Le dialogue de sourds, entamé il y a plusieurs années, se poursuit péniblement, tout au moins tranquillement, d'autant que le vrai travail, vous l'avez bien fait : vous abordez les véritables questions, mais vous vous bornez simplement à nous faire avaler, comme à tous les Français, le principe du report de deux ans de l'âge légal du départ à la retraite, qui reste l'alpha et l'oméga de votre réforme. La démocratie, disait Gandhi, devrait assurer au plus faible les mêmes opportunités qu'au plus fort. Peut-être pourrons-nous mieux nous entendre dans le silence. Mais je sais que, lorsqu'on est ORL, un des risques est de devenir sourd, et c'est alors une grande souffrance, plus grande encore que la cécité.
Le problème essentiel aujourd'hui, c'est le flou qui entoure la notion de pénibilité dans votre texte. Vous la réduisez à un handicap, c'est-à-dire à une invalidité, de sorte que vous traitez ce sujet majeur sur le plan individuel plutôt qu'au plan collectif. Savez-vous que c'est à 62 ans, c'est-à-dire à l'âge auquel vous voulez fixer le départ à la retraite, qu'apparaissent les maladies les plus graves ? Prendre sa retraite à 60 ans, c'est bénéficier d'une éclaircie pour prévenir ces maladies, particulièrement difficiles à traiter. Obliger les gens à attendre 62 ans, c'est prendre une mesure de désespérance de vie.
Ajoutons que la pénibilité ne se traduit pas forcément par une invalidité ; il y a des critères multifactoriels dans le travail. N'oublions pas non plus la nécessité d'un véritable dialogue social et de la mise en place d'une médecine préventive efficace. Reste que nous parlons de maux à venir : le dossier médical, dont nous avons voté la création il y a quelques années dans le cadre d'un PLFSS, permettrait de suivre ces patients ; nous l'attendons toujours. La médecine préventive est-elle organisée de manière à défendre l'indépendance et la liberté des médecins, que je connais bien ? Qui vérifie le suivi des patients ? Retarder l'âge de départ à la retraite tout en traitant la pénibilité sous l'angle de l'invalidité, c'est injuste. D'autant que la prise en compte de l'impact de la pénibilité sur l'espérance de vie est la priorité majeure, le souci permanent des gens dès lors qu'il vieillissent.
Il faut que tout travail pénible – travail de nuit, à la chaîne, port de charges lourdes, exposition à des produits toxiques – ouvre droit à une majoration des annuités qui permette de partir plus tôt à la retraite. Nous proposons de consacrer 5 milliards d'euros au financement de cette mesure et à la revalorisation des petites retraites. Votre projet nie les inégalités sociales en matière de santé et cela n'est pas acceptable. Quant à la santé durable, c'est une notion qui mérite d'être définie. Votre dispositif ne tient pas véritablement compte de la pénibilité au travail, puisque celle-ci est définie comme une simple réduction de l'espérance de vie future.
Pour conclure, je regrette que, lors du débat et tout au long de la législature, on n'ait pas tenu compte des arguments de l'opposition. En rejetant systématiquement la faute sur elle, vous lui avez laissé peu de place pour participer avec vous à l'élaboration d'un projet majeur. Ce sujet méritait pourtant un consensus national et une reconnaissance collective.