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Intervention de Patrick Beaudouin

Réunion du 26 juin 2008 à 15h00
Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale — Reprise de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Beaudouin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, approuvant globalement le projet présenté par le Livre blanc, le rapporteur de la mission « Liens entre la nation et son armée » que je suis pour le compte de la commission de la défense ciblera son propos sur ce qu'il considère comme un élément incontournable de son dispositif : l'esprit de défense.

La réforme de la défense ne s'appliquera que si elle repose sur un esprit de défense de notre population, qui lui apporte l'adhésion de la nation et la certitude de son efficacité. Le Livre blanc souligne d'ailleurs que la résilience « concerne non seulement les pouvoirs publics, mais encore les acteurs économiques et la société civile tout entière ».

L'esprit de défense, dans sa nouvelle conception, implique que l'on mette en place une pédagogie, une morale et des obligations.

Face aux menaces diffuses qui ont été définies, l'esprit de défense doit être inculqué à l'ensemble des citoyens et maintenu en permanence dans l'ensemble de la nation. Il est pour cela indispensable de redéfinir la notion de groupe uni, donc la notion de patrie ou de nation. Il s'agit en fait d'ajouter aux réformes strictement militaires un contrat de société pour défendre le bien commun, c'est-à-dire une véritable charte de l'engagement du citoyen au service de la communauté. C'est ainsi, et seulement ainsi, que le peuple se réappropriera sa défense et les moyens qu'il doit y consacrer.

La mise en place de ce contrat passe par un véritable programme de cohésion et de formation des acteurs et des politiques. Ce programme pourrait s'articuler autour des cinq nécessités suivantes.

Première nécessité : un effort initial de pédagogie. L'éducation nationale a d'abord son rôle à jouer. L'implication dans la vie de la cité des citoyens de demain suppose en effet qu'ils bénéficient, dès l'école primaire, d'enseignements adaptés qui mettent en valeur l'héritage historique et les valeurs républicaines. Les enseignements de défense actuellement proposés, notamment en classe de troisième et de première, sont trop souvent minorés et ne traitent que de manière descriptive les questions de défense. Leur articulation avec la journée d'appel et de préparation à la défense – la JAPD – reste artificielle.

Aboutissement de l'actuel parcours citoyen, l'appel de préparation à la défense a montré ses limites. La multiplication des activités proposées, accumulées sur une période très courte, rend la JAPD insuffisamment structurante. Aujourd'hui, elle n'apparaît aux jeunes concernés que comme une parenthèse, une obligation administrative à laquelle ils se soumettent sans enthousiasme. Un allongement de la préparation à la défense pourrait donc être envisagé. Ce n'est qu'à cette condition qu'elle serait réellement formatrice, rappelant l'existence de devoirs et la nécessité de règles, mais aussi la valeur de l'engagement et l'appartenance à la communauté nationale.

Deuxième nécessité : transmettre une mémoire et un patrimoine. La mobilisation des jeunes – et de l'ensemble des générations – ne peut se faire que si une mémoire collective et individuelle leur est transmise de manière raisonnée et analysée. Les politiques de mémoire restent aujourd'hui trop disséminées et dirigées vers un public trop réduit, manquant de cohérence d'ensemble. Il importe surtout de mettre l'accent sur la transmission, et non sur la seule commémoration.

La construction d'un esprit de défense ne sera de même possible que si les actes constitutifs communs sont mis en évidence grâce à l'histoire. Il en est de même pour un esprit européen de défense, indispensable à une meilleure adhésion et à la mise en place d'une véritable politique européenne de sécurité et de défense. Mieux se connaître et mieux connaître son histoire est nécessaire pour préparer l'avenir, aussi bien national qu'européen.

Troisième nécessité : renforcer le lien entre la nation et son armée et mieux faire connaître les enjeux de la défense. Les armées contribuent à entretenir un esprit de défense adapté aux enjeux du monde contemporain. L'image de l'armée dans l'opinion est excellente : un sondage faisait état de 87 % d'opinions favorables ou très favorables. Pourtant, à bien des égards, l'armée demeure perçue comme un corps à part, dont les missions sont mal connues. Le paradoxe est que les Français font confiance à notre armée sans s'en préoccuper réellement.

C'est évidemment à l'armée qu'il revient d'abord de mener une action de valorisation et de communication. Diffusion de journaux gratuits, Internet, colloques, peuvent être mis à contribution pour mieux faire connaître ses missions – maintien de la paix, lutte contre le terrorisme, interventions humanitaires – et le cadre géostratégique dans lequel elles s'inscrivent. Les rencontres avec les populations constituent aussi un vecteur privilégié. À cet égard, la réorganisation annoncée du ministère de la défense doit absolument maintenir une forme de proximité, même minimale, avec les différentes populations, ne serait-ce que pour assurer des conditions optimales de recrutement.

Mais travailler aux grands enjeux de sécurité et de défense doit aussi devenir l'une des missions du Parlement. Cela passe par l'organisation de débats réguliers sur la défense, à l'image de celui de cet après-midi. Le projet de loi constitutionnelle prévoit l'information systématique et immédiate du Parlement sur un envoi de troupes à l'étranger, et impose une autorisation parlementaire pour prolonger cet envoi au-delà de six mois. Ce pourrait être l'occasion de mieux associer la nation aux actions de l'armée. Pour que cette réforme prenne toute son efficacité, encore faut-il que les débats ne se traduisent pas par des querelles politiciennes, mais par des discussions éclairantes entre parlementaires plus présents et peut-être mieux formés aux questions de défense et de sécurité, par exemple par l'IHEDN ou l'INHES.

Enfin, la relation avec les médias doit faire l'objet d'une attention toute particulière, compte tenu de leur place dans la société. À cet égard, l'effort porté sur les journalistes accrédités défense doit être poursuivi et élargi aux différents décideurs dans le domaine de la presse, des médias audiovisuels et des nouvelles technologies de l'information et de la communication.

Quatrième nécessité : valoriser le don de soi à la société. En temps de crise, la cohésion de la nation est absolument essentielle. Que l'on songe à l'Union sacrée d'août 1914, qui fit si cruellement défaut lors de la défaite de juin 1940.

« Une nation est une grande solidarité » écrivait Ernest Renan. Les politiques participant à l'esprit de défense pourraient trouver leur prolongement dans la création d'un service national civique, qui se déclinerait par une formation partagée entre la défense, puis l'institutionnel territorial pour les enjeux civiques, avant de se terminer par un engagement associatif, humanitaire, environnemental ou autre.

Un tel dispositif convaincrait ses bénéficiaires qu'ils appartiennent à une communauté qui contribue à leur bien-être, mais au bien-être de laquelle ils peuvent et doivent aussi contribuer. Il s'agirait là d'un véritable contrat moral entre la société et les individus qui la composent. On retrouverait là l'esprit de l'amalgame républicain.

Dans la même logique, il importe de valoriser la réserve citoyenne, à laquelle le service civique pourrait servir de tremplin. Alors qu'ils sont les meilleurs ambassadeurs de l'esprit de défense auprès des civils, le rôle des réservistes, notamment des réservistes citoyens, est pourtant trop souvent mal considéré. Un important travail est à mener pour y remédier, compte tenu du rôle primordial que les réservistes devront jouer dans ce que le Livre blanc appelle la résilience.

Cinquième nécessité : préparer les élites professionnelles à des situations de crise. Dans un contexte où, comme le souligne le Livre blanc, une « surprise stratégique » n'est plus à exclure, il importe que la population, et tout particulièrement les actifs, soit capable de faire face.

Oui à l'armée de métier et aux forces de sécurité – police nationale, gendarmerie, police municipale et autres – et de secours pour faire face aux crises latentes ou inopinées car elles sont brutales et demandent la mise en oeuvre de moyens techniquement sophistiqués. Mais les crises brutales peuvent se multiplier et durer, et les moyens de la défense doivent pouvoir se renforcer, se répandre plus largement sur le terrain.

Tous ceux qui jouent un rôle actif dans la société sur les plans économique, entrepreneurial, technique, de recherche ou social, doivent donc garder à l'esprit que leur fonction quotidienne peut, à un moment donné, impliquer leur participation à la défense.

Cela devrait conduire à proposer que toutes les élites formées par la nation – dans les grandes écoles, les universités, les différentes écoles professionnelles et techniques – soient obligatoirement tenues d'apporter leur concours à celle-ci en cas de menace et soient aptes à le faire. Tout diplômé doit recevoir, dans le cadre de son diplôme, une formation à la défense et doit pouvoir accomplir les missions qui lui sont confiées, en d'autres termes, se considérer comme un cadre de la défense. (M. le ministre de la défense revient dans l'hémicycle.)

Le même rôle doit, bien entendu, être rempli par les élus locaux. À cet égard, il convient de mieux définir le rôle des correspondants locaux de la défense et de renforcer leur formation, en particulier par les institutions de formation telles que l'IHEDN ou l'INHES.

Dans le même esprit, je suggère une meilleure mobilisation des associations d'officiers et sous-officiers de réserve, ainsi que des professionnels des armées revenus à la vie civile mais qui, par leur expérience, peuvent être également des cadres de la défense civile, aux missions multiples sur le territoire.

Je propose, parce que cela me semble indispensable, de créer un organisme qui, placé au côté du Conseil de défense et de sécurité nationale, rassemblerait l'ensemble de ces acteurs aujourd'hui disséminés. Sa vocation serait de faire vivre l'esprit de défense, en assurant dans toute la société la diffusion de l'information, la formation et la mobilisation des citoyens, particulièrement en cas de crise.

« Avoir la conscience de ce qui a été accompli dans le passé, vouloir agir pour l'avenir au service de la nation », telle était, pour Renan, la définition de l'unité de la nation. Réunir le pays autour de sa sécurité et de sa défense, adhérer aux raisons et aux moyens de celles-ci, tel est le but du Livre blanc.

Ces deux propositions se rejoignent et se renforcent mutuellement. L'unité de la nation est indispensable à l'esprit de défense, et le développement de l'esprit de défense renforcera l'unité de la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

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