Il faut, enfin, ajouter que la multiplicité des régimes de retraite rend notre système très gourmand en frais de gestion. Selon plusieurs études économiques, un régime unique, du seul fait des simplifications de gestion, permettrait d'économiser 3 milliards d'euros chaque année.
Cette unification souhaitable est-elle réalisable ? Oui, si l'on se réfère au précédent réussi de la fusion des quarante régimes ARRCO, un travail considérable, bien préparé par les partenaires sociaux au cours de la décennie 1990 et réalisé en 1999 à la satisfaction générale. La réforme de 2010 offrait l'occasion, non pas de réaliser, mais au moins de lancer la préparation de l'unification de nos trois douzaines de régimes actuels. Certes, la réforme prévoit d'aligner en dix ans les taux de cotisation des régimes de retraites du public et du privé, et c'est une excellente disposition, mais l'ambition aurait dû être plus ample et plus forte et viser l'unification de l'ensemble des régimes existants.
Cette unification est un préalable nécessaire à la seconde étape d'une réforme systémique qui pourrait être celle du passage d'un système d'annuités à un système par points. Ce dernier, privilégié par le COR dans son rapport de janvier 2010, présente en effet plusieurs avantages décisifs.
Il permet une meilleure prise en compte des tendances démographiques. Il est plus économe et assure une meilleure justice intergénérationnelle, en aidant à mettre un frein au prélèvement sur les actifs. Il est surtout très responsabilisant, car il permet à chacun de choisir en toute connaissance de cause la date de son départ et le montant de la pension qu'il percevra en fonction de la date retenue.
Parce qu'il garantit la lisibilité du système, le régime par points est l'instrument qui permet à chaque futur pensionné d'exercer sa liberté de manière pleinement responsable.
Nos régimes complémentaires fonctionnent déjà avec un système par points, et plusieurs pays tels que l'Allemagne ou la Suède l'ont généralisé, selon des modalités diverses, avec des effets extrêmement positifs.
Ces systèmes prévoient l'envoi de relevés annuels donnant à chaque assuré le nombre de points acquis dans l'année, le cumul de ses points et des projections sur le montant de sa pension en fonction de la date de départ.
Le Gouvernement n'a pas souhaité, à la faveur du présent projet, s'engager sur la voie d'une réforme structurelle de cette nature. On peut le regretter, car il faudra remobiliser les énergies pour la faire aboutir. Elle apparaît en effet comme la mieux à même de consolider les fondations de notre système de retraite par répartition et la solidarité intergénérationnelle qui le caractérise.
Elle permettrait en outre de mettre en oeuvre le troisième paramètre que doit comporter une réforme systémique : la prise en compte du facteur démographique. Dans le cadre d'un nouveau système unifié, plus juste et pérenne, l'attribution des points pourrait en effet se faire pour partie en fonction des cotisations et pour partie au titre des enfants élevés.
Rien n'interdirait non plus de prévoir des bonifications spécifiques, par exemple pour prendre en compte l'engagement dans le monde associatif, tant le bénévolat a besoin aujourd'hui d'être fortement encouragé pour continuer à être un élément constitutif de notre sociabilité.
C'est la variable démographique qui, en dernier ressort, conditionne l'avenir de notre système de retraites. Elle doit donc être placée au centre de toute réforme systémique.
Nous savons tous que les pensions futures ne sont nullement payées par les cotisations : celles-ci financent uniquement les pensions de l'année en cours. Les pensions futures, ce sont les jeunes générations, et elles seules, qui peuvent en assurer l'existence.
Or, selon l'INSEE, il n'y aura plus en 2020 que 1,5 actif pour un retraité, et 1,2 en 2050. Ce problème structurel tient à la natalité insuffisante des trente dernières années. Il tient aussi au gonflement du nombre des retraités partis à 60 ans à la suite du choix politique irresponsable effectué en 1982, où l'on a commis l'erreur historique d'abaisser l'âge légal au moment où l'espérance de vie s'envolait et où la natalité s'affaissait.
Si, à cette époque, l'âge légal du départ en retraite avait été maintenu à 62 ans, nous discuterions en ce moment non pas de la résorption du déficit, mais de la gestion des excédents !
L'espérance de vie après le départ à la retraite est aujourd'hui de plus de vingt ans. Quant à la natalité, elle est toujours insuffisante pour assurer le renouvellement des générations.
Pour sortir de l'impasse, deux choix s'imposent. Le premier consiste à faire sauter le verrou des 60 ans, comme le prévoit le projet de loi. À ce titre, je veux saluer le courage du Gouvernement, qui a tenu bon dans cette voie.
Le second passe par la reconnaissance de l'effort des familles dans le renouvellement des générations, sans lequel la survie du système sera à terme impossible.
Parmi les injustices du système actuel, il faut mentionner l'insuffisance des avantages familiaux. Chaque année, la charge – qui en fait est un investissement – correspondant à l'éducation de la nouvelle génération représente environ 450 milliards d'euros. Elle pèse à 60 % sur les familles et à 40 % sur la collectivité. Or, selon le COR, les droits familiaux à pension ne représentent que 8 % des retraites.
Ceux qui contribuent le plus à la pérennité du système sont aujourd'hui, paradoxalement, ceux qui en reçoivent le moins. Plus une femme a d'enfants, plus sa retraite moyenne est basse. Il faut inverser cette logique. L'attribution de points pour chaque enfant serait infiniment plus simple et plus juste que les dispositions actuelles.
Si cette perspective n'est pas immédiate, rien n'empêche d'inscrire pour l'heure dans le projet de loi des mesures concrètes allant dans cette direction. Pourquoi ne pas envisager une meilleure prise en compte du congé maternité qui, à l'heure actuelle, ne compte même pas comme période cotisée pour la retraite ? C'est le sens de l'amendement que propose Marc Le Fur, et auquel j'apporte mon entier soutien.
Pourquoi ne pas appliquer un système de bonus aux pensions de retraite en fonction du nombre d'enfants élevés ? C'était une promesse de Nicolas Sarkozy dans son programme de 2007 : allouer « des droits sociaux et des droits à la retraite à ceux qui se consacrent à l'éducation de leurs enfants ». Il est dommage que cet engagement n'ait pas reçu de traduction concrète dans le cadre de ce projet de réforme.
Pourquoi, enfin, ne pas porter une attention particulière aux jeunes veufs et veuves ayant charge de famille, en assurant au conjoint survivant, en cas de reversion, un revenu disponible correspondant aux deux tiers des revenus antérieurs du couple ?
Ces différentes mesures visent en fait le même objectif : encourager les familles qui le souhaitent à accueillir leurs enfants. Sans l'assurance d'une aide convenable au moment de la retraite, comment les familles pourraient-elles sereinement effectuer ce choix décisif pour l'avenir de notre système de retraite ?
Le Gouvernement aborde aujourd'hui courageusement l'avenir à court terme de notre système. Il ne faut pas pour autant oublier le long terme. Il faudra remettre l'ouvrage sur le métier pour engager une véritable réforme systémique novatrice, s'articulant autour de l'unification et de la lisibilité de nos différents régimes et d'un soutien résolu aux familles. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons assurer durablement la survie de notre régime solidaire de retraite par répartition et redonner aux Français, et en particulier aux jeunes générations, une pleine confiance dans leur système de retraite.