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Intervention de François Fillon

Réunion du 26 juin 2008 à 15h00
Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale — Déclaration du gouvernement et débat sur cette déclaration

François Fillon, Premier ministre :

Monsieur le président, messieurs les présidents des commissions des affaires étrangères et de la défense, mesdames et messieurs les députés, nous avons en partage une responsabilité sacrée, celle de protéger la France et les Français de toute agression. Nous avons aussi un devoir, celui de contribuer à la sécurité de nos alliés et au respect des règles internationales et des droits de l'homme.

Pour tout cela, la France déploie une diplomatie active, constructive, destinée à apaiser les tensions du monde. Et elle est dotée, pour agir, d'un outil de défense dont les concepts et l'organisation doivent être adaptés en permanence.

En juillet 2007, le Président de la République a confié à une commission réunissant parlementaires, militaires, représentants de l'administration et personnalités qualifiées la rédaction d'un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, dont il a dévoilé les conclusions le 17 juin dernier.

Penser les engagements de notre pays pour les quinze prochaines années dans un contexte international très fluctuant était une tâche délicate. La commission placée sous la présidence de Jean-Claude Mallet l'a conduite avec discernement.

Pourquoi entreprendre cette réflexion ? Parce que la France doit demeurer une puissance politique et militaire. Parce que vingt ans après la fin de la guerre froide, la paix demeure un bien fragile et précieux. Parce que depuis 1994 et le dernier Livre blanc, le monde a changé. Au rythme de la mondialisation, les données de la sécurité nationale et internationale ont évolué. La hiérarchie des puissances, elle-même, s'est modifiée. En revanche, la révolution imposée à notre appareil de défense par l'effondrement de la bipolarité n'est pas complètement achevée. Dans la perspective de la loi de programmation militaire, qui vous sera présentée par Hervé Morin, il était nécessaire de retracer les lignes de force du paysage stratégique et de notre sécurité.

Le monde est-il devenu plus dangereux ? Franchement, je ne le crois pas. Il est simplement moins stable, moins prévisible, plus complexe que par le passé. Le délitement de certains États, les affrontements ethniques et culturels, le fanatisme religieux, les crises sanitaires, les catastrophes naturelles, les attaques informatiques, l'internationalisation des mafias, la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, la vulnérabilité des approvisionnements énergétiques et alimentaires : tout cela dessine un très large spectre de menaces, en évolution constante.

Cet élargissement du « cône des possibles » se traduit par une dissémination accrue des armements : d'ici 2025, le territoire européen sera à portée des missiles stratégiques développés par de nouvelles puissances.

Il s'illustre aussi par la menace terroriste, devenue d'autant plus redoutable qu'elle joue à son profit des nouvelles technologies de l'information et qu'elle pourrait un jour prochain s'emparer d'armes nucléaires, radiologiques, bactériologiques ou chimiques. Hier ponctuelle et contingente, cette menace est devenue – c'est l'une des constatations importantes du Livre blanc – une menace structurelle.

La France est à présent placée devant un large arc de crise qui couvre une zone allant de l'Atlantique à l'Océan Indien, où ses intérêts stratégiques se concentrent. Comme la plupart des pays européens, elle est aujourd'hui plus vulnérable qu'elle ne l'était dans les années 90. Elle l'est parce qu'à l'époque, l'équilibre de la terreur couvrait et dissuadait la plupart des scénarios conflictuels. Dorénavant, le spectre des menaces est élargi ; les conflits à venir se déclencheront de manière de moins en moins prévisible et prendront des formes imprévues. Le risque extrême prend aujourd'hui la forme de la « surprise stratégique ».

Une alliance qui se renverse, des comportements diplomatiques qui changent, un mode d'agression qui se réinvente, un groupe de fanatiques qui échappe aux règles de l'affrontement classique, et la surprise stratégique survient, comme la France en a déjà fait la cruelle expérience durant des périodes d'impréparation et de déni stratégique.

Le 11 septembre 2001, la surprise stratégique plongeait les États-Unis dans la stupeur. La surprise stratégique, c'est le défi que nos sociétés sont le moins capables de prévoir, et c'est justement celui qu'elles doivent dorénavant se préparer à affronter. Pour cela, il faut intégrer dans notre raisonnement des risques, des attaques, des dangers qui ne relèvent plus exclusivement de l'action militaire traditionnelle.

L'élargissement de notre horizon stratégique et la multiplicité des menaces ont plusieurs conséquences.

La première, c'est que nous devons assurer au pays les garanties les plus larges.

Face aux scénarios extrêmes, la dissuasion doit demeurer la garantie ultime de la sécurité et de l'indépendance de la France. Elle a pour seule fonction d'empêcher une agression d'origine étatique contre les intérêts vitaux du pays, d'où qu'elle vienne et quelle qu'en soit la forme. Dans cet esprit, les deux composantes, sous-marine et aérienne, sont maintenues.

Face aux scénarios de conflits extérieurs, notre stratégie de projection doit être musclée. Si nous pouvons être menacés de loin, nous devons être capables de frapper loin. Le passage à la professionnalisation des forces a été réussi. Il reste maintenant à le compléter et à l'affûter en termes d'organisation et d'équipements. Nous avons, avec le ministre de la défense, fixé des objectifs clairs : nous voulons être capables de projeter 30 000 hommes, 70 avions de combats, un groupe aéronaval et deux groupes maritimes.

Face aux scénarios de crise intérieure, dont le terrorisme de masse constitue l'un des points saillants, nous avons décidé d'inscrire nos choix dans le cadre global d'une « stratégie nationale de sécurité » associant étroitement sécurité et défense. Au regard de l'expérience du 11 septembre 2001, nous avons intégré les enjeux du « front intérieur ». Dorénavant, dans leurs missions de protection, les forces armées, les forces de police, de gendarmerie, de sécurité civile se verront assigner des objectifs opérationnels conjoints.

Cette stratégie nationale de sécurité exige une réorganisation des pouvoirs publics. L'ordonnance du 7 janvier 1959 résulte d'un contexte historique et stratégique radicalement différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. Sa révision est donc absolument indispensable.

Nous avons décidé de créer un Conseil de défense et de sécurité nationale. Il sera présidé par le Président de la République. Il dotera l'État, au plus haut niveau, d'une enceinte où des sujets tels que la programmation militaire, la programmation de sécurité intérieure, la politique de dissuasion, la lutte contre le terrorisme ou la planification des réponses aux crises majeures pourront être abordés. Le Conseil national du renseignement en sera l'une des formations. Il reviendra au Premier ministre la charge de diriger l'application de l'ensemble des décisions qui y seront prises.

La deuxième conséquence, c'est que nous devons disposer d'un préavis, en prenant la menace en compte le plus en amont possible. Dans un monde rapide, le temps gagné décide de tout. La fonction « connaissance - anticipation » nouvellement identifiée par le Livre blanc vise à nous donner le préavis nécessaire à l'action. Cette fonction repose en grande partie sur le renseignement spatial, qui devra donc faire l'objet d'un effort substantiel.

Elle repose aussi sur le renseignement humain. Nos services doivent être plus efficaces et mieux coordonnés. C'est pourquoi nous avons décidé le regroupement des services de renseignement du ministère de l'intérieur au sein de la nouvelle direction centrale du renseignement intérieur. Nous avons également décidé de créer le poste de coordonnateur du renseignement, placé auprès du Président de la République. Il sera chargé d'animer et de coordonner les travaux des différents services de renseignement.

La troisième conséquence, c'est que nous devons conserver notre aptitude à monter en puissance et à nous réadapter si la situation venait à changer. L'imprévisibilité de la menace nous impose un dispositif de veille technologique poussé. Elle suppose, dans le domaine industriel, le maintien des bureaux d'études et la réalisation de démonstrateurs précurseurs d'une série de matériels qui pourraient être lancés en fonction des besoins. Dans tous les domaines – prévention, intervention, protection – nous devons demeurer à un niveau de crédibilité qui garantisse notre capacité de réaction.

La quatrième conséquence, c'est la notion de résilience, qui est au centre de l'analyse du Livre blanc. Ce concept désigne la capacité du pays à maintenir ou à rétablir au plus vite son fonctionnement normal en cas de crise majeure. Accroître cette résilience implique de développer nos moyens de surveillance des espaces français ; de renforcer la capacité de réaction des pouvoirs publics ; de mettre les dispositifs de communication et d'alerte massive au centre de la gestion des crises ; d'assurer la protection des populations.

Mesdames et messieurs les députés, avec une dissuasion qui garantit la préservation de l'essentiel ; avec des moyens de renseignement qui nous permettent d'anticiper ; avec des capacités de projection qui nous permettent d'agir plus vite et plus fort ; avec des outils qui assurent le fonctionnement optimal des pouvoirs publics et la protection des citoyens, notre dispositif peut être considéré comme complet.

Mais il serait insuffisant sans l'adhésion de la nation. De ce point de vue, le Livre blanc suggère plusieurs pistes. L'une d'entre elles est, bien entendu, l'intervention du Parlement. Si le projet de loi constitutionnel qui vous a été proposé est adopté, votre rôle sera renforcé. (Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous serez systématiquement informés de l'envoi de militaires français en opération, et systématiquement consultés par un vote dès lors que la question de leur maintien dans des opérations extérieures au-delà de quatre mois se posera.

Le Parlement sera par ailleurs informé de tous les accords liant la France à des partenaires étrangers, dès lors que ceux-ci pourront conduire à engager les moyens de défense du pays au bénéfice d'autres États.

La sécurité est une affaire collective. Nous partageons plus que nos valeurs avec l'Union européenne et avec les pays de l'Alliance atlantique. Le renforcement des liens que nous entretenons avec eux est indispensable.

L'Europe est une puissance,…

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