Une analyse plus fine, appuyée notamment sur le rapport récent de M. Jean-Michel Charpin, révèle cependant que le coeur du problème se situe dans ce qu'il faut bien appeler la « bulle » du photovoltaïque. L'électricité d'origine photovoltaïque bénéficie en effet de prix de rachat extraordinairement avantageux puisqu'ils sont, selon le type d'installation, entre six et dix fois supérieures au prix de marché, et garantis par contrat sur une période de vingt ans.
À cet avantage s'ajoute toute une kyrielle d'avantages fiscaux qui peuvent se cumuler avec l'obligation d'achat. On peut en citer trois.
Les panneaux solaires bénéficient du crédit d'impôt en faveur du développement durable (article 200 quater du code général des impôts) qui figurent parmi les dépenses fiscales les plus coûteuses et, surtout, les plus dynamiques. Si les taux applicables aux pompes à chaleur et autres équipements de production d'énergie renouvelable ont été réduits l'année dernière à 40 % en 2010 puis 25 % en 2011, le taux applicable aux panneaux solaires a, lui, été maintenu à 50 %. Le coût du crédit d'impôt pourrait atteindre 2,6 milliards d'euros en 2010, et jusqu'à 800 millions pour les seuls panneaux solaires et photovoltaïques.
De plus, les contribuables investissant dans la production d'électricité photovoltaïque outre-mer bénéficient d'une réduction d'impôt sur le revenu égal à 50 % de leur investissement. Même si cette réduction d'impôt est, comme les autres, désormais plafonnée, les contribuables bénéficient encore d'une confortable réduction d'impôt sur un investissement par ailleurs hautement rentable du fait de l'obligation d'achat.
Pour limiter l'effet d'aubaine, la LODEOM avait modifié ce dispositif afin que les projets dans le domaine du photovoltaïque ne soient pris en compte que dans la limite d'un montant par watt installé fixé par arrêté. Cette disposition est restée lettre morte puisque l'arrêté n'a jamais été publié.
Enfin, la production d'électricité photovoltaïque bénéficie, comme tous les autres secteurs d'activité, de la réduction d'ISF en cas d'investissement en capital dans une PME et de la réduction d'impôt dite « Madelin ».
Il n'est donc pas étonnant, dans ces conditions, que les installations photovoltaïques fleurissent désormais sur les murs, les toits et les sols de notre pays, floraison accentuée par la maladresse de l'État qui avait annoncé, plusieurs mois à l'avance, la réduction des tarifs d'achat intervenue début 2010.
Alors que le nombre de demandes atteignait 1 600 en 2006, 7 000 en 2007 et 25 000 en 2008, ce qui représente déjà une belle progression, il s'est élevé à 26 000 demandes pour le seul mois de décembre 2009 ! Alors que la programmation pluriannuelle des investissements (PPI) définissant les orientations énergétiques de notre pays avait fixé un objectif de 5 400 MW d'électricité photovoltaïque en 2020, cet objectif sera probablement atteint dès 2011.
On pourrait se réjouir de ce développement rapide de la production d'électricité photovoltaïque si celui-ci n'avait pas des conséquences très négatives :
– le coût fiscal de l'électricité photovoltaïque est considérable. Pour le seul crédit d'impôt en faveur du développement durable, il atteint 800 millions d'euros cette année ;
– les panneaux solaires contribuent au déficit de notre commerce extérieur à hauteur de 800 millions d'euros en 2009. 90 % des panneaux installés dans notre pays sont des panneaux d'entrée de gamme fabriqués en Chine ;
– la charge de service public liée à l'obligation d'achat de l'électricité photovoltaïque s'est envolée et pèse lourdement sur les comptes d'EDF et, in fine, sur le consommateur d'électricité.
Aux termes de la loi du 10 février 2000, les charges de service public doivent être « intégralement » – le terme figure dans la loi – compensées aux opérateurs. Or, l'arrêté fixant le tarif de la CSPE n'a pas été modifié depuis 2004 – à 4,5 €MW, comme l'a indiqué M. Launay– alors même que les charges se sont envolées à compter de 2007, poussant la CRE à recommander un tarif de 6,50 €MW en 2010.
La conséquence du « gel » du tarif de la CSPE, c'est que les charges de service public ne sont plus intégralement compensées et pèsent d'un poids de plus en plus lourd dans les comptes du groupe EDF qui en supportent l'essentiel, avec un effet d'accumulation lié à des régularisations de charges des années passées qui ne sont pas intervenues. Le déficit pour EDF fin 2009 s'établit ainsi à 1,6 milliard d'euros et ne peut que s'accroître en 2010.
Or ce déficit ne peut que s'accroître considérablement, puisque les charges de service public sont vouées à augmenter, non seulement parce que le prix des énergies fossiles ne peut guère baisser (ce qui renchérit la péréquation tarifaire avec les zones non interconnectées, ou ZNI) mais surtout parce que les coûts liés à l'obligation d'achat de l'électricité d'origine renouvelable vont continuer à s'envoler.
Certes, les évaluations en matières d'évolution des charges de service public sont difficiles. En 2007, l'écart avec les prévisions de la CRE s'est élevé à 30 %. Cependant, l'ensemble des scénarios convergent pour annoncer une explosion des charges de service public, notamment celles liées à la production d'électricité d'origine renouvelable.
Selon les informations recueillies par la mission d'information, les charges de service public atteindront 7 milliards d'euros en 2020, dont 2,3 milliards d'euros pour le seul rachat de l'électricité photovoltaïque, dans l'hypothèse où la PPI sera respectée. Plus pessimiste encore, M. Jean-Michel Charpin a calculé qu'au rythme actuel, la puissance photovoltaïque installée atteindrait 17 000 MW en 2020, soit plus de trois fois les objectifs de la PPI, pour une charge annuelle s'élevant à 4,5 milliards d'euros.
Le système apparaît donc totalement hors de contrôle et la mission d'information estime urgent de prendre le problème à bras-le-corps afin d'éviter la sortie de route. Ses propositions s'articulent autour de deux axes : réguler l'obligation d'achat de l'électricité d'origine renouvelable, d'une part, et régler le problème du tarif de la CSPE, d'autre part.
Réguler l'obligation d'achat de l'électricité d'origine renouvelable, c'est d'abord modifier le champ et le fonctionnement de l'obligation d'achat elle-même afin de sortir de la logique de « guichet ouvert ».
Le champ d'application de l'obligation d'achat inclut la cogénération. On peut s'interroger sur le maintien d'un avantage dont le coût est estimé à 670 millions d'euros en 2010 pour produire de l'électricité à partir d'une énergie fossile – le gaz – qui plus est importée en totalité. Les contrats d'achat de l'électricité produite par les installations de cogénération viendront tous à expiration d'ici à 2014. Il serait souhaitable de ne pas les renouveler, sauf pour les installations fonctionnant à partir de la biomasse, éventuellement en ménageant une période transitoire afin d'éviter un retour brutal aux conditions de marché qui remettrait en cause le développement des réseaux de chaleur.
S'agissant du fonctionnement de l'obligation d'achat, la mission d'information propose deux modifications :
– la première est une baisse des tarifs d'achat allant au-delà de ce qu'a mis en oeuvre l'arrêté du 31 août dernier, qui les a baissés de 12 %. En effet, selon le rapport de l'Inspection général des Finances, même réduits, les tarifs d'achat restent largement supérieurs aux coûts de production de l'électricité photovoltaïque. Pour les installations au sol, par exemple, le coût est de 200 €MW pour un prix d'achat de 300 €MW ;
–la deuxième est de sortir de la logique du « guichet ouvert ». Actuellement, toute personne, particulier ou entreprise, se lançant dans la production d'électricité photovoltaïque a le droit d'obtenir un contrat d'EDF garantissant le rachat de son électricité à un prix fixé pour vingt ans. Les conséquences ont déjà été évoquées : explosion des charges de service public, dérive du coût fiscal et déficit de la balance commerciale.
C'est pourquoi la mission d'information propose un double plafonnement au rachat de l'électricité d'origine photovoltaïque : un plafonnement global et, surtout, un rythme d'évolution annuel pour la puissance installée, par exemple, 500 MW supplémentaires par an d'ici à 2020. Une fois cet objectif annuel atteint, EDF n'accepterait plus de demandes jusqu'à l'année suivante. La nature même de l'obligation d'achat serait donc radicalement transformée : les producteurs n'auraient plus un droit absolu à obtenir un contrat d'achat au « guichet » de l'obligation d'achat. De fait, l'État pourrait désormais réserver l'obligation d'achat, selon des critères précis, aux projets les plus innovants, efficaces ou respectueux de l'environnement.
Enfin, le prochain projet de loi de finances devrait être l'occasion de régler la question du cumul entre l'obligation d'achat et les dispositifs fiscaux évoqué auparavant. En effet, la « bulle » photovoltaïque n'aurait probablement pas atteint une telle ampleur si elle n'avait été soutenue par ces dispositifs fiscaux particulièrement puissants dont, en retour, elle a considérablement aggravé le coût.
Ce cumul de l'obligation d'achat avec des avantages fiscaux apparaît non seulement inutile mais également choquant en ce qu'il garantit une rentabilité exceptionnelle à des investissements qu'un seul avantage suffit à rentabiliser. En outre, en transformant des particuliers – attirés par le prix de rachat – en producteurs d'électricité, l'obligation d'achat les incite à investir dans une installation photovoltaïque dont la capacité de production excède leur consommation personnelle, alimentant ainsi la croissance et de la dépense fiscale et des charges de service public…
C'est pourquoi, à la fois pour assainir le marché et limiter le coût de l'obligation d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque et celui des avantages fiscaux susmentionnés, la mission estime nécessaire d'interdire le cumul entre l'obligation d'achat et ces avantages fiscaux et d'abaisser de 50 à 25 % le taux du crédit d'impôt sur les panneaux photovoltaïques.
L'autre axe des propositions de la mission d'information concerne la CSPE proprement dite. L'article 5 de la loi du 10 février 2000 est parfaitement clair : « les charges imputables aux missions de service public assignées aux opérateurs électriques sont intégralement compensées ». Mais si le principe est clairement affirmé, la procédure présente un défaut fondamental à l'origine du déséquilibre du mécanisme de compensation des charges de service public. En effet, la CRE – qui évalue les charges de service public – « propose » un tarif pour la CSPE mais c'est au ministre chargé de l'énergie qu'il revient de le fixer par un arrêté.
Or, on observe depuis 2009 un décalage croissant entre la proposition de la CRE et le tarif de CSPE effectivement arrêté, qui est resté inchangé à 4,50 €MW. Pour 2010, au vu de l'emballement des charges de service public, la CRE a proposé une augmentation de 40 % du tarif, à 6,50 €MW. La décision n'a cependant jamais été prise et les charges ne sont plus compensées intégralement depuis deux ans en violation de la lettre même de la loi ! Pourtant, la hausse de la facture d'électricité qui en résulterait est relativement limitée, de l'ordre de 3 %.
Or, ce refus de déplafonner et de revaloriser la CSPE au niveau exigé par l'évolution des charges a pour conséquence que les déficits s'accumulent chaque année dans les comptes d'EDF pour atteindre déjà 1,6 milliard d'euros en 2009. Plus le temps passe, plus les déficits s'accroissent et plus la revalorisation du montant de la CSPE, inévitable sauf à trouver un autre mécanisme de compensation, sera massive et la décision, par conséquent, difficile à prendre. La mission estime donc nécessaire de déplafonner le tarif de la CSPE et de fixer celui-ci au niveau recommandé par la CRE, ce qui relève de la responsabilité du seul Gouvernement, lequel refuse de le faire.
C'est pourquoi la mission d'information a réfléchi à un moyen de parer à la carence persistante du Gouvernement, qui pourrait s'inspirer des dispositions du décret n° 2009-1603 du 18 décembre 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel. Son article 6 dispose que « le fournisseur est autorisé à modifier, à titre conservatoire et jusqu'à l'intervention d'un nouvel arrêté tarifaire, les barèmes de ses tarifs réglementés en y répercutant les variations des coûts d'approvisionnement en gaz naturel, telles qu'elles résultent de l'application de sa formule tarifaire ». En d'autres termes, confronté à une augmentation de ses charges, un fournisseur de gaz naturel peut saisir la CRE et celle-ci l'autorise à augmenter ses tarifs sans qu'un nouvel arrêté soit nécessaire, le ministre étant alors simplement « informé sans délai ».
Si les dispositions de ce décret étaient transposées en matière de compensation des charges du service public de l'électricité, il ne fait pas de doute qu'EDF demanderait immédiatement à la CRE une hausse du tarif de la CSPE que cette dernière lui accorderait très probablement, par cohérence avec le montant des charges qu'elle détermine par ailleurs.