Cette notion souple a encore été élargie par M. Sarkozy en 2003 puisque le texte prévoyait déjà la possibilité de créer une zone d'attente à proximité du lieu de débarquement et non plus seulement dans une gare, un port ou un aéroport.
La nouvelle disposition introduite par l'article 7 permet de placer les étrangers sous le régime de la zone d'attente lorsqu'ils arrivent par groupes. En précisant que la zone d'attente s'étend du « lieu de découverte au point de passage frontalier le plus proche », vous en faites un espace illimité. Par ce montage juridique, l'administration pourra à l'avenir créer à sa convenance des espaces d'extraterritorialité sur le territoire national. Nous verrons apparaître des zones d'attente éphémères et itinérantes : celles-ci pourront émerger n'importe où et à tout moment ; elles seront, en quelque sorte, des zones d'attente « sac-à-dos ».
Le texte de 2003 avait assoupli et élargi la notion de zone d'attente en anticipant la censure annoncée par le tribunal administratif de Nice d'une décision préfectorale permettant la création d'une zone ad hoc dans un camp militaire désaffecté, destinée à maintenir en détention les réfugiés kurdes arrivés par bateau sur les côtes de Fréjus. Prenant prétexte aujourd'hui de l'annulation par les juges de toutes les décisions d'éloignement et de placement en rétention de 123 Kurdes de Syrie arrivés en barque sur les côtes corses en janvier 2010, vous voulez, par ce texte, permettre à l'administration d'expulser tout groupe d'étrangers – niant au passage leur éventuelle condition de réfugiés –, en instaurant un tour de passe-passe, une fiction juridique de zone d'attente virtuelle, qui va coller à la peau de tout groupe d'étrangers, supposé composé de primo-arrivants, découvert à l'intérieur du territoire, en dehors d'un poste frontalier.
Comme on le voit, lorsque la justice déplaît, lorsqu'elle condamne des abus de pouvoir, le Gouvernement préfère changer la loi, la modeler à sa guise, introduire des dispositifs d'exception par le biais de textes de circonstances. On se demande, dès lors, pourquoi le Gouvernement n'a pas tenté de modifier la loi de 1972 après la condamnation de Brice Hortefeux pour injure raciale ?
Tout le texte est empreint d'une hostilité et d'une méfiance à l'égard de la justice, en l'occurrence, du juge des libertés et de la détention – JLD –, considéré comme un empêcheur d'expulser efficacement. Faire passer de quarante-huit heures à cinq jours le délai de comparution de l'étranger devant ce juge – qui pourra lui rendre sa liberté ou prolonger sa détention – a un objectif précis : permettre au juge administratif de statuer sur la légalité de la mesure d'expulsion avant que le JLD ne se prononce sur le maintien en rétention. L'étranger pourra donc désormais être expulsé – immédiatement ou dans le délai de cinq jours – sans qu'aucun contrôle des conditions d'interpellation n'ait eu lieu. Pourtant, ce n'est pas l'administration mais le magistrat qui est le garant de nos droits et de nos libertés.
Cette mesure est autonome : elle n'est dictée par aucune directive européenne. Or elle organise une sorte de déni de justice, puisqu'aucun juge, ni pénal, ni civil – faute d'être saisi avant la mise à exécution de la mesure –, ni administratif – faute d'être compétent – n'aura jamais à connaître des atteintes aux droits fondamentaux des personnes concernées.
En affaiblissant le pouvoir du JLD, votre texte restreint considérablement les droits des étrangers.
Vous nous proposez, à l'article 7, d'adopter une règle dérogatoire en matière de notification des droits en zone d'attente, qui assouplit les obligations auxquelles l'administration ne pourra se soustraire si elle se trouve en présence d'un « nombre important d'étrangers ». La notification des droits des personnes privées de liberté est pourtant une garantie essentielle. Elle est au coeur du contrôle exercé par le juge, gardien de la liberté individuelle. En prévoyant que cette notification se ferait « dans les meilleurs délais » possibles, l'article 7 vise à rendre régulières des privations de liberté de plusieurs heures hors de tout cadre juridique. Je me demande, pour ma part, combien de temps il va falloir au Gouvernement pour passer de la notion de « notification dans les meilleurs délais » à celle de « notification si c'est possible » ?
Dans ce texte, qui représente un net recul pour les droits des migrants et qui est présenté par le Gouvernement comme la transposition nécessaire de trois directives dont il ne respecte ni la lettre ni l'esprit, plusieurs dispositions heurtent plus que les autres notre tradition républicaine de terre d'accueil.
Je pense en particulier à l'amendement introduit en commission par le rapporteur sur les étrangers malades, qui revient à supprimer le dispositif législatif de 1998.