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Intervention de Guy Lefrand

Réunion du 29 septembre 2010 à 11h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Lefrand, rapporteur :

C'est en effet avec grand plaisir que je dois vous présenter ce matin le bilan de la mise en oeuvre des recommandations de la mission d'information sur la prise en charge des victimes de l'amiante. Cette mission, dont M. Patrick Roy était le président et dont j'étais le rapporteur, avait conclu ses travaux en novembre 2009, avec la publication d'un rapport formulant vingt et une préconisations.

J'insiste moi aussi sur le fait qu'il s'agit de la première application de l'article 145-8 du Règlement de l'Assemblée nationale.

Lors de l'examen en commission du rapport de la mission, le président Pierre Méhaignerie avait proposé la mise en place d'un comité de suivi des recommandations, composé d'un membre de chaque groupe politique, à savoir : MM. Patrick Roy, Maxime Gremetz, Claude Leteurtre et moi-même. Ce comité s'est réuni en juin dernier et hier, pour faire le point sur la mise en oeuvre des recommandations de la mission.

Suite à la réunion de juin, nous avions décidé, avec M. Patrick Roy, d'adresser plusieurs courriers aux ministres compétents sur le dossier de l'amiante, pour connaître les suites qu'ils avaient données au rapport de la mission. Trois d'entre eux nous ont répondu de manière très détaillée.

Il nous semblait urgent que l'ensemble des préconisations formulées par la mission soient appliquées au plus tôt : nous avons tous déposé des rapports avec la crainte de ne pas voir leurs recommandations suivies d'effets. Et l'amiante demeure un problème majeur de santé et de finances publiques. En 2009, elle a été à l'origine de 66 % des décès liés à une maladie professionnelle en France et de 80,7 % des cancers professionnels en Europe. Depuis la création du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) en décembre 2000, les dépenses d'indemnisation ont atteint 2,4 milliards d'euros. Il s'agit d'un effort sans précédent de notre pays en faveur de ces victimes, mais il reste encore des marges de progrès dans leur prise en charge.

Avant même de présenter les suites données à chacune des propositions de la mission, je tiens à évoquer trois décisions d'importance des plus hautes juridictions françaises intervenues en 2010.

Tout d'abord, dans une décision de juin 2010, le Conseil constitutionnel a ouvert la voie à une réparation intégrale des préjudices des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Le conseil a en effet jugé que la limitation des postes de préjudices pouvant être indemnisés était inconstitutionnelle en cas de faute inexcusable de l'employeur.

Ensuite, dans un arrêt de mai 2010, la Cour de cassation a accordé la réparation d'un nouveau chef de préjudice aux bénéficiaires de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA). Il s'agit du préjudice moral d'anxiété, caractérisé par la crainte permanente de voir se révéler une maladie liée à l'exposition à l'amiante.

Enfin, dans un arrêt de juin 2010, la Cour de cassation a précisé le point de départ et la durée du délai de prescription des demandes d'indemnisation adressées au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) : le délai de prescription est de quatre ans et il court, en principe, à compter de la consolidation du dommage.

D'après les informations dont nous disposons aujourd'hui, il semblerait que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 revienne sur cette dernière décision en créant un délai de prescription de dix ans propre aux demandes d'indemnisation présentées devant le FIVA. Le point de départ de ce délai serait identique pour toutes les victimes : il se situerait à la date du certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante. De plus, un délai supplémentaire de deux ans serait accordé aux personnes dont les dossiers ont été rejetés en 2009 et 2010 pour prescription.

J'en viens maintenant au bilan de la mise en oeuvre des recommandations formulées par la mission. Sur les vingt et une propositions, l'immense majorité a connu un début d'application ou se trouve à l'étude – je présenterai le suivi donné aux plus importantes – et seules deux propositions n'ont reçu aucune suite.

La proposition n° 1 préconisait de poursuivre les mesures de dépollution en Corse et en Nouvelle-Calédonie et de mettre en place un suivi épidémiologique des populations de ces territoires, notamment suite aux travaux de nos collègues, MM. Sauveur Gandolfi-Scheit et Gaël Yanno.

Pour la Haute-Corse, un projet de plan d'action a été élaboré en 2009, dans le cadre du deuxième plan national Santé-environnement (PNSE 2). Sa publication est cependant suspendue à la parution de l'avis sur la gestion de l'amiante environnemental de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), laquelle pourrait intervenir avant la fin de l'année.

En Nouvelle-Calédonie, la poursuite des mesures de lutte contre l'amiante environnemental dépend du gouvernement calédonien, qui considère ce problème comme prioritaire. Plusieurs actions sont en cours, telles que la cartographie des affleurements naturels d'amiante ou la réglementation du travail en terrain amiantifère.

En ce qui concerne le suivi de la proposition n° 2, qui recommandait de procéder à des études complémentaires sur les fibres courtes et fines présentes dans les bâtiments publics, deux mesures sont envisagées :

– le Gouvernement prépare actuellement un décret d'application précisant les modalités de réalisation des constats d'amiante, obligatoires depuis la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires ;

– une étude sur les fibres courtes d'amiante doit être menée à partir de la fin de l'année 2010.

Les propositions n°s 5 à 7 traitaient du suivi médical des victimes d'expositions professionnelles : elles ont toutes reçu au moins un début d'application.

Ainsi, la proposition n° 5 préconisait de mettre en place un suivi médical postexposition pour l'ensemble des salariés exposés à des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). Il s'agissait d'une demande spécifique de M. Maxime Gremetz. Nous avons le plaisir de constater que deux démarches sont aujourd'hui engagées :

– un dispositif expérimental de traçabilité des expositions professionnelles doit être mis en oeuvre dans le cadre du Grenelle de l'environnement ;

– l'article 25 du projet de loi portant réforme des retraites, tel qu'adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, consacre au plan législatif le carnet de santé au travail et prévoit la création d'une fiche individuelle d'exposition aux risques professionnels.

Les propositions n°s 6 et 7 portaient sur le suivi médical propre aux personnes ayant été exposées à l'amiante. La Haute Autorité de santé (HAS) a publié en avril 2010 un rapport sur le suivi postprofessionnel après exposition à l'amiante. Elle y recommande la mise en place d'un dispositif de suivi spécifique pour les victimes, avec comme examen de référence le scanner thoracique. Il s'agissait d'une demande ancienne des associations que la Haute Autorité de santé a finalement choisi de retenir.

La ministre de la santé et des sports s'est montrée réservée sur ce rapport. Elle nous a indiqué qu'une saisine complémentaire de la Haute Autorité de santé lui semblait nécessaire avant d'envisager la mise en place effective d'un tel suivi postprofessionnel car la Haute Autorité elle-même ne démontre pas clairement son bénéfice médical.

Quant aux programmes expérimentaux actuels de suivi, j'ai posé une question écrite, en juillet dernier, à Mme Roselyne Bachelot-Narquin pour savoir quand et comment pourrait intervenir la généralisation du programme Spirale à l'ensemble de la population. Je n'ai pas encore reçu de réponse.

Les propositions n°s 8 à 12 préconisaient plusieurs améliorations de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) et du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (FCAATA).

J'avais, à ce sujet, déposé plusieurs amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, en particulier un amendement pour modifier les conditions d'accès au fonds remplaçant le système de liste d'établissements par un système combinant une liste de secteurs d'activité et une liste de métiers à risques. Mais cet amendement, qui avait été adopté par la Commission des affaires sociales le 20 octobre 2009, a été retiré en séance par le rapporteur.

Cela étant, deux mesures importantes ont été prises depuis l'an dernier :

– tout d'abord, en réponse à la proposition n° 9, le montant minimum de l'ACAATA a été revalorisé de 20 % par un décret de décembre 2009 ;

– ensuite, conformément à la proposition n° 11, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a débuté une étude sur la possibilité de créer une voie d'accès individuel au FCAATA et sur son impact. J'espère que nous disposerons rapidement de ses résultats, car la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 prévoit que l'étude doit aboutir à un rapport avant le 30 septembre 2010, soit demain. M. Patrick Roy et moi-même suivrons avec attention la publication de ce rapport.

Les propositions n°s 13 à 16 recommandaient la poursuite de la réforme du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA), engagée à la suite du rapport critique de la mission commune menée par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l'Inspection générale des finances (IGF) en juillet 2008. Comme il l'indique dans son rapport d'activité de juin dernier, et comme en témoigne le contrat de performance 2010-2012 qu'il a signé avec l'État, le FIVA a accompli de grands efforts cette année dans cette direction :

– la cellule d'urgence, chargée d'apurer le stock des demandes d'indemnisation, a été mise en place en octobre 2009 ;

– et différentes mesures ont été prises pour réorganiser le fonctionnement du FIVA : recrutement temporaire de personnels, mise en place d'une permanence téléphonique pour les victimes, simplification des procédures, réorganisation du service chargé du contentieux subrogatoire.

Au-delà, dans le cadre de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, le Gouvernement a annoncé qu'une réforme du fonds interviendrait l'année prochaine pour en renforcer le caractère paritaire.

Les cinq dernières propositions préconisaient de réviser les règles de la responsabilité civile et pénale en matière de risques professionnels.

Deux d'entre elles sont à l'étude dans le cadre de la réforme de la procédure pénale. Il s'agit en particulier de la proposition n° 18 qui recommandait de permettre aux associations de se pourvoir en cassation contre les arrêts de la chambre de l'instruction. Cette proposition a été suivie d'effet compte tenu de la décision du 23 juillet 2010 du Conseil constitutionnel.

Quant à la proposition n° 17, elle faisait suite à deux arrêts des cours d'appel de Paris et de Bordeaux qui avaient condamné des employeurs fautifs à indemniser leurs anciens salariés ayant bénéficié d'une retraite anticipée pour la perte de revenus correspondant à la différence entre l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) et le salaire moyen en vigueur dans l'entreprise.

En mai 2010, la Cour de cassation a cassé ces deux arrêts en expliquant que les salariés, en choisissant de bénéficier de la préretraite, avaient accepté la baisse de revenus qui en découlait. Ils ne pouvaient donc pas, selon la cour, se prévaloir d'un préjudice économique en la matière par le biais de la responsabilité civile.

Enfin, conformément à la proposition n° 19, les moyens pour instruire les affaires pénales liées à l'amiante ont été renforcés. J'avais écrit une lettre à cet égard à la ministre de la justice dès février 2010 et une augmentation notable des effectifs de la cellule amiante de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique, passant de onze à quatorze enquêteurs, devait avoir lieu cette année. Le recrutement d'assistants de justice supplémentaires pour le pôle de santé publique de Paris est, de surcroît, en cours.

Au terme de ce bilan contrasté, je tiens à remercier mon collègue M. Patrick Roy, qui a cosigné de nombreux courriers et accompli plusieurs déplacements avec moi ainsi que Mme Nicole Ameline, M. Jean-Yves Cousin et M. Jean-Pierre Decool qui nous ont accompagnés toute cette année dans la défense des victimes de l'amiante.

De nombreux chantiers ont été ouverts depuis l'an dernier. Il faudra aussi en suivre avec attention la mise en oeuvre. Je compte donc sur le président de la Commission des affaires sociales, M. Pierre Méhaignerie, pour nous soutenir dans cette voie. Je vous remercie.

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