Si, mais uniquement sur ce qui est organisé.
Quels sont les remèdes possibles ?
Tout d'abord, il faut organiser très rapidement le reporting systématique aux régulateurs des transactions sur les CDS, afin de faciliter l'analyse des données et de rendre le contrôle plus efficace. Dans le courant de l'année prochaine, devrait être instauré au niveau européen, sur une base volontaire, un système de reporting standardisé des dérivés échangés de gré à gré ; mais à vingt-sept, et compte tenu de la complexité technique des travaux, cela prend du temps…
Ensuite, il faudrait, suivant l'exemple des États-Unis, créer des bases de données centralisées d'enregistrement des transactions – « trade repositories » – sur l'ensemble des dérivés de gré à gré en Europe. Nous passerions ainsi d'un mécanisme de surveillance artisanal et fonctionnant sur une base volontaire à un système automatisé, obligatoire et efficace.
En troisième lieu, nous militons pour la création d'un identifiant client. Aujourd'hui, on doit passer par les intermédiaires financiers ; si l'on connaissait le nom du client final, les services de l'AMF n'auraient pas à interroger individuellement chaque prestataire. Cela ferait gagner beaucoup de temps.
S'agissant enfin de l'encadrement des ventes à découvert, l'AMF propose plusieurs mesures.
Premièrement, il conviendrait de faire respecter les règles existantes en matière de règlement livraison des titres. Trop de pays européens tolèrent les défauts de livraison, ce qui fait le jeu des spéculateurs.
Deuxièmement, il faudrait doter les régulateurs de pouvoirs d'urgence leur permettant de restreindre les conditions de négociation des instruments financiers en cas de circonstances exceptionnelles ; c'est ce que prévoit le projet de loi de régulation bancaire et financière.
Troisièmement, il serait souhaitable d'établir des règles permettant de s'assurer que celui qui procède à une vente à découvert dispose bien du titre qu'il devra livrer – ce que les marchés anglo-saxons appellent une « locate rule ». Ce système, qui revient de fait à interdire les ventes à découvert à nu, semble préférable à une interdiction permanente des ventes à découvert. En effet, d'une part, les ventes à découvert peuvent dans certains cas contribuer à la liquidité du marché, d'autre part, des titres peuvent être en apparence vendus à découvert alors que l'opération vise à se protéger contre un risque à court terme – par exemple, contre un risque de défaillance d'une banque grecque non cotée. La Commission européenne réfléchit à une mesure en ce sens.
Enfin, on pourrait envisager au niveau européen, en s'inspirant de l'exemple américain, une interdiction des ventes à découvert au-dessous d'un certain plancher – par exemple, lorsque la valeur d'un titre a diminué de plus de 10 % depuis le début de la journée –, afin d'éviter que les vendeurs à découvert ne dictent la tendance du marché et n'amplifient la baisse.
De telles mesures n'ont de sens que si elles sont prises au niveau européen : on ne gagnera pas grand-chose à prendre des dispositions en France si rien ne change à Londres.
J'en viens – deuxième sujet – aux agences de notation.
De fait, la dégradation brutale des notes de certains pays a pu susciter des mouvements de panique sur les marchés.
Il ne fait pas de doute que les agences de notation doivent être mieux encadrées et leurs modèles d'évaluation revus. Certaines pratiques, comme la dégradation de la note de l'Espagne quinze minutes avant la clôture des bourses, sont inacceptables. Les agences doivent faire preuve d'à-propos. Cela pourrait faire l'objet d'une règle qui compléterait utilement le dispositif européen.
Par ailleurs, le processus de formation de la note doit être cohérent, transparent et stable. À titre personnel, j'estime que, lorsqu'il s'agit de la dette souveraine, il faut s'en tenir aux « fondamentaux » de l'économie. Si la notation prend en considération les hoquets du marché, elle risque d'entretenir un cercle vicieux : les dégradations de la note d'un État vont entraîner mécaniquement l'augmentation de son coût de financement, ce qui va amener l'agence de notation à dégrader de nouveau la note. C'est un peu ce qui s'est produit dans le cas de la Grèce ; de même, regardez aujourd'hui ce qui se passe sur les titres irlandais !
Il reste que les notations des agences sont des thermomètres utiles. Elles ont le mérite de dire tout haut ce que le marché pense tout bas et de mettre chacun devant ses responsabilités. Ainsi, les deux tiers de la dette française étant détenus par des investisseurs étrangers, il paraît légitime que ceux-ci veuillent recueillir un avis sur l'évolution de nos finances publiques.
Il convient néanmoins de se « désintoxiquer » collectivement des agences de notations. Nombreux sont ceux qui les utilisent, y compris parmi les plus hautes autorités publiques. On peut difficilement reprocher au marché d'y recourir alors que la Banque centrale européenne l'a fait pendant très longtemps, ou que d'autres banquiers centraux leur délèguent l'appréciation des risques pour les actifs qu'ils acceptent en refinancement.
J'en arrive – troisième sujet – à la transformation du marché des actions.
Elle est trop souvent passée sous silence lorsqu'on cherche à identifier les facteurs aggravant la spéculation excessive ou frauduleuse. Elle résulte de la modification de l'environnement réglementaire, en particulier de l'entrée en vigueur en 2007 de la directive européenne sur les marchés d'instruments financiers (MIF), qui a fait voler en éclats le monopole des bourses traditionnelles.
Désormais, les titres sont échangés simultanément sur des plateformes multiples. De ce fait, le régulateur ne dispose plus d'informations aussi précises sur les ordres. Cette fragmentation des marchés s'est accompagnée de la création de plateformes de négociation alternatives dites « noires », les « dark pools », qui ne dévoilent pas leur carnet d'ordres au public. Une poignée de grandes institutions financières tirent profit de cette opacité et de la fragmentation croissante des marchés. À mon avis, elles ne devraient pas pouvoir faire en Europe ce qu'elles ne pourraient plus faire aux Etats-Unis, où mon homologue, Mme Shapiro, présidente de la Securities and Exchange Commission (SEC), que je dois rencontrer demain, s'inquiète d'une dérive comparable.