Que chacun assume donc les responsabilités qui sont les siennes. Quand la Commission européenne aura réussi à mettre enfin en place une vraie politique de contrôle des institutions financières et de lutte contre les paradis fiscaux – ce qui est de son ressort –, elle pourra peut-être se croire autorisée à se mêler de nos débats. Quand elle aura proposé une véritable politique de régulation du commerce mondial – ce qui est de sa compétence – alors que la dérégulation coûte si cher en termes de destructions d'emplois industriels dans un pays comme la France, quand la Commission européenne aura fait son travail dans ce domaine, alors elle pourra commencer à avoir un début de crédibilité sur la question de la protection sociale en général et des retraites en particulier. Pour l'instant, c'est à nous qu'il revient de définir, dans le cadre d'un vrai débat national, notre système de retraites.
Notre système de retraites par répartition est, dites-vous, au bord du précipice et il convient de le réformer profondément si on veut le sauver. Ce qui est étonnant, c'est que vous ne l'ayez pas dit aux Français il y a un peu plus de trois ans, lors de l'élection présidentielle.
Oui, nous voulons défendre le système de retraites par répartition, contrairement à beaucoup de responsables, d'élus, de ministres de la majorité, qui défendaient encore il y a quelques années le remplacement du système de retraites par répartition par un système de capitalisation dont on a vu l'extrême fragilité lors de la crise financière.
Oui, la situation financière de nos caisses de retraites et leurs perspectives d'évolution sont mauvaises.
Oui, il faut réformer le mode de financement des retraites. Car contrairement à ce que vous martelez depuis des mois, le problème n'est pas d'abord démographique mais bel et bien financier.
Oui, il faut négocier un nouveau pacte de solidarité entre les générations, entre les actifs de tous âges, qu'ils soient jeunes et loin de la retraite ou plus âgés et proches de la retraite, et les retraités actuels.
De cela, je crois que nous sommes toutes et tous profondément convaincus, et les syndicats, dont vous aimez malheureusement à caricaturer le prétendu immobilisme, sont les premiers à le dire. Nous avons tous perçu les effets combinés du baby-boom devenu un papy-boom et de l'allongement de la durée de la vie.
Nous voyons tous clairement que la dégradation ou la stagnation de l'activité économique et de l'emploi, à laquelle vous n'êtes tout de même pas totalement étrangers, messieurs du Gouvernement, fait peser sur les comptes sociaux des dangers considérables.
Alors oui, si votre texte proposait des solutions qui permettaient de garantir un réel et durable retour à l'équilibre du système, du point de vue de son financement, ce serait effectivement un signe de responsabilité. Le problème, c'est qu'il n'en est rien.
Votre réforme, monsieur le ministre, est avant tout fondée sur un hold-up effarant : celui du fonds de réserve des retraites, dont vous organisez la ponction anticipée, au risque de rendre encore plus difficile, vous le savez bien, le passage du pic démographique qu'il était censé accompagner aux alentours de 2020. Le système de répartition français sera totalement désarmé au moment où il sera le plus en difficulté.
Votre réforme s'accompagne d'une croyance aveugle dans les effets d'une croissance future, d'un retour à la croissance, dont chacun sait qu'elle est, par essence, aléatoire et de plus en plus difficilement soutenable.
Vous ne nous entendrez jamais dire, monsieur le ministre, pour le financement des retraites comme pour la résorption des déficits : la croissance paiera. Nous savons bien que cela ne suffira jamais et c'est bien pour cela que nous voulons des mesures responsables dans lesquelles l'effort demandé est équitablement réparti et qui n'excluent pas de mobiliser de nouvelles ressources.
Votre réforme ne prévoit pas de mobiliser autant qu'il serait nécessaire les revenus du capital, qui constituent à nos yeux un complément de financements indispensable du système de retraites autant qu'un impératif de justice fiscale : 95 % des efforts seront portés par les salariés, 5 % par le capital, voilà la vérité que vous tentez maladroitement, et avec de moins en moins de succès, de cacher aux Français.
Cette contribution des revenus financiers est d'autant plus justifiée que ce sont ces revenus qui ont le plus augmenté au cours des trois dernières décennies. Leur part dans le partage de la valeur ajoutée a augmenté au détriment des salaires depuis la fin des années soixante-dix, tout le monde le sait. Il faut savoir s'adapter, monsieur le ministre, il ne faut pas rester figé dans des solutions qui datent d'une époque où la répartition des richesses était bien différente. Il faut savoir tenir compte de cette nouvelle donne.
Votre réforme ne s'accompagne pas d'une politique de l'emploi dynamique et réellement audacieuse, une politique qui chercherait à créer des emplois nouveaux, pour optimiser les recettes des régimes de retraites, une politique qui serait l'inverse de cette mesure qui n'a jamais été aussi anachronique que l'exonération de cotisation des heures supplémentaires qui coûte si cher au budget de l'État et de la protection sociale. Une politique qui intégrerait réellement la volonté croissante des salariés de préparer leur retraite, et donc de transmettre le flambeau aux générations nouvelles, par des dispositifs concrets de parrainage par exemple. Une politique qui s'attaquerait réellement au taux d'emploi de ceux que nous appelons si bizarrement les « seniors ».
À qui fera-t-on croire que c'est par une énième exonération de charges sociales que l'on réglera la question ? Si l'on crée des emplois qui ne génèrent aucune cotisation nouvelle, ce sera intéressant pour les employés, mais cela ne réglera pas le problème du financement de la protection sociale, au premier rang de laquelle les retraites.
Au final, et quand bien même vos objectifs et vos hypothèses hautement contestables de croissance et de taux d'activité seraient tenus, on est très loin de la fameuse réforme audacieuse et définitive que tente de nous vendre un Président à bout de souffle. Cela n'est pas plus crédible que quand le même Président de la République, alors encore candidat, disait que le problème du financement des retraites serait réglé par une simple réforme des régimes spéciaux. Voilà ce que l'on avait dit aux Français en 2007. On en voit aujourd'hui le résultat !
Votre réforme est censée permettre une élimination des déficits des régimes de retraites dans huit ans, nous dites-vous, monsieur le ministre. Une perspective que vous avez jugée « suffisamment proche pour être compréhensible par les Français ». On se demande parfois si vous ne sous-estimez pas l'intelligence de nos concitoyens.
Parce que non seulement ils peinent à vous croire dans vos calculs sur la comète, mais encore ils ont parfaitement compris la manoeuvre qui consiste à charger la barque des générations futures, et notamment des plus jeunes, sans garantir un cadre réellement pérenne et juste de financement pour le système par répartition.
Cette réforme est à courte vue, et terriblement symptomatique de votre politique.
Au fond, votre discours a le mérite de la clarté, pour ne pas dire du cynisme. Aux retraités d'aujourd'hui, et à ceux qui s'apprêtent à prendre leur retraite, vous dites : « Rassurez-vous, votre retraite est garantie ! » Et aux autres, à tous les autres, les jeunes, les femmes qui connaissent des carrières discontinues, les chômeurs, qu'avez-vous à proposer ? Rien d'autre que la certitude de devoir travailler plus longtemps, et tout cela sans la moindre contrepartie positive en termes de retraite.
Au fond, tout se passe comme si vous aviez effectué un choix politique et électoraliste cynique, en faisant une croix sur les générations montantes et les plus démunis de nos concitoyens, et en focalisant vos attentions sur les plus aisés et les plus âgés, en un mot sur une partie de la population que vos conseillers et ceux de l'Élysée désignent comme votre « cible électorale ». Cette politique, qui est en oeuvre dans tant de domaines de votre action, porte en elle les germes d'une désagrégation malsaine de notre pacte républicain. Elle trouve ici, sur la question des retraites, une traduction insupportable parce qu'elle est une rupture du pacte de solidarité intergénérationnelle sur lequel repose le système de retraites par répartition. Tous les sondages, toutes les études d'opinion montrent que ce sont les plus jeunes qui ont le plus d'inquiétudes sur l'avenir des retraites. On pourrait penser qu'ils en sont les plus éloignés, les moins préoccupés, et pourtant ce sont eux qui ont le moins confiance dans le système de retraites par répartition, et c'est ce qui est particulièrement grave pour le pacte de solidarité intergénérationnelle.
Dans les faits, tout, dans votre discours comme dans vos propositions, tend à faire croire que notre système est un système de capitalisation collective, de cotisations anticipées pour des prestations différées.
Cette vision n'est pas la nôtre et nous paraît profondément irresponsable. C'est la raison pour laquelle nous, écologistes, lions la question de la retraite et celle du revenu minimum garanti. Il faudra bien en reparler lorsque nous aborderons le sujet des très petites retraites, que ce soit les retraites agricoles ou celles de ceux qui n'auront pas cotisé pendant quarante et un ans, bientôt quarante-deux ans. C'est la raison pour laquelle nous nous refusons, dans ce domaine comme dans les autres, à opposer entre eux les Français et à promettre aux uns une sécurité factice, au détriment des droits et des espérances des autres.
C'est la fondation Terra Nova qui le relève justement aujourd'hui : « Dans la réforme gouvernementale, les jeunes générations vont ainsi payer trois fois. Cotiser plus, avec le recul de l'âge légal. Percevoir des retraites plus faibles, avec la baisse programmée du rendement des retraites inscrite dans les lois Balladur et Fillon. Et, cerise sur le gâteau, le Gouvernement siphonne les 34 milliards d'euros du Fonds de réserve des retraites qui leur étaient destinés : on prend aux actifs de demain pour donner aux retraités d'aujourd'hui. »
Mais ce qui fonde la retraite par répartition, c'est un pacte permanent entre les cotisants et les bénéficiaires de la retraite. Faire vivre ce pacte suppose trois conditions : qu'il soit équitable dans son application, qu'il soit partagé et négocié en permanence dans le cadre d'une démocratie sociale digne de ce nom, et qu'il fasse appel aux sources de financement les plus diversifiées et les plus justement réparties.
L'inéquité de vos propositions, nous y reviendrons au cours de notre discussion. Je me contenterai ici de rappeler que tous les acteurs sociaux ont exprimé leurs craintes pour la situation faite aux femmes, aux polypensionnés et aux salariés qui ont connu une carrière longue et pénible, qui ont commencé à travailler très tôt. Les mobilisations sociales en cours, les préventions d'une partie même de votre majorité, le travail de notre assemblée vous permettront-ils d'évoluer sur ces questions ? Espérons-le, et nous serons sur ces points des opposants qui proposent. Mais je ne me fais pas d'excessives illusions, malheureusement. Et que les choses soient bien claires : nous refuserons notamment toute approche de la pénibilité qui renverrait à de simples négociations par branche, laissées à l'entière appréciation d'un patronat qui s'est déjà largement exprimé pour refuser toute approche autre qu'individuelle de la pénibilité professionnelle. Car cela, ce n'est qu'une parodie de démocratie sociale. C'est la possibilité offerte à un seul interlocuteur de bloquer toute discussion sérieuse, toute avancée, comme le fait le patronat depuis trois ans. Non, sur la pénibilité, nous ne nous contenterons pas d'une telle poudre aux yeux.
Je parlais à l'instant de démocratie sociale. Sur ce point, que dire, sinon que le compte n'y est pas ? La négociation, vous la mimez plutôt que vous ne la pratiquez ! Vous avez, monsieur le ministre, reçu successivement tous les responsables politiques, comme les organisations syndicales.