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Intervention de Pascal Lamy

Réunion du 29 septembre 2010 à 10h30
Commission des affaires étrangères

Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, OMC :

En 2025 ou 2030, le poids de l'Europe, comme celui des États-Unis, dans l'économie mondiale, aura manifestement diminué, ce qui ne se traduira pas nécessairement par des pertes d'emplois. Les chiffres montrent d'ailleurs bien que si en Europe, depuis cinq ou dix ans, des emplois disparaissent dans l'industrie, où la productivité augmente, il s'en crée dans les services. Le problème de l'emploi ne relève donc pas de la stratégie générale, mais de la gestion fine.

L'Europe dispose d'avantages comparatifs. Au demeurant, tout ne se résume pas aux importations et exportations : le commerce international avec le reste du monde représente environ 15 % du PNB de l'Europe, alors qu'il constitue 40 % à 50 % de celui de la Chine. L'Europe a une masse suffisante pour que l'essentiel de son développement soit d'origine interne. La France réalise les deux tiers de ses échanges à l'intérieur de l'Union, ce qui signifie que pour elle la compétitivité et l'emploi dépendent avant tout de son positionnement sur le marché européen, y compris en matière agricole. Le fait que l'Allemagne soit devenue en 2009 le premier exportateur agroalimentaire de l'Union devrait faire réfléchir les Français – car ce n'est pas à cause de ses avantages naturels. Notre pays doit revoir l'ensemble de sa chaîne de production et de distribution, tout comme ses standards de qualité, plutôt que de poser les problèmes en termes d'ouverture ou de fermeture.

La division internationale du travail a, je le répète, pour moteur principal la technologie, et non l'ouverture des échanges. Deux chocs technologiques, l'invention du conteneur et celle d'Internet, ont bouleversé la donne. On n'évitera pas que les emplois peu qualifiés, notamment en matière manufacturière, se délocalisent vers les pays en développement. C'est un peu moins vrai dans les services, encore que beaucoup d'entre eux puissent désormais être rendus à distance.

La question de la facture carbone du commerce international est très controversée. 90 % du commerce international s'effectue par mer ; or la facture carbone du transport maritime est négligeable – même si ce mode de transport émet d'autres gaz à effet de serre. Ce n'est donc pas un sujet majeur. Il y a bien des cas, même, où le commerce international diminue l'empreinte carbone, si l'on envisage l'ensemble de la chaîne, depuis le producteur jusqu'au consommateur qui va acheter son produit en 4x4 au supermarché. Il y a quelques années, on a calculé que l'empreinte carbone des fleurs du Kenya qui sont exportées par avion de Nairobi vers Amsterdam est inférieure de 70 % à celle des fleurs cultivées aux Pays-Bas. De même, l'empreinte carbone du mouton néo-zélandais consommé à Londres est inférieure à celle du mouton anglais. L'idée que, du fait de l'importance des transports, le commerce international est nécessairement nuisible à l'environnement, doit donc être relativisée. Dans le cas de l'Arabie saoudite, qui a décidé il y a quelques années qu'elle renoncerait en 2016 à la production de céréales, qui consomme trop d'eau, le commerce international contribue à une meilleure allocation des ressources naturelles. Je reconnais que, aussi longtemps que le prix du carbone n'intègre pas ces externalités, certains mécanismes de marché peuvent être faussés. Mais, dès lors que ce prix se situerait à un juste niveau, le commerce international prendrait davantage en compte la contrainte climatique.

Monsieur Christ, je ne partage pas votre avis sur les crises alimentaires. Manquant de temps pour vous répondre, je vous renvoie à la discussion que j'ai eue dimanche matin, à Lyon, dans le cadre du forum organisé par Libération, avec Luc Lamprière, directeur général d'Oxfam France. Pour beaucoup de pays en développement qui connaissent des besoins en matière alimentaire, l'ouverture de l'échange international constitue une bouée de sauvetage. C'est d'ailleurs pourquoi ils ont demandé, dans le cycle de Doha, que l'agriculture soit au premier rang dans les négociations sur le rééquilibrage des règles du commerce international. On peut protéger de bien des manières l'agriculture vivrière, qui, dans les pays en développement, est loin d'être ouverte à tous les vents de la concurrence. Les plafonds tarifaires des pays africains à l'OMC sont compris entre 70 % à 90 %. S'ils n'y recourent pas, c'est principalement pour des raisons qui tiennent aux relations entre les populations rurales et urbaines. La sécurité alimentaire des uns peut signifier l'insécurité alimentaire des autres, et la souveraineté alimentaire des uns, la dépendance alimentaire des autres. Le sujet est vaste, mais il est possible de concilier l'ouverture des échanges et la prise en compte de spécificités agricoles. Quand le cycle de Doha aura été conclu, les produits agricoles seront, selon les pays, deux, trois, voire quatre fois mieux protégés que les produits industriels. Européens et Américains pourront continuer à verser 50 à 70 milliards de dollars par an à leurs agriculteurs, mais selon des modalités qui seront moins perturbatrices pour les échanges – les subventions à l'exportation disparaîtront.

Si, au niveau européen, les États ont pu entrer dans un processus d'harmonisation, parce que leur intégration économique est profonde, ce ne serait pas possible actuellement au niveau mondial. Comment harmoniser les règles qui s'appliquent au Bengladesh et au Canada ? Ce n'est pas le projet que l'humanité se donne aujourd'hui, d'autant que la différence de salaire minimum entre ces deux États crée pour le premier une opportunité de développement semblable à celle qu'a connue la Chine.

J'ajoute que ces pays sont d'énormes importateurs. Le commerce extérieur allemand hors d'Europe est fortement orienté sur la Chine, le Brésil, l'Inde et l'Indonésie. C'est parce qu'elle a su se positionner par rapport à la Chine, qui absorbe une grande quantité de biens d'équipement et de machines, que l'Allemagne, dont les exportations avaient été durement frappées en 2009, a obtenu d'aussi bons résultats en 2010. Le Brésil, ainsi que d'autres, surfe lui aussi sur la vague des importations chinoises.

En matière sociale, un processus permet d'établir progressivement des normes minimales au sein de l'OIT. Dans le domaine fiscal, en revanche, il y a peu de résultats, en dehors des efforts consentis au G20. Cela tient à l'équation de base : il faut que les molécules souveraines du système westphalien acceptent de délivrer des mandats de négociation. À mon sens, elles devraient le faire en matière de fiscalité, et aussi en matière de migrations, domaine dans lequel la gouvernance internationale fait défaut. Plusieurs fois avant 2008, j'avais signalé qu'il existait un grand vide en matière de régulation financière ; j'espère que les leçons de la crise vont conduire à le combler. Le défaut de régulation ne résultait cependant pas d'un oubli, mais de l'absence d'accord sur la nécessité ou les modalités d'une décision. On en revient toujours là : tout dépend de la volonté de coopération des État nations souverains, qui est au coeur du métier de l'OMC.

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