Même lorsqu'en 1996, le Conseil constitutionnel a admis l'introduction du terrorisme dans les motifs de déchéance, il a rappelé dans un même mouvement : « qu'au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ».
Depuis le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, nombreuses sont les voix au Gouvernement ou dans la majorité à en atténuer la portée. De fait, la disposition prévue à l'article 3 bis ne s'appliquerait qu'à un très faible nombre de cas, et nous le souhaitons, s'agissant de la mort de représentants de l'ordre, et son caractère dissuasif à l'égard des criminels qu'elle est censée impressionner est probablement nul.
Mais la portée symbolique du discours du Président de la République est déflagratoire pour la société. Elle ébranle les fondements mêmes de notre pacte républicain, elle heurte une certaine idée de la France et de la conception de la nationalité française, qui s'exprime continûment depuis la Révolution française à tous les moments clés de notre histoire. Depuis la Révolution, la nation se confond avec la république. C'est ce discours distinguant les Français d'origine étrangère des autres Français, prononcé par celui qui est pourtant constitutionnellement le garant de nos institutions, qui trouve dans ce funeste article sa concrétisation.
Ce texte est manifestement anticonstitutionnel au regard de l'article 66 de notre Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »
Les articles 6 à 12 créent des zones d'attente que vous qualifiez de temporaires mais dont rien dans le texte ne précise le caractère éphémère. La zone d'attente est un régime de privation de liberté, comme l'a précisé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 février 1992, considérant à propos du maintien en zone de transit que conférer à l'autorité administrative « le pouvoir de maintenir durablement un étranger en zone de transit, sans réserver la possibilité pour l'autorité judiciaire d'intervenir dans les meilleurs délais » était contraire à la Constitution.
Si le projet de loi est adopté en l'état, nombre des personnes dont la seule constatation de la présence est constitutive de ces zones d'attente risquent d'être éloignées sans que le juge des libertés et de la détention ait pu exercer son contrôle en tant que gardien de la liberté individuelle.
L'article 37 du projet de loi prévoit l'allongement du délai de saisine du juge des libertés et de la détention en le portant de quarante-huit heures à cinq jours. Or le juge constitutionnel est très clair, il avait considéré inconstitutionnel le maintien en détention pendant sept jours sans que le juge judiciaire n'intervienne. Le Conseil constitutionnel rappelait alors que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».
Le plus court délai possible, c'est celui qui est aujourd'hui pratiqué : quarante-huit heures. Rien ne justifie que vous l'allongiez, sauf à considérer que la sauvegarde de la liberté individuelle est un principe anecdotique.
Vous contrevenez non seulement à la Constitution, mais aussi à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui dans son article 5 est également très claire en précisant que : « Toute personne arrêtée ou détenue (…) doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. »
Vous tentez par ailleurs par tous les moyens de réduire les droits de la défense et le pouvoir d'appréciation du juge, ce qui rend les procédures déséquilibrées et inéquitables par avance. Les articles 8, 12, 42 et 43 du projet de loi instaurent un système inacceptable de purge des nullités, spécifique au contentieux des étrangers, faisant d'un étranger un justiciable de seconde zone.
Et comme si cela ne suffisait pas, l'article 39 du projet de loi instaure la notion de « grief substantiel ». Mais toute atteinte au droit est substantielle, a fortiori quand la vie d'un individu ou la sauvegarde de son intégrité et de sa dignité sont en jeu, comme c'est le cas de nombreux demandeurs d'asile que vous souhaitez refouler. Il s'agit là encore d'éloigner le juge en limitant les cas dans lesquels le juge pourrait sanctionner les irrégularités qu'il constate. L'interprétation du caractère substantiel d'une « atteinte aux droits », notion éminemment subjective, générera à n'en pas douter un contentieux infini.
L'article 38 du projet de loi retarde la notification des droits. Les droits des étrangers interpellés seront mis entre parenthèses, au gré de l'administration, et pendant une durée indéterminée, jusqu'à à l'arrivée dans un lieu de rétention, en dehors de tout cadre juridique, de tout contrôle et de toute forme de sécurité.
Quand à la brièveté des délais de recours, tels qu'ils sont prévus par la procédure d'urgence, elle ne rend pas ces derniers effectifs.
Vous banalisez l'enfermement à l'article 23, et l'article 41 du projet de loi allonge la durée de rétention administrative.
Par ailleurs, le Président de la République avait annoncé que, à partir de l'automne, on allait « délégiférer ». Nous y sommes. Certains articles de ce projet défont des lois dont Thierry Mariani était, il n'y a pas si longtemps, le rapporteur. Ainsi, vous délégiférez en supprimant la commission nationale d'admission exceptionnelle au séjour. Sans doute le contrôle qu'exerçaient les membres de cette commission sur les critères de régularisation était – il encore trop lourd et insupportable à vos yeux.
Pour nous, il est temps de rompre avec cette spirale dans laquelle la France se perd elle-même et se perd aux yeux du monde. Notre particularisme à nous, c'est l'universalisme, c'est l'invention, la proclamation et la défense de principes essentiels qui valent pour l'humanité tout entière. Vous leur tournez le dos. Car enfin, il y a pire encore que la douleur d'être seuls et isolés en Europe, posture que certains semblent rechercher, il y a la honte d'être applaudis par Berlusconi et la Ligue du Nord, et d'inspirer à l'extrême droite suédoise ses thèmes de campagne.
Vous proposez de cultiver la fierté d'être Français. Mais monsieur Besson, malgré vous, et tant qu'il y aura des républicains sincères dans ce pays, la France est et sera grande, la France est et sera belle et désirable quand elle tutoiera l'universel, dans la voie singulière qui est la sienne. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.) Nous refusons de singer le pire et d'ânonner des slogans xénophobes.
Nous en appelons à des choix radicalement différents. D'abord, l'asile ne saurait être une variable d'ajustement de la politique migratoire.