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Intervention de Martine Billard

Réunion du 7 septembre 2010 à 21h30
Réforme des retraites — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Billard :

Vous supposez que si les Français ont peur de percevoir des pensions trop faibles, ils n'auront d'autre choix que de se tourner vers l'épargne-retraite. Mais, comme décidément nos concitoyens n'y mettent vraiment pas du leur, et que la Fédération française des sociétés d'assurance s'impatiente, vous êtes passé à la phase suivante : l'épargne-retraite contrainte. Ainsi, un amendement voté cet après-midi en commission rend l'adhésion au plan d'épargne-retraite collectif de l'entreprise obligatoire pour tous les salariés de l'entreprise concernée. Au mois de juillet avait déjà été voté le versement automatique au PERCO d'une partie de la participation.

Que demandait la Commission européenne ? L'allongement de l'âge effectif de départ à la retraite ; la réduction des dépenses publiques ; le développement et renforcement des capacités des régimes par capitalisation : c'est ce que vous faites. Alors, on a entendu tout à l'heure que Marx n'était pas le maître à penser de l'UMP – mais les fonds de pension européens, certainement !

La loi que vous nous présentez renforcera plus encore les discriminations sociales dans notre pays. Une fois de plus, ce sont les salariés qui en feront les frais, particulièrement ceux qui se trouvent dans les situations les plus précaires et ceux qui ont subi les parcours professionnels les plus instables, au premier rang desquels on trouve les femmes. En ce sens, les travaux de la délégation aux droits des femmes de notre assemblée sont d'une terrible limpidité.

Les femmes seront les premières touchées par ce texte anti-social puisque déjà actuellement 30 % d'entre elles – contre 5 % des hommes – doivent attendre 65 ans pour pouvoir prendre une retraite sans décote. Les femmes partent d'ailleurs plus tard en retraite – 61,4 ans contre 59,5 % pour les hommes –, et 41 % d'entre elles seulement effectuant une carrière complète contre 86 % des hommes, ce qui entraîne une différence de vingt trimestres cotisés – 137 contre 157. En conséquence, le montant moyen des retraites des femmes est inférieur de 38 % à celles des hommes ; la retraite moyenne des femmes est de 826 euros.

Je cite la délégation aux droits des femmes : « En conséquence, les écarts de durée d'assurance entre les hommes et les femmes se resserrent effectivement, au fil des générations ; la durée d'assurance validée par les femmes s'accroît, tout en restant inférieure à celle des hommes : entre quarante et cinquante ans, l'écart de durée moyenne d'assurance passerait de vingt-trois à quatorze trimestres. » Quatorze trimestres, monsieur le ministre, ce n'est pas la suppression des écarts !

C'est pourquoi, avec d'autres députés du groupe GDR, je m'associe à la démarche des associations qui ont décidé de saisir la HALDE des conséquences discriminatoires de cette réforme pour les femmes.

Quant à la pénibilité, les mesures envisagées ne devraient concerner au mieux que 10 000 à 12 000 personnes par an, quand les études montrent que 100°000 à 120 000 personnes sont touchées par les phénomènes de pénibilité et d'usure au travail, qu'ils soient physiques ou psychologiques.

Vous proposez que le dispositif repose sur un seuil de 20 % d'incapacité permanente. Mais des médecins du travail, notamment le professeur François Guillon, spécialiste de médecine du travail et de santé au travail à Bobigny et des associations comme la FNATH, l'Association des accidentés de la vie, le relèvent très justement : ce seuil n'a « aucune pertinence médicale ». Il ne vise qu'à limiter à une petite minorité le nombre de personnes qui bénéficieront du dispositif.

Prenons quelques exemples de personnes qui seront écartées par la loi. Selon le professeur Guillon, « pour les maladies professionnelles les plus fréquentes, les troubles musculo-squelettiques, les incapacités permanentes moyennes ne dépassent 15 % que dans moins de 1 % des maladies. Pour les accidents du travail, les incapacités permanentes moyennes les plus importantes s'observent dans le BTP et n'atteignent que 12 %. »

Vous ne prenez pas non plus en compte l'exposition à des substances cancérigènes « ou plus généralement » – selon le même médecin – « qui peuvent avoir un effet à long terme sur la santé après l'arrêt de l'activité ». Ainsi, vous écartez « toutes les pathologies évolutives – et notamment les cancers – qui se déclarent souvent tardivement et qui ne peuvent dans bien des cas faire l'objet d'une stabilisation pour obtenir la fixation d'un taux ». De plus cela présuppose la reconnaissance par les caisses qu'il s'agit bien d'une conséquence du travail, avec tous les aléas que l'on connaît.

Enfin, pour bénéficier d'un départ anticipé, vous proposez de prendre en compte la notion de « lésions identiques à celles indemnisées au titre d'une maladie professionnelle ». Permettez-moi de douter de l'efficacité d'un tel dispositif dans la mesure où cette notion ne revêt ni un caractère juridique, ni un caractère médical !

Au final, cette mesure ne changera guère la situation présente. En quelque sorte, vous osez présenter le fait de ne pas aggraver une situation comme un progrès : la ficelle est un peu grosse.

Pour qu'un projet de loi prenne réellement en compte la pénibilité au travail, il faudrait d'abord le fonder sur l'espérance de vie sans incapacité. Ce n'est pas difficile ; il suffit de se reporter aux nombreuses études épidémiologiques existantes, qui démontrent toutes que l'espérance de vie sans incapacité est extrêmement variable selon les métiers et les conditions de travail. Et il faudrait d'autre part permettre à toutes personnes exposées aux risques définis précédemment de partir avant 60 ans sans décote pour les travaux les plus pénibles. En fait, il faudrait appliquer à tous les salariés exposés à un risque reconnu le régime actuel des personnes exposées à l'amiante.

Ce n'est pas ce que vous avez choisi, puisqu'il faudra pour partir à 60 ans être déjà dans une situation de handicap et qui plus est que celui-ci ait été préalablement reconnu. Votre projet « n'a donc rien à voir avec la pénibilité : utiliser ce terme relève d'une erreur scientifique » ; c'est le professeur Guillon qui le dit.

Il est pour le moins irresponsable de faire le constat de la pénibilité sans s'intéresser, ou presque, à ce qui devrait au contraire constituer un préalable : la prévention.

Ultime aberration : des amendements adoptés aujourd'hui en commission organisent le début du démantèlement de la médecine du travail. Ainsi, plusieurs catégories de salariés, et notamment toutes celles et ceux qui sont victimes des contrats de travail les plus précaires, ne relèveront plus de médecins spécialisés en médecine du travail. Votre réforme est donc injuste.

Elle est, de surcroît, inefficace. Alors que les niches fiscales se sont multipliées, alors que les réductions d'impôts pour les plus riches n'ont cessé de croître depuis 2002 et plus encore depuis 2007, vous vous apprêtez à saigner un peu plus les futurs retraités.

Oui, une autre réforme est possible. Le Parti de gauche est favorable à une réforme des retraites : il faut effectivement régler la question du financement. Mais nous affirmons que le financement de la retraite à 60 ans est possible. C'est le sens des mesures contenues dans la proposition de loi que nous avons déposé en commun avec nos collègues communistes ; tout au long de ce débat, nous défendrons, sous forme d'amendements, les dispositions contenues dans cette proposition.

Il est vrai que la réforme que nous appelons de nos voeux n'a que peu de rapport avec vos objectifs, qui visent globalement à étouffer les retraites par répartition pour se tourner vers cette vieille lune que sont les retraites par capitalisation. La crise actuelle nous a montré une fois de plus les conséquences d'un tel système : la spéculation sans limite, l'effondrement du revenu des retraités dès qu'une crise apparaît – regardez où en est la Suède, qui a un système par points –, voire, dans le cas des régimes par capitalisation, la ruine totale de générations de retraités quand un fonds de pension fait faillite – au cours des dix-huit derniers mois, les fonds de pensions américains ont ainsi perdu plus de 2 000 milliards de dollars. C'est ce dont nous ne voulons pas.

Nous nous inscrivons dans une tout autre perspective : notre démarche se fonde sur une solidarité entre générations. Ainsi, tout comme nous devons laisser aux générations qui nous succéderont une planète et une humanité en bon état, nous devons assurer la retraite de ceux qui nous ont précédés. C'est la même démarche de solidarité.

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