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Intervention de Pascal Lamy

Réunion du 29 septembre 2010 à 10h30
Commission des affaires étrangères

Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, OMC :

Il faut commencer par ne pas être trop endetté. Pour avoir oublié le sage enseignement de la Bible sur les années de vaches grasses et les années de vaches maigres, nous nous retrouvons avec un endettement considérable en temps de crise.

La prise en compte des critères sociaux et écologiques s'inscrit dans l'architecture du système international. Dans sa mission d'ouverture des échanges, l'OMC reconnaît pleinement les standards internationaux et les disciplines en matière environnementale ou sociale. Ainsi, sur les 250 accords environnementaux existants, certains sont purement commerciaux, comme celui sur le commerce des espèces protégées – ce qui ne nous pose aucun problème. Reste que ces standards internationaux n'existent pas toujours et que les disciplines sont parfois difficiles à construire, comme on l'a vu au sommet de Copenhague, lequel a d'ailleurs permis de faire un pas en avant même s'il a été présenté en Europe comme un échec. Dès qu'il existera une discipline internationale sérieuse en matière d'émissions de gaz carbonique, à laquelle souscriront les États souverains membres de l'OMC, je suis persuadé que l'articulation avec les disciplines du commerce multilatéral s'opérera.

En matière sociale, les pays en développement ont toujours considéré qu'il serait trop dangereux politiquement pour eux d'établir un pont explicite entre les standards de base de l'OIT et les règles de l'OMC. Néanmoins les États qui appartiennent aux deux organisations se sont engagés à respecter les standards de l'OIT. C'est actuellement à cette dernière, et non à l'OMC, qu'il incombe de s'en assurer. Elle possède d'ailleurs ses propres mécanismes de mise en oeuvre ; mais contrairement à l'OMC, elle ne dispose pas d'une structure de règlement des différends, ses membres n'étant jamais parvenus à un accord à ce sujet : il faut croire que, à leurs yeux, le bon fonctionnement du système commercial international est plus essentiel au capitalisme de marché que le contrôle du respect des normes sociales internationales.

Madame Aurillac, la construction européenne est évidemment compatible avec l'OMC, qui en est d'une certaine manière l'enfant : à la différence du GATT, l'OMC constitue une organisation internationale à part entière, avec un mécanisme de règlements des différends ; elle ressemble, de ce point de vue, à l'Union européenne, dont elle se distingue par une ambition beaucoup moins grande en matière d'intégration économique. Ce que les Européens peuvent faire entre eux, ils n'ont aucun mal à le faire à l'OMC. En général, ils mènent à bien leurs propres réformes, qu'ils consolident ensuite à l'OMC. Je ne vois donc pas d'opposition mais, même si elle ne fonctionne pas toujours, une synergie entre les deux organisations.

Monsieur Gaymard, ce sont les élections qui ont changé la donne en Inde. Le Premier ministre indien M. Manmohan Singh ne disposait avant 2008 que d'une marge de manoeuvre limitée. Ce n'est plus le cas, le succès électoral du Parti du Congrès le dispensant de rechercher systématiquement l'appui de son extrême gauche parlementaire.

Autres sujets dits "de Singapour", certains visaient à intégrer dans la négociation du cycle de Doha les règles multilatérales en matière d'investissements, de transparence des achats publics, de facilitation des échanges. Ce dernier bloc demeure dans l'agenda de Doha. La conclusion de cette négociation représenterait un immense progrès. Elle assurerait le « nettoyage à grande eau » de nombreuses procédures douanières, ce qui serait fondamental pour bien des petites et moyennes entreprises – qui ne disposent pas des mêmes moyens que les multinationales pour comprendre les procédures ou payer des intermédiaires. Si les règles multilatérales en matière d'investissement et de transparence des achats publics ne figurent pas dans le paquet final, elles pourront être inscrites à l'ordre du jour après Doha. Pendant ce temps, à l'OMC, un accord plurilatéral concernant les achats publics est en voie de réfection. Tous les membres n'y prendront pas part, mais la Chine négocie pour y accéder. Quand on sait que le volume annuel concerné représenterait le quart des marchés publics chinois, soit 150 milliards de dollars sur un total de 600, on comprend qu'il suscite beaucoup d'intérêt.

Monsieur Luca, la situation de l'Afrique n'a plus rien à voir avec la perception que l'on pouvait en avoir il y a encore dix ans. C'est un continent en pleine expansion démographique, qui a accompli des progrès considérables en matière de gouvernance, notamment économique. L'intégration régionale, condition sine qua non d'un développement équilibré, est en route, un peu plus, il est vrai, à l'est du continent qu'à l'ouest, et plutôt en Afrique australe qu'en Afrique centrale. Dans dix ans, l'Afrique sera un continent démographiquement et économiquement puissant. Le commerce Sud-Sud, entre la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Argentine et l'Afrique, qui a pris son essor depuis cinq ou six ans, va se poursuivre. L'Afrique va ainsi se trouver immergée dans une économie internationale Sud-Sud, après un siècle de rapports économiques exclusivement Nord-Sud issus du modèle colonial. Cette transformation, certes productrice de turbulences, est en marche. Tout n'est pas fait, notamment en matière de formation brute de capital fixe : il faut, à présent, réaliser d'autres infrastructures que celles à rendement rapide comme la téléphonie mobile – qui a révolutionné la vie économique et sociale en Afrique et qui montre que, dès lors qu'une infrastructure est disponible, elle profite immédiatement à la vie économique. En somme, et pour inverser ce que disait jadis René Dumont, désormais l'Afrique est bien partie.

Les principes généraux de l'OMC – non-discrimination, ouverture, traitement national – s'appliquent à l'énergie, mais il est vrai que dans la "législation secondaire", autrement dit dans les règles précises applicables aux différents secteurs, il y a peu de choses sur l'énergie. Cela tient tout d'abord au fait que les politiques énergétiques sont plus "souverains" que d'autres. D'autre part, certains producteurs importants d'énergie, comme l'Arabie saoudite, n'ont intégré que récemment l'OMC, et d'autres, comme la Russie, l'Algérie et la Libye, n'en font toujours pas partie. Je pense néanmoins que l'OMC pourrait préciser ses disciplines en matière d'énergie, mais il n'y a pas pour l'instant de mandat de négociation sur le sujet. J'ai présenté à Shanghai en juillet dernier le volumineux document de recherche annuel de l'OMC, qui fait le point sur le commerce des matières premières. J'ai abordé ce sujet très actuel il y a quinze jours dans le cadre de la conférence mondiale des énergéticiens, qui s'est tenue à Montréal et qui a abouti à un certain nombre de propositions.

Monsieur Myard, voilà vingt-cinq ans que vous me reprochez un prurit d'ouverture, mais à mon sens il produit de meilleurs effets qu'un prurit de fermeture. Quand on doit s'engager dans une direction stratégique, il importe de choisir la bonne, quitte à opérer ensuite des aménagements tactiques.

Libre à vous de considérer la croissance chinoise comme une fuite en avant, mais il me semble qu'une croissance annuelle de 10 % depuis trente ans est une assez belle performance. Si l'effet était si déstabilisant, la Chine ne persévérerait sans doute pas dans cette voie... Je ne nie pas l'existence de tensions régionales, ethniques, environnementales ou sociales, mais M. Deng Xiaoping, que j'avais rencontré longuement en 1986, lors du premier voyage du Président de la Commission dans l'Empire du milieu, avait fort bien identifié les facteurs de développement – parmi lesquels l'ouverture. C'est la raison pour laquelle, après quinze ans de négociation, la Chine a fini par rentrer à l'OMC. Pour se développer, elle avait besoin de nos disciplines et d'une assurance contre le protectionnisme. L'exemple chinois ne me semble donc pas aller à l'encontre du lien dont je parlais entre l'ouverture des échanges et la croissance.

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