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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 26 juin 2008 à 15h00
Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale — Déclaration du gouvernement et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Le Livre blanc cède à la facilité de l'argument des économies budgétaires – du moins en apparence, car cet argument correspond en fait à une conception conflictuelle des rapports entre les peuples, sous-jacente dans ce rapport, qui n'est pas la nôtre. L'argument comptable est avancé, mais pas pour de bonnes raisons.

Certes, le budget dévolu à la défense consacrera 377 milliards d'euros à l'armée d'ici à 2020, alors qu'il y a tant d'autres priorités. Mais, si une réduction budgétaire doit être opérée, c'est par l'anticipation et l'aménagement dans le temps de dispositifs transitoires. Je pense que l'on doit rattacher ces coupes claires dans les effectifs de la défense à deux phénomènes très inquiétants.

Le premier est celui de la légalisation du mercenariat, dont l'encadrement juridique ne leurre personne. En légalisant les sociétés militaires privées, on fait de la guerre et de la mort un marché lucratif. On ouvre la brèche à une barbarie et à une sauvagerie dans lesquelles l'humanité ne pourra que s'engouffrer. Une telle politique est inacceptable, après tant d'efforts consacrés à la pacification des relations internationales et à la protection des droits de l'homme. On s'oriente vers une déresponsabilisation des États en contexte de guerre, alors que des décennies de luttes ont été nécessaires pour leur faire appliquer un régime de responsabilité et les sanctionner.

On bafoue les instruments juridiques pacificateurs tels que la Charte des Nations unies, le droit international de la guerre et les conventions de Genève. On nous promet le règne de l'arbitraire et, pire encore, on porte atteinte à l'un des pouvoirs régaliens de l'État, qui devrait disposer du monopole de la violence légitime : c'est très grave ! En effet, en donnant à des entreprises privées, qui se substituent aux États, la possibilité d'intervenir dans les conflits armés, on sape les bases de la souveraineté du peuple et de la démocratie. Cela laisse augurer que nos valeurs républicaines de respect des hommes, de liberté et d'égalité seront bafouées.

Ce sont les lobbies industriels qui, désormais, imposeront un ordre mondial, avec le risque que la nation française passe sous domination étrangère lorsque ces industries deviendront multinationales. Bref, les États vont pouvoir, en toute impunité, confier la guerre au secteur privé, dont les appétits financiers sont voraces et qui n'a que faire de la sécurité du peuple, pourvu que ça rapporte vite et beaucoup ! Je n'ose imaginer le tableau.

Un second phénomène, lui aussi marchand, justifie la suppression massive des effectifs du ministère de la défense : l'ouverture toujours plus importante du juteux marché de la guerre aux monopoles financiers.

On s'empressera bientôt de démontrer que les entreprises nationales, dont les compétences des personnels ne sont plus à démontrer, se montrent inefficaces et qu'il faut ouvrir le marché à la concurrence internationale. Personne ne prendra alors la peine d'expliquer que cette « inefficacité » trouve son origine dans des suppressions de personnels et des choix douteux.

La politique libérale de casse des services publics est encore à l'oeuvre ; elle veut faire croire à nos concitoyens, que les services publics sont inaptes à satisfaire les besoins de la population.

Est-ce un hasard si les grands industriels de l'armement terrestre se sont réunis à Villepinte la veille de la présentation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ?

Est-ce un hasard si la commission du Livre blanc a tant insisté sur l'accès aux ressources énergétiques ?

Rien n'est moins étonnant que la concordance entre certains intérêts économiques des pays occidentaux et l'effort militaire consacré à leur protection.

Je voudrais dénoncer ici la véritable philosophie du Livre blanc. Elle se décompose en deux éléments.

Le premier relève d'une philosophie capitaliste appliquée au secteur de la guerre. Elle vise à instrumentaliser les moyens de la défense nationale, afin d'atteindre des objectifs marchands, comme l'accès à des ressources énergétiques étrangères et l'ouverture de marchés nouveaux – notamment au Moyen-Orient – une fois les populations locales occupées et soumises à la loi du capitalisme.

Un second aspect correspond à une philosophie manichéenne fondée sur un prétendu conflit de civilisations. Après que Georges Bush a livré la bataille « du bien contre le mal », Nicolas Sarkozy et les pays européens, auxquels se joindront les États-unis, livreront la bataille « des bons contre les mauvais ». Les « mauvais » étant évidemment ceux qui contestent le bien-fondé du capitalisme des pays occidentaux, ceux qui luttent pour une autre conception des rapports entre les hommes que celle axée sur la concurrence, la primauté du plus fort et la stigmatisation de l'autre.

L'ennemi « nouveau » est inventé et même nommé. Il s'agit de la Chine, de la Russie ou encore du Moyen-Orient, qui refusent de se soumettre à la logique et aux diktats des États occidentaux. Deux nouveaux blocs se dessinent et Nicolas Sarkozy fait choisir à la France un camp qui risque de la mettre en péril.

Cette grille de lecture du Livre blanc permet de comprendre ce qui se cache entre ses lignes. Ainsi, l'étroite association entre les notions de défense et de sécurité nationale doit nous interpeller. Le nouveau concept de « sécurité globale » qui émerge semble apporter aux questions de sécurité nationale des réponses purement militaires. Les interventions militaires ne seraient plus réservées aux seuls risques de conflit armé, d'autres types de menaces les justifieraient.

Or tout réside dans l'interprétation et la définition de ce qui constitue une menace pour la sécurité nationale et les intérêts vitaux de la France. Souvenons-nous de la décision de Jacques Chirac de déclarer l'état d'urgence contre les insurrections des banlieues, en décembre 2005. Pour poursuive cette logique jusqu'à son terme, quand enverrons-nous des troupes armées contre les manifestants qui bloquent les réseaux routiers ? En effet, dès lors que le Livre blanc propose que la direction centrale du renseignement intérieur assume la charge de la « surveillance des mouvements subversifs violents », selon l'interprétation donnée à cette expression, certaines manifestations, certains groupes politiques ou syndicaux pourraient être réprimés.

De même, lorsque le Gouvernement prétend coordonner les services de renseignements et les services de la défense, ou lutter contre le cyberterrorisme, qu'est-ce qui garantit au citoyen le respect de sa vie privée, de sa liberté de conscience, de ses données personnelles ? C'est l'une des principales difficultés inhérentes au concept de résilience, mis en avant dans le Livre blanc.

Les députés communistes et républicains ne cherchent pas à minimiser les risques auxquels la paix et la sécurité sont aujourd'hui confrontées. Ils sont mentionnés dans le Livre blanc, et ils existent. Nous cherchons seulement à dénoncer la disproportion dont témoignent non seulement l'importance qui leur est sciemment accordée, mais aussi l'agressivité des réponses proposées tout au long de ce document.

La conception de la défense développée dans le Livre blanc est archaïque, régressive et indigne des relations internationales dont le XXIe siècle devrait être porteur. On peut d'ailleurs regretter que nos deux derniers Présidents de la République aient fait le choix d'oeuvrer dans la même ligne en choisissant une militarisation accrue. L'actuel Président de la République met tout en oeuvre pour orienter la défense française vers une action militaire fondée sur la démonstration de puissance, l'exacerbation des rapports de force et la projection de forces armées à l'extérieur du territoire.

Si Jacques Chirac a opportunément refusé d'engager les troupes françaises en Irak, et de suivre ainsi les États-Unis, il a pourtant mis fin à la conscription. En rompant brutalement le lien entre armée et nation, en professionnalisant l'armée, il a élargi la voie déjà ouverte à une marchandisation de la guerre. Il a renforcé la privatisation de la guerre amorcée par la privatisation de l'industrie de l'armement.

Nicolas Sarkozy et son gouvernement poursuivent l'oeuvre de régression : ils s'alignent sur la politique conservatrice américaine en approuvant une intervention des forces années françaises en Afghanistan et en Irak, mais souhaitent aussi, je le l'affirme à nouveau, une réintégration de la France au sein de l'OTAN.

Or, avec le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l'OTAN, nous aurions l'assurance que les décisions relatives à la défense française échapperaient à la souveraineté nationale. L'indépendance militaire, stratégique et diplomatique de la France se verrait alors anéantie par la volonté des États-Unis d'Amérique qui, nous le savons, ne renonceront pas à leur politique d'agression. Au sein de l'OTAN, il est évident que la voix prépondérante des États-Unis contraindra la France à s'aligner sur leurs choix, comme les Britanniques s'alignent aujourd'hui sur la position américaine.

En 1966, Charles de Gaulle, qui l'avait compris, décida que la France devait quitter l'OTAN pour être indépendante sur le plan militaire, notamment en matière nucléaire. Lui aussi refusait la domination de la France par les États-Unis. Nous ne pouvons pas tolérer en France une politique atlantiste qui méprise les droits des peuples et qui les engage arbitrairement dans des conflits armés. Par ailleurs, une politique atlantiste risque d'exposer encore davantage notre pays aux menaces internationales.

Dans cette même logique, la promotion d'une Europe de la défense fait perdre à la France son autonomie. La France sera tenue de s'engager dans la voie choisie par l'Union européenne, sans disposer d'une liberté de retrait en cas de désaccord.

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