L'élaboration de ce Livre blanc a été une formidable occasion pour chacun d'entre nous de prendre du recul et de se pencher sur l'état du monde – et la place que la France y tient –, sur ses évolutions passées, sur le chemin qu'il prend et sur celui que nous voulons lui faire prendre.
Le constat, nous le partageons tous. Depuis le dernier Livre blanc, le monde a beaucoup changé sous l'effet, notamment, de la mondialisation : celle des échanges et celle des moyens de communication et d'information.
Dans ce monde désormais globalisé, les menaces ont, elles aussi, changé ; ce ne sont plus les mêmes. Au temps de la guerre froide et dans les années qui ont suivi, elles étaient davantage identifiées : le monde était globalement bipolaire, avec un bloc contre l'autre, les revendications et les moyens d'attaque étaient connus et l'équilibre de la terreur permettait une lecture finalement assez simple des relations internationales, avec des menaces si ce n'est de bloc à bloc, tout au moins identifiées d'État à État.
Plus particulièrement avec les attentats du 11 septembre 2001, la donne a changé et les choses ne sont plus aussi claires. Tout semble se brouiller : les groupuscules terroristes se multiplient ; les revendications changent ; les moyens utilisés sont plus diversifiés, souvent nouveaux, bien plus puissants et parfois technologiquement à la pointe ; les frontières disparaissent ; des alliances nouvelles et de circonstance apparaissent.
Le monde tend à devenir multipolaire. Les menaces naissent n'importe où, l'hyperpuissance américaine est partout remise en cause, des foyers de risque sont identifiés, comme en Corée et en Iran, et une menace plus diffuse est incarnée par Al Qaida dans de nombreux pays. Les conflits ont aujourd'hui un nouveau visage sous l'influence, notamment, des fanatismes religieux. Il ne s'agit pas, comme certains le disent, de décrire un monde plus dangereux, mais il serait justement dangereux de se voiler la face. Comme le dit très bien le Livre blanc, le monde est surtout plus instable et la menace est plus diffuse.
En effet, nous devons affronter de nouvelles menaces. Je pense aux cyber-attaques, aux risques de pandémie, notamment dans le cadre d'une guerre bactériologique, mais également aux conflits liés à la sécurité des approvisionnements énergétiques et des matières premières, aux problèmes liés à l'accès à l'eau et aux changements climatiques, à la nécessité de nourrir toujours plus d'habitants sur la planète.
Les récentes émeutes de la faim ne sont-elles pas le signe avant-coureur d'instabilités futures ? Le cas de l'Estonie, victime d'une cyber-attaque l'année dernière, est la preuve du caractère très concret de ce type de menace. Nous devons nous préparer à y faire face sur notre territoire, car nos sociétés sont plus complexes, mais aussi plus fragiles et dépendantes de ces nouvelles technologies. Le Président de la République a d'ailleurs réaffirmé son intention de donner à la France les moyens de se prémunir, mais également de répondre à ces attaques informatiques menées par des groupes mafieux ou terroristes, ou par des officines plus ou moins liées à des États.
Ces nouvelles menaces transforment notre vision de la sécurité et justifient le rapprochement entre les deux notions de sécurité extérieure et de sécurité intérieure, autrement dit de défense et de sécurité nationale. Cette nouvelle stratégie de sécurité nationale doit s'appuyer sur une définition très précise de ces deux notions, malgré tout distinctes, et sur une organisation qui puisse faire face aux deux.
Bref, le monde occidental et l'Europe sont aujourd'hui confrontés à un monde très différent de celui de 1994, date de la rédaction du dernier Livre blanc qui tirait les leçons de l'effondrement du bloc soviétique. Une réforme est donc aujourd'hui nécessaire et même vitale pour nous donner les moyens d'anticiper les menaces et de nous défendre. Cela est d'autant plus vrai que notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, notre présence sur tous les continents et notre histoire singulière nous donnent une responsabilité spécifique, une vocation planétaire à défendre la paix.