Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Michel Voisin

Réunion du 28 septembre 2010 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Voisin, rapporteur :

Je me félicite que ce texte vienne enfin en discussion, même si son examen en séance publique, initialement prévu le 7 octobre, est reporté.

Ce projet de loi, de nature technique, ne modifie pas fondamentalement notre dispositif de défense ; il vise simplement à renforcer les peines applicables aux personnes se livrant à des activités favorisant la prolifération. Sous son apparente complexité – ses 20 articles créent ou modifient une cinquantaine d'articles du code de la défense, des codes pénal et de procédure pénale ainsi que des codes des douanes en métropole et outre-mer – il obéit à trois lignes directrices.

D'abord, il répond à l'obligation de mettre en oeuvre la résolution n° 1540 du Conseil de sécurité de l'ONU, adoptée en 2004.

Ensuite, il harmonise la définition des infractions et des peines applicables aux activités de prolifération dans les domaines nucléaire, biologique et chimique. Notre arsenal législatif réprimant les actes et comportements proliférants nécessite d'être révisé car il comporte des lacunes sur de nombreux points : absence de toute incrimination s'agissant des vecteurs et des financements, disparité des peines dans les domaines biologique et chimique. L'objectif du texte n'est pas de bouleverser un dispositif qui a fait ses preuves, mais de le compléter en définissant l'ensemble des incriminations et en harmonisant les sanctions pénales.

Enfin, le projet de loi étend aux activités proliférantes les règles de procédure applicables à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Les enquêtes sur ces activités seront centralisées au tribunal de grande instance de Paris et les infractions seront celles qui sont définies en matière de terrorisme.

Il n'est nul besoin de rappeler combien la prolifération des armes de destruction massive constitue une menace pour la paix et la sécurité internationale. L'étude d'impact transmise par le Gouvernement relève à juste titre l'aspect multiforme de cette menace, laquelle peut émaner du comportement de certains États, comme la Corée du Nord, mais aussi de réseaux clandestins privés – voire de particuliers – s'approvisionnant auprès de vendeurs de matières et de technologies nucléaires.

Le projet de loi a donc pour origine une obligation et un constat. L'obligation résulte de la résolution n° 1540 précitée, qui enjoint aux États d'améliorer leurs outils juridiques pour prendre en compte les formes multiples des modes de prolifération. Le constat a été opéré en 2008 par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Face aux évolutions des méthodes des États ou des trafiquants, qui, par exemple, abusent les petites et moyennes entreprises, rarement vigilantes sur l'usage militaire pouvant être fait de leurs technologies, il convenait de renforcer et d'adapter notre législation.

Mon rapport, classiquement, présente les formes prises par différentes proliférations, avant de livrer une analyse des articles du projet de loi.

S'agissant des modes de prolifération, l'inquiétude majeure porte sur les matières nucléaires plutôt que sur les substances biologiques ou chimiques, d'un usage plus difficile. L'Agence internationale de l'énergie atomique fait état d'un peu plus de 1 500 incidents entre 1993 et 2008, dont 336 correspondent à des possessions non autorisées de matières. Sur ce total, on relève 18 cas de trafic d'uranium hautement enrichi et de plutonium, le plus souvent en Europe centrale. Un cas, en juillet 2001, concernait la France.

Il convient de garder à l'esprit que si des individus peuvent être tentés de se livrer à des trafics de matières nucléaires, le phénomène de prolifération est essentiellement dû à des États souhaitant se doter d'armes de destruction massive. Le phénomène a été parfaitement analysé par nos collègues Jacques Myard et Jean-Michel Boucheron dans un rapport publié l'an dernier, ainsi que par le sénateur Jean-Pierre Chevènement.

La méthode est désormais bien connue. Les États recourent à des intermédiaires, qui profitent de la libéralisation du commerce international pour acheter de petites quantités de matériels ou de substances dans plusieurs pays sans éveiller les soupçons. Le financement des acquisitions se fait en recourant au système bancaire. Le rapport décrit ainsi la typologie d'un réseau, détaille la façon dont l'Irak a mis au point sa stratégie d'acquisition d'armes de destruction massive dans les années 1990, puis montre comment la Libye, l'Iran et la Corée du Nord ont utilisé les services du réseau Khan, basé au Pakistan, pour accélérer leurs différents programmes.

De nombreux textes et mécanismes internationaux permettent de combattre ce phénomène. La France est signataire de la totalité des textes, qu'il s'agisse du Traité de non-prolifération (TNP), du protocole additionnel au TNP, des conventions sur l'interdiction des armes biologiques comme chimiques ou encore du code de conduite de La Haye sur les missiles balistiques ; elle fait également partie du comité Zangger et du groupe des fournisseurs nucléaires, Notre législation nationale, reflet de nos engagements internationaux, est complétée par plusieurs règlements européens, notamment le règlement (CE) n° 428 2009 sur les biens à double usage.

Comme je l'ai indiqué, le texte harmonise les infractions et les peines applicables et adapte notre dispositif à la totalité des pratiques en usage au sein des réseaux de prolifération. Il aligne les procédures d'enquête portant sur les activités proliférantes sur celles applicables au terrorisme et à la criminalité organisée, leur conférant ainsi un degré de gravité équivalent.

Certains champs ne sont toutefois pas couverts par le projet de loi. Il s'agit notamment des engins radiologiques, appelés parfois « bombes sales ». Les matières radioactives telles que le cobalt, le césium 137 ou le strontium, largement utilisées par la médecine et l'industrie, se trouvent en abondance sur notre planète, entreposées dans des endroits plus ou moins surveillés. En les combinant à des charges explosives, des terroristes pourraient créer une radioactivité sur un rayon de plusieurs centaines de mètres, ce qui occasionnerait des pertes humaines et rendrait l'infrastructure visée – gare, aéroport – inutilisable pendant la durée de sa décontamination, environ six mois. On mesure sans peine le traumatisme de la population et les effets économiques et sociaux qui en résulteraient.

Le Gouvernement, que j'ai interrogé sur ce point, m'a indiqué que le décret n° 2009-1120 du 17 septembre 2009, relatif à la protection et au contrôle des matières nucléaires, de leurs installations et de leur transport, énumère les matières sous surveillance particulière : plutonium, uranium, thorium, deutérium, tritium et lithium 6. Le cobalt et les autres matières radioactives non citées devraient faire l'objet d'un prochain projet de loi sur la protection des sources radioactives. Il convient que sa rédaction soit rapidement finalisée : autant l'explosion d'une bombe nucléaire par des terroristes relève de la propagande en raison de la complexité de la détonique, autant le recours à des bombes au cobalt est une hypothèse réaliste.

Les attaques cybernétiques, qui ne sont pas des armes de destruction massive au sens classique du terme, ne sont pas davantage visées par le texte. Pourtant, leur potentiel de désorganisation d'une société est important. Compte tenu de la difficulté d'identifier les auteurs de telles attaques, il existe un vide juridique important. Si la France a commencé à se doter d'instruments de défense, la réflexion et la mise au point d'instruments juridiques à l'échelle internationale n'en sont encore qu'à leurs prémices.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion