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Intervention de Yves Bur

Réunion du 28 septembre 2010 à 18h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Bur, rapporteur pour avis :

Nous n'aurions jamais dû avoir à examiner le texte inscrit aujourd'hui à notre ordre du jour.

En 1996, lorsque la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) a été instituée, il était prévu qu'elle ait achevé en treize ans l'amortissement de la dette qui lui était alors confiée. Autrement dit, la dette sociale aurait dû s'éteindre en 2009.

Depuis 1996, deux réformes des retraites et une profonde réorganisation de l'administration de la santé ont certes courageusement été mises en oeuvre. Mais, nous devons quand même désormais payer collectivement notre inconséquence et notre incapacité à nous attaquer à temps aux causes structurelles des déficits sociaux, dans la branche maladie comme dans la branche vieillesse, tant il est difficile dans ce pays d'engager des réformes dont tout le monde sait pourtant qu'elles sont incontournables.

Cet état de fait est d'autant plus incompréhensible que la quasi-totalité des pays de l'Union européenne a décidé ces réformes depuis fort longtemps, bien avant nous, sans donner pour cela le sentiment de vivre un drame social qui suscite autant de réticences que dans notre pays. Qui peut ainsi sérieusement nier aujourd'hui la nécessité d'adapter notre système de retraite solidaire aux évolutions démographiques et sociales qu'induit l'allongement de l'espérance de vie ? Ne serait-ce pas là plutôt l'un de ces handicaps que la société française s'impose à elle-même et qui fait que notre pays souffre d'une incapacité presque pathologique à installer durablement son économie dans une croissance soutenue ?

Que constatons-nous en effet aujourd'hui dans la sortie de crise ? Les pays qui, tels l'Allemagne et la Suède, ont accepté de moderniser leur État social, sont également ceux qui tirent le plus grand profit de la reprise économique, après la crise la plus grave que nous ayons eu à affronter depuis quatre-vingts ans. Dans ces pays, des gouvernements sociaux-démocrates ont su s'engager et porter ou soutenir des réformes courageuses au nom de l'intérêt supérieur de leurs concitoyens et de leur pays. C'est pourquoi M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, nous exhortait, en juin dernier, à moderniser notre État-providence afin de renouer enfin avec un cycle de croissance durable, au lieu d'être condamnés à une croissance « molle » et de risquer le déclassement économique.

Après le choc financier de la crise, qui pourrait nier en effet que les déficits publics et la dette qu'ils alimentent ont atteint aujourd'hui des niveaux qui pourraient plomber durablement la croissance en France ? À cet égard, ce ne sont pas les marchés qui nous imposent l'assainissement de nos finances publiques, mais c'est d'abord le bon sens qui nous dicte le chemin à suivre : celui des réformes nécessaires qui permettront à notre pays de s'aligner sur ses voisins européens, afin de mieux profiter des opportunités de la croissance mondiale et de la mondialisation.

En outre, l'ampleur prise par la dette sociale augmente l'exposition de notre pays à la volatilité des taux d'intérêt. Il importe, en effet, de ne pas perdre de vue que la situation actuelle est à cet égard tout à fait atypique : le niveau des taux est exceptionnellement bas et ne peut donc que remonter dans les mois ou les années à venir. Il faut se souvenir qu'avant la crise financière, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) supportait des frais financiers de près d'un milliard d'euros par an et que ce coût aurait évolué parallèlement à l'explosion des déficits si, au même moment, les taux d'intérêt n'avaient pas connu une diminution spectaculaire.

Cette situation n'est toutefois que provisoire, même si la faiblesse des taux d'intérêt présente déjà le risque de devenir une véritable drogue pour les États, comme elle le fut pour les ménages américains. Elle fait, en outre, peser une double épée de Damoclès sur notre pays : il s'agit, d'une part, du renchérissement du coût de la dette, tant pour l'ACOSS que pour la CADES et, d'autre part – élément plus pernicieux –, du décrochage des taux par rapport à ceux de nos principaux partenaires. Car, le risque est que nos créanciers estiment que l'ampleur de notre dette ne finisse par justifier un écart de taux par rapport à des pays revenus à meilleure fortune, déclenchant ainsi une spirale dangereuse à la fois en termes de coût et de crédibilité.

C'est pourquoi, il importe de trouver une solution à la fois claire et solide pour le traitement de la dette sociale. Au demeurant, la prolongation de la durée d'amortissement de la dette, difficilement justifiable aux yeux de nos créanciers, soulève également la question du report sur les générations futures, si limité puisse-t-il paraître. Le dispositif proposé n'est donc acceptable que s'il s'accompagne d'une modernisation soutenue de notre État-providence.

De ce point de vue, le signal positif que constitue une réforme sérieuse des retraites déterminera le coût de notre dette au cours des mois et des années à venir. Aujourd'hui, parce que nos créanciers nous font confiance, parce qu'ils misent sur la capacité de la France à se réformer, nous avons la chance de bénéficier de taux historiquement bas. Nous devons conserver cette confiance, faute de quoi une envolée des taux d'intérêt amputera la richesse de la France, richesse que notre pays ne pourra plus consacrer aux efforts de solidarité ni aux investissements d'avenir. Ainsi, un point de taux d'intérêt supplémentaire accroîtrait de quelque 2 milliards d'euros la charge de la dette et amputerait d'autant les frais de fonctionnement de l'État, nos investissements et nos actions de solidarité.

Aujourd'hui, force est de constater que la gravité de la crise économique dans laquelle l'économie mondiale est plongée depuis la faillite de Lehman Brothers a lourdement pesé sur nos finances sociales, conduisant l'ACOSS à porter des montants de découverts de trésorerie inconnus et, pour tout dire, inenvisageables jusqu'alors.

Dans ce contexte, le principal objet du texte que nous examinons ce soir consiste à revenir sur l'un des apports essentiels de la loi organique de 2005 sur les lois de financement de la sécurité sociale, résultant d'une initiative de Jean-Luc Warsmann, président de la Commission des lois. Après les reports successifs de la durée de vie de la CADES, de 2009 à 2014, puis de 2014 à 2021, l'objectif était de mettre un terme à la facilité consistant à lui transférer une dette supplémentaire sans augmenter les ressources destinées à l'amortir.

Cette disposition, qui était pertinente en 2005 et que j'avais alors activement soutenue en tant que rapporteur pour avis de la Commission des finances, me paraît encore plus pertinente aujourd'hui. C'est en effet notre petite « règle d'or ». Alors que le Président de la République souhaite précisément inscrire dans la Constitution une règle d'or des finances publiques, suivant les propositions du rapport de M. Michel Camdessus, est-ce le moment de renoncer au seul dispositif réellement contraignant en matière de finances sociales ?

Ce serait, en outre, faire passer un bien mauvais message à l'opinion et à nos créanciers. Cinq ans seulement après son adoption, au premier coup de tempête – même s'il s'agit d'une crise profonde –, l'application de la règle est déjà écartée. Ce n'est pas sérieux vis-à-vis de ceux qui font confiance à notre pays en finançant nos dettes.

Le report n'est certes « que » de quatre ans. Cette durée est effectivement dérisoire si on la rapporte à l'ensemble de la période considérée, de 1996 à 2025, c'est-à-dire trente ans ! Mais, c'est une question de principe qui est ici posée : il s'agit non seulement d'interrogations sur la moralité d'un système qui conduit à finir de payer en 2025 les dépenses de soins et les pensions de 2009 et sur notre capacité à respecter nos engagements, mais aussi du danger évident qu'il y a à faire sauter ce verrou. Bien entendu, on nous promet que ce sera la « der des ders ». Mais, nous savons bien que, dans trois ou quatre ans, on trouvera d'autres raisons, tout aussi légitimes, pour repousser encore l'échéance. Il n'est d'ailleurs pas bien difficile de les trouver, puisque le schéma de reprise de dette, s'il est complet pour les exercices 2009 à 2011 inclus, laisse subsister des interrogations pour les exercices suivants.

L'inquiétude ne vient pas de la branche vieillesse. Avec l'apport du stock d'actifs du Fonds de réserve pour les retraites (FRR), évalué aujourd'hui à 32 milliards d'euros, à raison de 2,1 milliards d'euros par an, et du flux de ses recettes, soit 1,5 milliard d'euros par an, qui seront désormais affectés à la CADES, nous disposons d'une garantie solide pour la reprise des déficits, qui se maintiendront jusqu'à ce que la montée en charge de la réforme des retraites soit achevée. Il y a même une certaine marge de sécurité, puisque le FRR devrait disposer en fin de période – en 2024 – d'un montant résiduel d'environ 10 milliards d'euros d'actifs. Il reste simplement à régler le sort des 3 milliards d'euros de soulte du régime des industries électriques et gazières, dont la gestion est confiée au FRR jusqu'en 2020.

En revanche, des déficits ne manqueront pas de survenir après 2011 dans les autres branches, principalement celle de la maladie et celle de la famille – laquelle pourrait, selon certaines analyses, présenter à l'horizon 2017 un déficit cumulé de l'ordre de 20 milliards d'euros –, compte tenu de la gravité de la crise économique, qui exercera durablement un effet négatif sur la situation des finances sociales. Voici quelques instants encore, M. François Monnier, secrétaire général de la Commission des comptes de la sécurité sociale, déclarait que, dans l'état où se trouvent les finances sociales, on ne peut plus parler, pour la branche maladie, de « déficit de crise » : il s'agit plutôt d'un « déficit structurel ». Le moment venu, la tentation de rouvrir la CADES en prolongeant sa durée de vie sera d'autant plus grande qu'on pourra dire qu'on l'a déjà fait.

Le souci de ne pas augmenter le taux de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), afin de ne pas handicaper la reprise économique, est tout à fait justifié et je le partage pleinement. Il n'est pas question de majorer ce taux en période de sortie de crise, alors que notre économie est encore très fragile. Il est cependant possible, en 2011 et 2012, d'éviter un allongement de la durée d'amortissement de la dette sans majorer la CRDS, compte tenu notamment des recettes nouvelles sur les assurances que le Gouvernement va inscrire dans le projet de loi de finances.

Mais, ces trois mesures ne présentent pas un caractère pérenne : l'une est « one shot » et le produit de l'autre diminuera au fil des années. Seul l'assujettissement des contrats dits « responsables » peut être considéré comme pérenne. La reprise de la dette « structurelle » pour 2010, qui s'élève à 20 milliards d'euros, et du déficit maladie pour 2011, qui est de 13 milliards d'euros, est donc soumise à des incertitudes à partir de 2013.

Le problème posé par la pérennité des recettes est celui d'une double menace : que le Conseil constitutionnel, lorsqu'il statuera sur la prochaine loi de financement, estime que la sincérité du schéma de reprise de dette n'est pas établie, et que les créanciers de la CADES considèrent que toutes les ressources qui lui sont affectées ne possèdent pas la même solidité que la CRDS ou la CSG.

À cet égard, l'idée de substituer aux recettes prévues par le Gouvernement avec la suppression de certaines niches fiscales une CSG prélevée sur les différentes branches de la sécurité sociale auxquelles seraient affectées des mesures non pérennes me semble un non-sens, car cela reviendrait à doter la CADES de bonne monnaie et les branches de la sécurité sociale d'une monnaie incertaine. Nous serions ainsi conduits, dans l'avenir, à recycler des déficits nouveaux dans la CADES. Cela a déjà été le cas pour le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), pour lequel le transfert de la dette contre 0,2 point de CSG qui lui était précédemment affecté s'est traduit pour ce fonds, lors de la crise, par un creusement du déficit qui sera recyclé dans la dette dont il est aujourd'hui question.

Pour le reste, le projet de loi comporte des dispositions utiles, introduites pour partie par le Sénat : « toilettage » de la loi organique de 2005, amélioration de l'information du Parlement, notamment sur les opérations du FRR et de la CADES, mais aussi sur la construction de l'Objectif national des dépenses de l'assurance maladie (ONDAM), dispositions inspirées par le rapport de M. Raoul Briet, et modification de la composition du conseil d'administration de la CADES.

Je vous proposerai donc d'adopter un amendement supprimant la faculté d'allonger la durée d'amortissement de la dette sociale. La petite « règle d'or », dont nous nous sommes dotés en 2005 pour servir de garde-fou à nos finances sociales, doit être absolument maintenue. Il s'agit d'une obligation morale envers les jeunes et, vis-à-vis des marchés, un signal simple que les engagements du pays seront tenus. Au-delà des dispositions que nous prendrons à l'issue d'un débat très technique – et peut-être assez loin des préoccupations des Français –, c'est pour nous l'occasion d'affirmer que notre pays doit s'engager dans une démarche d'apurement de ses finances sociales. Si nous supprimons cette petite « règle d'or », celles que nous pourrons fixer ultérieurement à la suite des propositions du rapport Camdessus ne seront guère plus crédibles ni mieux respectées.

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