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Intervention de Arnaud Robinet

Réunion du 14 septembre 2010 à 14h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Robinet, rapporteur pour avis :

Le présent projet de loi participe de la recherche, toujours difficile, d'une politique d'immigration qui concilie efficacité et justice. Il renforce la politique d'intégration et d'ouverture à l'immigration de travail, mais aussi les outils de lutte contre l'immigration irrégulière et contre l'emploi d'étrangers dans des conditions irrégulières.

On ne sait pas exactement, par définition, combien d'étrangers sans-papiers vivent dans notre pays. On dit souvent qu'ils seraient de 200 000 à 400 000 ; ce qui est certain, c'est que plus de 200 000 sont inscrits à l'aide médicale d'État, qui leur est destinée. D'autre part, 70 000 à 80 000 étrangers en situation irrégulière sont interpellés chaque année.

Certains seulement de ces étrangers travaillent. Les seules sources objectives disponibles sur le sujet sont celles qui rendent compte de l'activité de contrôle et de répression des services compétents. Les infractions constatées en matière d'emploi d'étrangers sans titre de travail apparaissent de plus en plus nombreuses. En 2009, leur nombre dépassait 3 500 et celui des personnes mises en cause pour cette raison – c'est-à-dire d'employeurs – a quasiment triplé de 2006 à 2009, passant de 1 200 à 3 200.

Le mouvement social conduit depuis plus d'un an par des travailleurs sans-papiers exigeant leur régularisation a, par ailleurs, porté le sujet en pleine lumière. Il aurait concerné plus de 6 000 personnes, employées notamment dans le bâtiment et les travaux publics, la restauration et le gardiennage. Plus de 1 600 demandes de régularisation ont été déposées dans le cadre des circulaires prises par le Gouvernement.

Le dispositif légal et réglementaire qui réprime l'emploi irrégulier d'étrangers est déjà substantiel : amendes administratives, exclusion des aides publiques… Par ailleurs, le code du travail reconnaît déjà des droits importants à l'étranger employé irrégulièrement : il est assimilé, à compter de la date de son embauche, à un salarié régulièrement engagé pour ce qui concerne les obligations de l'employeur relatives à la réglementation du travail. En cas de rupture de la relation de travail, il a droit à une indemnité forfaitaire d'un mois de salaire, sauf application de règles légales et conventionnelles plus favorables.

Il faut, quand on parle de cette réglementation, avoir en tête quelques distinctions qui en définissent le champ.

Premièrement, le code du travail place sous le vocable général de « travail illégal » plusieurs infractions. Il y a notamment le travail dit « dissimulé », c'est-à-dire non déclaré ; il y a aussi l'emploi d'étrangers qui n'ont pas le droit de travailler en France. Souvent ceux-ci ne sont pas déclarés à la sécurité sociale, mais parfois ils le sont, avec de faux papiers. L'emploi d'étrangers sans titre est donc souvent, mais pas toujours, cumulé avec le travail dissimulé et, si les sanctions se recoupent, elles sont différentes dans les deux cas.

Deuxièmement, pour être légalement salarié en France, un étranger extracommunautaire n'a pas seulement besoin d'un titre de séjour : il lui faut aussi un titre de travail ou autorisant à travailler.

Troisièmement, une dernière distinction devrait légitimement être faite dans le cas d'étrangers employés et déclarés sur la base de faux documents : l'employeur peut soit être à l'initiative ou complice de la falsification, soit être trompé par le salarié. La législation actuelle ne prend pas clairement en compte cette différence de situation entre employeurs de bonne foi ou non. Il faudrait avancer sur ce point, mais l'équilibre à trouver est délicat.

Le sujet, d'autre part, a une dimension européenne. La question de l'immigration est maintenant au coeur des préoccupations de nombreux membres de l'Union et est devenue ces dernières années – il faut s'en féliciter – un objet de l'action communautaire. Le présent projet de loi transpose dans notre droit national trois directives européennes : la directive « retour » du 16 décembre 2008, qui traite des normes applicables au renvoi des étrangers extracommunautaires en séjour irrégulier ; la directive « carte bleue européenne » du 25 mai 2009, qui crée le premier titre de séjour européen, pour les travailleurs hautement qualifiés ; enfin, la directive dite « sanctions » du 18 juin 2009, qui vise les employeurs d'étrangers en séjour irrégulier.

Cette dernière est transposée par le titre IV du projet de loi, dont notre commission s'est saisie. Il comprend quatre séries de mesures.

En premier lieu, il étend la co-responsabilité des « donneurs d'ordre », solidairement tenus avec leurs cocontractants à certains paiements. En effet, la directive distingue, pour les premiers, deux niveaux de responsabilité : vis-à-vis des salariés étrangers en situation irrégulière de leurs sous-traitants directs, et vis-à-vis des salariés de leurs sous-traitants indirects seulement si ces donneurs d'ordre étaient au fait de la situation d'emploi illégal. Le code du travail visant déjà le premier niveau de co-responsabilité, les articles 57 et 60 à 62 du projet instituent aussi une responsabilité des donneurs d'ordre vis-à-vis de l'ensemble de leur chaîne de sous-traitance, dès lors que c'est « sciemment » qu'ils recourent à des sous-traitants indirects employant des étrangers sans titre de travail. Par ailleurs, le projet élargit la portée de cette co-responsabilité : actuellement limitée à des amendes administratives, elle sera étendue aux salaires et arriérés de salaire, aux frais d'envoi de ceux-ci et aux indemnités de rupture de la relation de travail.

Deuxième axe du titre IV : l'accroissement et la sécurisation des droits financiers des étrangers employés sans titre. L'article 58 institue une présomption, sauf preuve contraire, que la relation de travail a duré trois mois, donc doit donner lieu au versement d'arriérés de salaire équivalents, et porte de un à trois mois de salaire l'indemnité forfaitaire en cas de rupture de la relation de travail. Ces deux fois trois mois de salaire permettront aux étrangers employés sans titre de bénéficier de droits voisins de ceux des salariés dont l'emploi n'a pas été déclaré. Par ailleurs, l'article 59 vise à garantir l'effectivité des droits financiers des travailleurs étrangers sans titre. Il institue, d'une part, une obligation de versement pesant sur l'employeur, sous un délai fixé par décret en Conseil d'État, des sommes dues à ces travailleurs ; d'autre part, un dispositif permettant, sous le même délai, la consignation et le reversement des sommes dues aux intéressés, lorsqu'ils sont placés en rétention ou renvoyés dans leur pays.

Le renforcement des sanctions contre les employeurs constitue le troisième axe du titre IV, avec les articles 65 à 67, qui instaurent notamment des mesures administratives de fermeture d'établissement et d'exclusion des marchés publics. Ces articles suscitent des réactions mitigées, non seulement de la part des organisations patronales, ce qui se comprend, mais même chez les syndicats de salariés comme la CGT ou la CFDT, qui s'inquiètent d'une éventuelle contradiction entre l'annonce d'un renforcement des sanctions et la démarche de régularisation engagée suite au récent conflit. Sans doute faudra-t-il veiller à ce que ces nouvelles prérogatives, sans doute nécessaires face à des situations particulièrement abusives, soient utilisées avec mesure par l'administration.

Quatrièmement, enfin, l'article 64 porte sur les pouvoirs des agents chargés de contrôler le travail dissimulé : inspecteurs et contrôleurs du travail, mais aussi officiers et agents de police judiciaire, agents des impôts et des douanes, agents des URSSAF, etc. Ces agents disposent déjà du pouvoir d'entendre des personnes, avec leur consentement, dans le cadre de leur mission de lutte contre le travail dissimulé ; il s'agit d'étendre ce pouvoir à la lutte contre toutes les formes de travail illégal, ce qui aura pour effet de couvrir l'emploi d'étrangers sans titre, mais aussi, notamment, le marchandage et le prêt illicite de main-d'oeuvre.

Sous réserve de quelques amendements qui complètent le dispositif, je recommanderai à la commission de donner un avis favorable aux dispositions du titre IV.

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