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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 26 juin 2008 à 15h00
Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale — Déclaration du gouvernement et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Il était tout à l'honneur de la France de faire entendre, en Europe et dans le monde, une voix dissonante. Ce fut notamment le cas lorsqu'elle s'opposa à l'intervention de troupes en Irak, contrairement à la plupart des États européens.

Mais nous sommes, une fois de plus, sommés de nous aligner sur la politique nord-américaine, puisque le traité de Lisbonne voulait imposer le respect du cadre de l'OTAN – vous aurez sans doute remarqué qu'en cette matière, depuis le vote irlandais, je conjugue le verbe « vouloir » au passé. On nous invite au suivisme, et dans la pire des directions ! Or il est illusoire de croire qu'il est possible de créer un pilier européen de la défense au sein de l'OTAN. C'est impossible ! M. Védrine lui-même a souligné que le poids de la France au sein de l'OTAN serait le même que celui des autres alliés, c'est-à-dire nul. Le Livre blanc recèle à ce sujet une contradiction, il faut l'admettre. Il présente l'intégration de la France dans l'OTAN comme l'assurance d'une plus grande influence de notre pays ; en réalité l'influence dont il peut aujourd'hui se prévaloir sera anéantie.

Par ailleurs, une Europe de la défense nécessite la définition préalable d'une politique étrangère commune. Or celle-ci n'existe pas. Comment ose-t-on engager les peuples européens dans la voie militaire, alors que la voie de la paix, par la diplomatie, n'a pas encore été véritablement abordée ?

Nous refusons radicalement le virage atlantiste proposé à la France par le Président de la République.

Nous ne pouvons pas accepter qu'une telle organisation de la défense n'émane pas d'une décision politique prise de façon démocratique. Si, en 2006, 86 % des Français estimaient « essentielle et souhaitable une politique européenne de défense » ; en 2008, 87 % estiment que l'Europe « devrait faire intervenir ses forces de défense sans l'appui des États-Unis ».

L'exagération et la déformation de la menace terroriste exacerbent les peurs à l'égard d'un phénomène terroriste insaisissable. Le moyen est efficace pour remplir des objectifs mercantiles, avec l'assentiment d'une population manipulée. Mais il s'agit aussi de réduire les libertés publiques en toute légitimité, sous prétexte d'une menace latente et incessante. Le chef de l'État a pris la peine de préciser que « l'incertitude est fille de la mondialisation », pour justifier a priori tous les coups qu'il portera demain aux libertés. De qui se moque-t-on ?

Qui orchestre la course à la mondialisation, si ce n'est lui, ses amis du MEDEF et les spéculateurs financiers à travers le monde ? Quel est cet ennemi contre qui déployer tant de moyens, et même l'arme nucléaire ? La menace est-elle si grande que nous devions poursuivre notre effort d'armement à un tel niveau, alors que notre région n'a jamais été aussi pacifiée ?

La place primordiale accordée à l'arme nucléaire inquiète les élus du peuple que nous sommes. Le Livre blanc banalise le recours à cette arme en en faisant une arme préventive, notamment face au terrorisme. Une telle conception ne peut qu'accélérer la course à l'arme nucléaire. Elle renforce le processus de miniaturisation et d'usage opérationnel de ce type d'armement dans un conflit classique.

Les effets dévastateurs et irréversibles du nucléaire ne devraient-ils pas inciter le chef de l'État à la plus grande prudence ? L'effet de dissuasion à l'égard du terrorisme est plus qu'incertain. Aujourd'hui, le terrorisme international est insaisissable et nous ne pouvons pas anticiper ses actions. Utiliser la menace du recours à l'arme nucléaire contre des États qui soutiendraient le terrorisme international ne ferait qu'exposer aux dangers du nucléaire, et de façon injuste, les populations civiles. Et les terroristes ne renonceraient pas pour autant à leurs actions : ils n'auraient aucune difficulté à lancer des représailles contre les populations des États attaquants. Lorsque M. Sarkozy émet la possibilité de procéder à « un avertissement nucléaire », il expose la France à des ripostes incontrôlables, car il attise les tensions.

L'arme nucléaire n'a rien de dissuasif. Elle est au contraire à l'origine d'une escalade des armements et des antagonismes mondiaux. Contrairement à ce qu'affirme le Président de la République, elle n'est pas 1' « assurance-vie de la nation », mais plutôt son opposé, si l'on songe que l'intégration de la France à l'OTAN donnerait aux États-Unis d'Amérique le pouvoir de maîtriser l'arme nucléaire française, même si le Président de la République s'en défend, tout comme le Premier ministre devant nous tout à l'heure.

La volonté de domination de la planète est le fait de quelques États hégémoniques qui s'approprient les ressources naturelles en sacrifiant le développement des pays qu'ils pillent. Ils organisent ainsi, à leur seul profit, un ordre mondial fondé sur la libre concurrence et les lois du marché. Autant dire qu'ils accordent une importance secondaire à la protection des droits de l'homme et à la question environnementale.

Il est évident que ce sont avant tout les intérêts économiques des grandes industries françaises que cette nouvelle orientation de la défense et de la sécurité nationale cherche à protéger, par opposition aux intérêts des autres États. Il s'agit alors d'élaborer des stratégies militaires et de mettre en place des opérations extérieures dans des territoires où le Gouvernement estime avoir des intérêts à défendre. Et ces opérations n'ont même pas besoin d'être justifiées par une quelconque agression.

Le Gouvernement choisit ainsi une conception «offensive » de la défense, aux dépens d'une conception « défensive ». Cette option agressive fait de certains États étrangers des cibles permanentes. La guerre préventive, chère au Président de la République, répond bien à cette logique.

Bien sûr, le discours officiel ne manquera pas de trouver des raisons appropriées pour justifier une intervention militaire à l'étranger. Les dirigeants des États-Unis avaient su tromper une partie du monde en prétextant que leur intervention en Irak était destinée à libérer les Irakiens du joug d'un dictateur et en prétendant être à la recherche d'armes de destruction massive. Mais nous n'avons pas été dupes, et nous avons dénoncé l'atteinte au droit international et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ainsi que la dénaturation du droit d'ingérence, que constituait cette intervention de troupes étrangères en Irak.

De même, les droits de l'homme servent de prétexte à des interventions militaires, alors que nous ne sommes pas capables de les respecter en France. Les effets de la politique du Gouvernement en témoignent quand les salariés et les familles souffrent d'un pouvoir d'achat trop faible pour vivre décemment, quand se soigner devient un luxe, quand l'éducation n'est plus une priorité nationale, quand les sans-papiers sont maltraités, quand la mort d'une personne au sein d'un centre de rétention est banalisée, quand les conditions d'incarcération dans les prisons deviennent inhumaines. Hélas, la liste serait encore longue !

Nous refusons donc cette nouvelle conception de la défense et de la sécurité nationale, et nous proposons, au contraire, d'établir les bases d'une paix mondiale inaltérable.

En conséquence, l'emploi de la force doit, plus que jamais, demeurer du ressort du Parlement. Davantage de pouvoirs doivent être donnés aux représentants du peuple pour qu'ils participent activement aux choix gouvernementaux en matière de défense et qu'ils contrôlent l'activité de l'exécutif dans ce domaine. À cette fin, il faut exiger que le chef de L'État et le Gouvernement reçoivent systématiquement des autorisations du Parlement en matière de défense et de sécurité.

Nous devons refuser qu'en contrepartie soient accrus les pouvoirs présidentiels en matière de défense et de sécurité intérieure. À cet égard, la création d'un Conseil de défense et de sécurité nationale et d'un Conseil consultatif sur la sécurité nationale auprès du Président de la République, tous deux composés de personnalités qu'il aura nommées, n'est pas de nature à nous rassurer.

La souveraineté et la démocratie doivent rester le fondement de la défense et de la sécurité intérieure. C'est au peuple que doit revenir la maîtrise de son territoire et de sa destinée.

Nous ne devons plus tolérer l'irrespect flagrant du droit international par nos gouvernements. Il nous faut être intransigeants sur le respect par nos pays des accords qui les lient et des valeurs qu'ils portent. Le double contrôle citoyen et parlementaire doit être permanent.

La France doit instaurer un service citoyen, car la défense ne doit pas échapper aux citoyens. Ce sont eux qui donnent vie à la nation et qui doivent prendre les décisions déterminantes.

Il est essentiel de revenir à une gestion publique des industries de l'armement pour garantir l'autonomie de la défense et de la politique étrangère de la France. Les armes ne sont pas des marchandises comme les autres.

Enfin et surtout, la paix internationale ne peut être garantie que si l'on donne à chaque peuple le pouvoir de s'autodéterminer et les moyens de se développer, dans le respect des données culturelles locales. Nous devons être porteurs d'une politique mondiale solidaire qui ne profite pas des faiblesses de certains pays, qui n'attise pas les rivalités locales pour en tirer un profit égoïste et qui ne se nourrisse pas de la pauvreté pour enrichir davantage encore les plus riches.

C'est en réglant les dysfonctionnements profonds de ce monde que nous parviendrons à une situation de paix.

L'enjeu majeur est le règlement de la question de la pauvreté, de la faim et de l'exploitation nationale des ressources naturelles, aujourd'hui pillées par les États occidentaux. Nous devons également veiller à une application effective des droits de l'homme pour que les humiliations, les asservissements, les frustrations des hommes ne dégénèrent pas en actions désespérées, notamment terroristes.

Il faut organiser un véritable débat public sur la politique de défense, qui n'est pas qu'une question d'experts ou de renouvellement du matériel. Je demande donc l'ouverture d'états généraux de la défense. Un moratoire est nécessaire, car le Gouvernement doit prendre le temps d'organiser le débat et d'approfondir la réflexion nationale. Des interrogations subsistent. Les décisions les plus appropriées, les plus démocratiques et les plus respectueuses du droit international ne peuvent pas être prises dans la précipitation. La politique d'usure parlementaire que mène actuellement le Gouvernement en conduisant les réformes à un rythme effréné ne peut être sans conséquence sur le bon fonctionnement de nos institutions et sur l'avenir de notre nation.

La primauté donnée exclusivement à la sécurité nationale constitue un repli nationaliste. Dans un contexte où la mondialisation accroît la misère d'une majorité d'habitants de la planète et où l'Europe se construit contre les peuples, nous devrions privilégier le développement des solidarités, des coopérations et de l'amitié entre les peuples, des valeurs que les députés communistes et républicains sont fiers de porter. Il faut affirmer un principe de paix, plutôt que de développer une stratégie armée. C'est pourquoi je vous demande, madame, messieurs les ministres, ainsi qu'au Président de la République, de renoncer à cette logique guerrière et de vous engager à promouvoir le désarmement multilatéral.

Pour conclure, je souhaite réaffirmer haut et fort notre conception de la paix, qui est aux antipodes de celle prônée par le Président Sarkozy. La paix n'est pas l'absence temporaire de guerre ni un état apaisé des relations, mais un état permanent de respect des peuples et de leurs différences, de coopérations et d'interdépendances assumées. Je terminerai en citant Jean Jaurès, pour qui « l'affirmation de la paix est le plus grand des combats ». Cette conception de la paix, qui est toujours d'actualité, nous la faisons nôtre.

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