt atteint 700 millions d'euros en exécution. Cette dérive a absorbé la marge de sécurité mise en place par la direction du Budget en matière de masse salariale, et on la retrouvera pour une grande part en exécution en 2010. Le rebasage en masse salariale du PLF 2011, qui l'intègre, explique la nécessité de réduire d'autant les dépenses d'intervention.

La stabilisation de la masse salariale en valeur d'ici à 2013 impose techniquement un gel du point d'indice, dont les effets sur les agents pourront être atténués par la garantie individuelle de pouvoir d'achat, la GIPA. Rappelons que chaque hausse de 1 % de la valeur du point coûte 800 millions d'euros à l'État et 1 800 millions d'euros à l'ensemble des administrations publiques.

Un strict plafonnement des mesures catégorielles et diverses, à 400 millions d'euros pour la rétrocession de la moitié des gains de productivité et de 100 millions d'euros pour les autres mesures, est une autre condition technique indispensable à la stabilisation de la masse salariale.

L'objectif est difficile à atteindre car les enveloppes de mesures catégorielles nouvelles ont augmenté rapidement, de 370 millions d'euros par an en 2004-2007 à 650 millions en 2010. Il s'y ajoute le coût des heures supplémentaires qui est passé de 260 millions d'euros en 2007 à 1 430 millions d'euros en 2009, compte non tenu du coût de l'exonération fiscale qui leur est associée.

Au-delà de 2013, il est difficile d'envisager de prolonger le gel du point d'indice, il pourrait même déboucher sur de coûteuses mesures de rattrapage. Il faudra donc remettre en cause le taux de rétrocession de 50 % des économies induites par les gains de productivité, après l'intégration dans cette enveloppe de 50 % de toutes les mesures catégorielles et diverses. La politique de réduction du GVT positif doit être poursuivie, mais avec des effets seulement sur le long terme et d'une prévision incertaine.

En effet, le pilotage de la masse salariale repose sur des instruments de mesure et de prévision qui semblent fragiles, et ce pour toutes ses composantes. Des progrès sont nécessaires notamment pour clarifier les effets du GVT positif, des mesures catégorielles et des mesures diverses, notamment pour faire apparaître le coût réel de la rétrocession partielle des économies induites par le schéma d'emplois.

Le pilotage infra-annuel des dépenses de personnel doit être aussi resserré au moyen d'une augmentation des prérogatives des contrôleurs budgétaires et comptables ministériels, même si cette orientation constitue une forte inflexion au regard de la tendance à l'allègement des contrôles. La dérive des mesures catégorielles et diverses en 2009 invite à renforcer la coordination assurée par le ministère chargé du budget auprès des autres ministères.

En conclusion, la stabilisation de la masse salariale en valeur est un objectif qui participe à la maîtrise des dépenses publiques, mais sa réalisation est difficile. Les conditions de cette stabilisation à l'horizon de 2013 sont techniquement claires mais socialement délicates : gel du point d'indice, stricte limitation des mesures catégorielles, entendues au sens le plus large. Les instruments de mesure, de prévision et de pilotage doivent aussi être renforcés.

Dans cette perspective, la restitution de 50 % des économies induites par le non remplacement d'un départ sur deux à la retraite n'est sans doute pas soutenable.

À plus long terme, pour redresser durablement les finances publiques, l'objectif de stabilisation en valeur de la masse salariale ne pourrait être atteint qu'avec la mise en oeuvre de profondes réformes structurelles des politiques publiques et de la gestion des ressources humaines de l'État.

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