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Intervention de Guy Lefrand

Réunion du 13 septembre 2010 à 21h30
Réforme des retraites — Article 25

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Lefrand :

Je veux tout d'abord remercier M. le ministre d'avoir ouvert la discussion sur la réforme de la santé au travail dans le cadre de ce projet de loi sur les retraites. Comment, en effet, évoquer la pénibilité et le maintien dans l'emploi des seniors sans s'interroger sur le fonctionnement des nombreux systèmes de santé au travail qui existent encore aujourd'hui dans notre pays ?

Je vous propose donc, rapidement, une analyse et une synthèse sur le sujet, en reprenant des éléments issus des auditions menées avec Jean-Frédéric Poisson sous l'égide de Jean-François Copé et des travaux que nous avons menés avec les professeurs de médecine du travail Alain Domont et Paul Frimat.

Le passage de l'époque de la médecine du travail à l'ère de la santé au travail ne doit, selon nous, ni faire table rase du passé en mésestimant certains acquis de la médecine du travail, ni pérenniser un système qui a montré ses limites, notamment dans la prévention des cancers professionnels – l'amiante, déjà évoquée, nous en fournit le meilleur exemple – et la prévention de la souffrance psychologique.

Un bref rappel historique va nous permettre d'appréhender la complexité des enjeux et la nécessité d'une démarche de synthèse entre santé individuelle et protection collective.

La loi du 11 octobre 1946 avait pour objectif d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail : « Le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif. Il consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d'hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé.»

En réalité, en soixante ans, l'action médicale a surtout contribué à limiter certaines altérations mais n'a pu les éviter toutes. Ce dernier objectif n'a pu être atteint.

Dans ce contexte, le médecin du travail réalise des examens médicaux au titre de la surveillance de la santé des salariés et participe également à la surveillance des conditions de travail en menant des actions en milieu de travail au titre de son temps d'activité non clinique.

Ces textes assignent donc aux médecins un rôle non médical dans la prévention technique et ergonomique des altérations de la santé des travailleurs au travail. Seuls intervenants autrefois, ils doivent aujourd'hui partager ce domaine à part égale avec d'autres professionnels de la santé au travail – cela a été rappelé, notamment par notre collègue Vercamer –, ce qui peut expliquer certaines difficultés aujourd'hui rencontrées.

La surveillance de l'hygiène industrielle, instaurée par la loi à la fin des années quarante, correspondait à ce que l'on dénomme aujourd'hui la prévention primaire, c'est-à-dire à la maîtrise technique des risques professionnels et à l'organisation du travail.

Les surveillances de santé, également inscrites dans ce texte, avaient pour objectif la prévention médicale secondaire des maladies consécutives à des activités professionnelles réalisées dans un espace collectif. Ces surveillances biologiques et cliniques ciblaient ainsi les effets sanitaires consécutifs aux expositions à des risques professionnels plus ou moins maîtrisés.

Pour utiles et louables qu'ils soient, le dépistage, la démarche de soin et de réparation en aval des nuisances professionnelles ne peuvent seuls répondre à l'exigence de prévention de ces maladies. Ce dernier objectif, qui, avant la Seconde Guerre mondiale, était encore moins clairement exprimé qu'aujourd'hui, a conduit le législateur à inscrire dans la loi une action de prévention médico-technique spécifique, non exclusivement centrée sur le dépistage. L'action médicale a en effet été, dès 1947, réglementairement maintenue, dans des modalités proches de celles de la médecine d'usine d'avant-guerre. L'exercice du médecin du travail s'est vu malheureusement, au fil du temps, de plus en plus cantonné à la prévention médicale de l'indemnisation des maladies professionnelles. Le courant de pensée spécifique de l'époque laissait en effet croire que celles-ci pouvaient être prévenues par le contrôle de l'aptitude médicale au poste de travail. Ce dernier a bien évidemment été maintenu, et même renforcé en 1979.

Nous étions donc dans une démarche quasi-exclusivement juridico-réglementaire, qui s'est développée sans plus de considération pour les données médicales, qui changeaient au fil des progrès de la médecine.

C'est pourquoi, en 2010, la France n'arrive toujours pas à passer d'une politique médico-légale d'indemnisation, construite à partir de la fin du XIXe siècle, à une politique médico-professionnelle de santé au travail, qui devrait être en place depuis au moins vingt ans aujourd'hui.

En attestent notamment les atermoiements dans la transposition de la directive-cadre de juin 1989. Notre pays n'a toujours pas réussi sa mutation européenne. Nous sommes toujours loin d'être passés, comme il conviendrait, du « tout prévention tertiaire », à une démarche globale et équilibrée de santé au travail, qui impliquerait d'inverser les logiques d'action en milieu de travail, allant non plus de l'action tertiaire à l'action primaire, mais de l'action tertiaire à l'action primaire. Je pense que nous serons tous d'accord sur ce point : mieux vaut prévenir les maladies professionnelles que tenter d'en limiter ultérieurement les conséquences.

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