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Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 10 septembre 2010 à 9h30
Réforme des retraites — Article 5

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes évidemment d'accord pour dire qu'une réforme est absolument nécessaire si l'on veut sauver notre système de retraite par répartition.

Toutefois, comme les syndicats, comme les millions de personnes qui ont manifesté mardi, comme une majorité de Français, nous disons oui à une réforme, mais pas à la vôtre, qui aggrave les injustices et ne comble pas le déficit. Je le répète après d'autres : pour nous, une autre réforme est possible.

En supprimant la retraite à soixante ans et, corrélativement, en reportant à soixante-sept ans l'âge de la retraite à taux plein, vous faites payer votre réforme par les plus modestes et les plus fragiles des Françaises et des Français.

Vous la faites payer par celles et ceux qui ont commencé à travailler très jeunes, et qui sont justement ceux qui ont fait peu d'études et qui exercent les métiers les moins valorisants et les plus pénibles. Et ce ne sont pas les amendements tardivement ficelés après la manifestation de mardi dernier qui vont résoudre ce problème : quelqu'un qui a travaillé à dix-huit ans devra encore cotiser trois ans et demi de plus.

Vous la faites payer par les 60 % de seniors qui sont au chômage et qui, à la fin de leur allocation chômage, basculent pour plusieurs années vers l'ASS ou le RSA, qui leur procurent un revenu souvent bien inférieur à leur retraite. Il est vrai que vous aviez déjà montré le peu de cas que vous faites de cette population en supprimant en 2008 l'allocation équivalent retraite que le gouvernement Jospin avait créée pour elle en 2001. Vous dites souvent que nous n'avons rien fait, mais nous avions du moins créé cette allocation et le Fonds de réserve des retraites que vous vous apprêtez à siphonner sans le moindre scrupule.

Vous faites payer votre réforme par les ouvriers, dont l'espérance de vie est inférieure en moyenne de sept ans à celle des cadres. Vous la faites aussi payer par tous les salariés qui ont des carrières incomplètes, en particulier les femmes qui ont interrompu leur vie professionnelle pour élever leurs enfants, ou – et elles sont nombreuses – qui ont été contraintes d'accepter des postes à temps partiel, très mal payés, très pénibles et très précaires.

Dans mon département de Seine-Saint-Denis, je connais beaucoup de ces femmes, souvent chefs de familles monoparentales, qui gagnent une misère et vivent une galère quotidienne. En réalité, elles sont – le savez-vous ? – la figure de ces nouveaux parents pauvres qui peuplent nos villes et, de plus en plus, nos campagnes. Savez-vous que le taux de pauvreté est de 20 % chez les jeunes filles ? En d'autres termes, une jeune femme sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté, pour un jeune homme sur six.

Ainsi, vous faites payer votre réforme par les jeunes, les femmes, les ouvriers, les chômeurs et par tous ceux – ils sont 700 000 – qui ont un métier pénible et que vous allez faire travailler plus longtemps alors qu'ils sont usés, épuisés et qu'ils risquent plus que d'autres de souffrir de maladies graves. Vos mesurettes jetées comme une aumône après les manifestations, et qui confondent invalidité et pénibilité, n'y changeront rien.

Non seulement vous aggravez les injustices de façon intolérable, mais votre réforme n'est pas financée. Du reste, le Premier ministre le reconnaît : il admet que la réforme de 2003, qu'il a conduite, n'a rien résolu, et il a annoncé hier que votre réforme serait suivie d'autres mesures, qui iront évidemment dans le même sens. De votre propre aveu, il manquera 15 milliards d'euros en 2018, qu'il faudra trouver dans le budget de l'État. Monsieur le ministre, comment les trouverez-vous ? En gonflant le déficit et la dette, ou en augmentant les impôts – ou les deux, du reste ? Vous devez nous répondre, sans vous réfugier derrière la crise, qui a bon dos et qui vous sert à masquer l'échec de votre politique depuis 2002.

La réforme des retraites appelle de nouveaux financements, mais pas ceux que vous nous proposez. D'autres solutions existent : une réforme qui ne se limite pas comme la vôtre à un seul levier, celui des mesures d'âge. Ainsi, la réforme que nous proposons utilise trois leviers complémentaires. Tout d'abord, la durée de cotisation, portée à quarante et un ans et demi jusqu'en 2020, et au-delà si nécessaire ; une prolongation de la durée de cotisation avec, pour chaque année d'espérance de vie supplémentaire, six mois cotisés, six mois de retraite en plus.

Cessez donc vos mensonges : oui, nous voulons maintenir les retraites à soixante ans pour les plus modestes et les plus fragiles, mais nous acceptons d'accroître la durée de cotisation de ceux qui ont la chance d'avoir fait des études, d'avoir des carrières complètes et une bonne espérance de vie.

Mais nous agissons aussi sur deux autres leviers que vous ignorez totalement : l'emploi des seniors, d'une part ; l'élargissement de l'assiette des cotisation aux revenus du capital, d'autre part.

La priorité absolue est bien sûr de réduire le chômage. Car lorsque le chômage diminue, la masse salariale augmente et, avec elle, les cotisations vieillesse. Or vous qui faites constamment appel aux comparaisons européennes, vous devriez admettre que notre pays accuse un triste retard sur les autres pays d'Europe en ce qui concerne l'emploi des femmes, celui des jeunes et celui des seniors.

Rien dans vos propositions ne concerne l'emploi des jeunes, alors que le chômage explose et que, dans certains quartiers de nos villes, la moitié des jeunes sont au chômage. Quant au taux d'emploi de nos seniors, il est l'un des plus bas d'Europe. Ainsi, le taux d'emploi des personnes de cinquante-cinq à soixante-quatre ans n'est que de 38,9 % en France, contre 47,3 % en moyenne en Europe, 56 % en Allemagne et 70 % en Suède. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Dans ce domaine, seule l'Italie fait moins bien que nous. En outre, on sait que seuls 25 % des seniors retrouveront un emploi après six mois de chômage. Pourtant, des réformes de structure appliquées ailleurs en Europe ont produit de bons résultats en matière d'emploi des seniors. C'est de ces réformes que nous nous inspirons.

Voici donc nos propositions, que vous semblez ignorer. D'abord, pour tous les salariés dès quarante-cinq ans, un rendez-vous tous les deux ou trois ans, spécifiquement destiné à envisager leur évolution dans l'emploi. Ensuite, nous proposons de fixer à Pôle Emploi des objectifs chiffrés de retour à l'emploi par bassin d'emploi.

En outre, nous proposons une négociation triennale obligatoire de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les entreprises de plus de trois cents salariés. Nous proposons également de généraliser le tutorat ou les binômes en entreprise, de favoriser les départs en retraite progressive et d'aménager les conditions de travail des personnes de plus de cinquante-cinq ans en limitant ou en supprimant le travail de nuit et les tâches physiques et en augmentant les temps de pause.

S'y ajouterait un mécanisme de bonus-malus, par exemple par la modulation d'un point de cotisation patronale en fonction de la proportion de seniors parmi les salariés. Ainsi, les entreprises qui emploient des seniors bénéficieraient d'un bonus, alors que celles qui ne le font pas subiraient un malus.

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